Vu en VF.
Résumé AllôCiné : Allemagne de l'Ouest, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Un adolescent, Michael Berg, fait par hasard la connaissance de Hanna, une femme de trente-cinq ans dont il devient l'amant. Commence alors une liaison secrète et passionnelle. Pendant
plusieurs mois, Michael rejoint Hanna chez elle tous les jours, et l'un de leurs jeux consiste à ce qu'il lui fasse la lecture. Il découvre peu à peu le plaisir qu'elle éprouve lors de ce
rituel tandis qu'il lui lit l'Odyssée, Huckleberry Finn et la Dame au petit chien.
Hanna reste pourtant mystérieuse et imprévisible. Un jour, elle disparaît, laissant Michael le cœur brisé.
Huit ans plus tard, devenu étudiant en droit, Michael assiste aux procès des crimes de guerre Nazi. Il retrouve Hanna... sur le banc des accusés.
Peu à peu, le passé secret de Hanna est dévoilé au grand jour...
Vu au cinéma, par Vance
Un film curieux.
Une réalisation soignée, sobre, élégante, portée par des cadrages ciselés sur des visages dont ils cherchent à faire ressortir l’émotion de ces traits subtilement éclairés (beaucoup de lumière incidente et de pénombre qui créent un clair-obscur en intérieur).
Une reconstitution minutieuse d’une cité germanique (Neustadt) de l’après-guerre, dans ce qu’on appelait l’Allemagne de l’Ouest, noyée sous une grisaille qui ne consent à se lever qu’en été, au bord de l’eau, ou dans cette campagne vallonnée dans laquelle se nichent quelques villages hors du temps et des églises millénaires : un pays où la pluie ruisselle sur des murs tristes, où les nuages bas pèsent sur les épaules comme une chape de culpabilité mal assimilée et où le soleil ne perce qu’à grand-peine pour tenter d’éclairer les ébats aquatiques d’une jeunesse encore insouciante ou les virées romantiques d’un couple improbable.
Une partition magnifique de pudeur où Alberto Iglesias rivalise avec Nico Muhly pour illustrer dignement cette romance puis ce drame qui se noue sur fond de crime de guerre : pas de tonitruance ni d’envolées lyriques mais des notes égrenées avec retenue et justesse ponctuées par des extraits de ces airs qu’écoutaient nos parents lorsqu’ils étaient encore fringants…
Et une interprétation magistrale, brillante même, dans laquelle l’admirable Kate Winslet parvient à glisser l’incompréhension et le doute, la honte tenace et le remords fugace, l’envie de tendresse et de reconnaissance permanente, les facettes complexes d’une femme simple intégrée dans un système qui l’a façonnée et utilisée sans scrupule mais incapable de s’en sortir d’elle-même : tout en elle, de son front perpétuellement soucieux à sa moue boudeuse réfrénant les sourires spontanés, du frémissement de son menton à sa silhouette maternelle engoncée dans un uniforme strict trahit l’émotion contenue de cette personne qui ne sait, après tout, qu’obéir. Et c’est là qu’intervient un premier problème : Hanna a servi une cause indéfendable, mais nous apparaît, sous le rôle de cette Kate extraordinaire, comme une victime. Sans dévoiler les dessous du procès que tout le monde a entrevu dans la bande annonce, il suffit de dire que notre cœur bat moins pour la douleur atroce ressentie par ce jeune homme qui s’était épanoui sous l’aile d’une Hanna inconnue que pour son destin à elle. Pourtant, comme le précisera un personnage à la fin du film : Se rendait-elle compte à quel point elle allait marquer [sa] vie ?
Le film, le script, est curieux par ces basculements sur d’autres modes, passant d’un souvenir un peu éthéré à une chronique douce-amère dans la lignée d’Un été 42, puis à l’analyse presque chirurgicale d’un acte barbare et d’une idéologie inhumaine, avant de revenir sur les tourments qui ravagent la psyché de notre Michael : là où l’oubli a échoué à conférer de la sérénité à sa vie tronquée, on lui demande d’endosser une responsabilité supplémentaire qui risque de briser son frêle équilibre émotionnel. Il n’empêche : ce sont autant de scènes d’une très grande intensité que seule une alternance de gros plans sur des yeux ravagés de larmes se permet de souligner ; ne cherchez pas les violons d’Hollywood, Daldry n’en a cure et expose les tête-à-tête douloureux avec une redoutable efficacité, presque clinique, un brin artificielle, désamorçant les velléités de fausse pudeur (la chair exposée, malgré les très séduisantes courbes de Mlle Winslet, ne suscite guère d’autre émoi que celui de ce rapport qu’on ne devine pas, où les atermoiements de l’une répondent à la passion et à la fougue juvénile de l’autre).
Objectivement, on ne peut qu’en vouloir à Hanna qui n’a pas eu la clairvoyance attendue d’une adulte tant pendant la guerre qu’avec Michael : ce sont pourtant cette forme de candeur et son honteux handicap (présenté dans la narration comme la grande révélation du film alors qu’il se voit venir très tôt, un peu comme si Daldry doutait des capacités de ses spectateurs à comprendre les pourtant nombreux indices qu’il parsème – il en rajoute d’ailleurs avec quelques flashbacks pour ceux qui n’auraient rien capté, seule fausse note dans une réalisation au demeurant tout à fait maîtrisée) qui altèrent la perception qu’on a d’Hanna et engendrent le débat, nettement plus que celui, avorté – faute d’arguments, il est vrai – sur la culpabilité des Allemands « non nazis », ceux qui savaient ce qui se passait dans les camps à partir de 1943… Visiblement – mais là, je m’avance, hein ? – cette femme est issue d’une société redoutablement normative qui a su l’employer au mieux de ses capacités (limitées, on le comprend très tôt), ne requérant aucune initiative ou réflexion propices à détourner l’individu de la tâche qui lui est allouée. A l’accusation qui lui est faite, elle ne sait d’ailleurs que répondre : Qu’auriez-vous fait à ma place ? Pitoyable, mais personne dans l’auditoire ne se risque à la répartie, voire à un ricanement même gêné.
Jennifer m’évoquait, alors qu’on en parlait, comprenant tous les deux combien la discussion était peu évidente, ce titre de Goldman : Né en 17 à Leidenstadt. Sans autre commentaire qu’un parallèle évident à une libre interprétation. Excuser l’inexcusable, sauver les apparences…
Le film est dramatique, tragique même. Il pourra éventuellement gêner par l’absence de ces codes qu’on a appris à reconnaître (dont parlait déjà Salieri dans l’immense Amadeus : pas de « tzim-boum » pour nous dire où rire, s’émouvoir ou s’enthousiasmer), Daldry se reposant presque exclusivement sur le jeu de ses comédiens impeccables sans chercher à les trafiquer, les avilir ou les magnifier par des artifices techniques. C’est simple : là où j’ai été ému, j’aurais aimé pleurer. C’est comme s’il me manquait quelque élément ténu, un lien plus concret qui m’aurait permis d’apprécier davantage cette histoire d’amour inoubliable sur fond de crime contre l’Humanité.
Il reste une chose, une chose liée au titre et qui m’est chère. Au-delà des débats déjà évoqués, il y a le fait que cette femme aurait pu être, sans cela, totalement perdue pour le (nouveau) monde qui s’est ouvert à elle. Hanna n’a pas trouvé la rédemption, ce qui aurait, comme l’avoue la fille de l’une des victimes, été déplacé et malhonnête. Mais elle a réussi à combler partiellement les vides énormes de son existence, surtout après qu’elle s’est séparée de Michael. Elle y est parvenue par la lecture. Bien que, comme le reste des thèmes soulevés, la réalisation ne se soit guère appesantie dessus, elle transcende la trame principale du film pour se révéler comme un instrument de conquête, un outil culturel voué à la liberté de pensée. The Reader nous montre une femme admirant la littérature sans parvenir à y entrer, comme quelqu’un qui resterait à l’extérieur d’un théâtre et n’en entendant que des répliques étouffées ; ensuite une femme entrant en littérature comme on entre en religion, en hésitant, mais solennellement, émerveillée par le potentiel qui s’ouvre à elle, terrifiée par les myriades de livres de la bibliothèque, autant de portes vers d’autres réalités, d’autres univers, autant de voies vers un ailleurs irréel qui apaiserait sa solitude, ses regrets et ses remords. De Peter Benchley à l’Amant de Lady Chatterley, d’Homère à Tintin & les Sept Boules de Cristal, Hanna peuple sa vie inepte de mots et de phrases, de chapitres et de pages et vainc sa propre faiblesse en domptant sa honte pour franchir le seuil de la connaissance. Quoi qu’elle ait pu faire au service d’un Reich versé dans les autodafés, il est singulier qu’elle ait pu partiellement s’amender d’une lacune inavouable en honorant ces livres que ses pairs ont brûlé. Rien que pour cela, le film est indispensable.
Ma note : 4,25/5
Voir aussi :
à L’article de Cachou.