Cette année, le thème choisi, Alberto Giacometti, semblait une gageure. Comment, en effet, faire preuve d’originalité, alors que d’autres expositions lui avaient déjà été consacrées (l’an dernier au Centre Pompidou) ou s’inscrivent encore au calendrier (à Zurich et à Genève) ? La Fondation a relevé ce défi avec brio, en présentant 150 toiles, sculptures, dessins et objets provenant de collections publiques et privées, dont certains n’avaient jamais été vus auparavant.
Pour replacer Alberto Giacometti dans son contexte, le parcours s’ouvre sur son environnement familial, avec des toiles de Giovanni Giacometti, son père ; un univers coloré de paysages montagnards et de portraits, à la lisière de l’impressionnisme et du fauvisme, voire de l’expressionnisme. On notera en particulier Le Sculpteur, toile de 1923 représentant Alberto réalisant un buste, face à son modèle. Des toiles de son cousin Augusto figurent aussi, ainsi que des meubles très curieux créés par son frère cadet Diego, accueillis dans une salle spécifique.
Les œuvres exposées rendent compte de sa carrière. Premières sculptures, portraits de famille, autoportraits des années 1910 au milieu des années 1920. Puis l’influence surréaliste apparaît, parfois avec une touche d’inspiration africaine (Femme cuillère, 1927 – Main tenant le vide, 1934-35) ou toute personnelle (Boule suspendue, 1930-31 – Objet désagréable à jeter, 1931). Certains arrangements ne sont guère éloignés de Duchamp (Circuit, 1931, Main prise, 1932). Tête-crâne (1934) et Cube (1933) témoignent d’une courte tentation cubiste et abstraite. Moins connus du grand public, peut-être, sont les vases, les lampes, objets usuels aux lignes pures que l’artiste créa vers 1937.
Il n’est naturellement pas possible d’évoquer les sculptures du maître sans citer l’Homme qui marche II, de 1960, l’une des pièces les plus emblématiques de la collection permanente de la Fondation Beyeler, d’une rare puissance évocatrice, ainsi qu’un certain nombre de bustes (qu’il qualifiait de « conventionnels »), dont la Grande Tête de Diego (1954) qui n’est pas sans rappeler les sculptures caricaturales de Daumier.
Filiformes et fragiles au premier abord ces figures, pures et inquiétantes, dès qu’on s’en approche, acquièrent une force difficilement descriptible, qui vient sans doute de leur facture synthétique : l’être réduit à l’essentiel, la surdimension des membres, l’impression paradoxale de mouvement. Jean Genet l’avait remarqué :
Toutes les facettes de l’artiste étant représentées, la peinture de Giacometti n’est pas oubliée, avec des scènes d’atelier et une intéressante série de portraits, notamment Caroline (1961), Isaku Yanaihara (1961) et la superbe Tête noire (1951). Devant ses portraits, fascinants, j’avoue refaire souvent une expérience que je conseille à tout spectateur et qui fut décrite, une fois encore, par Genet qui la consigna dans son beau texte L’Atelier d’Alberto Giacometti publié par Barbezat en 1958 :
A la Fondation Beyeler, on sent que Giacometti est, en quelque sorte, chez lui. Rien de commun, certes, entre ce bâtiment lumineux et le petit atelier du XIVe arrondissement qu’il occupait et où sa femme Annette se gardait, paraît-il, d’enlever la poussière des vitres pour ne pas le fâcher. Mais on ne peut oublier le lien amical et puissant qui unissait l’artiste et Ernst Beyeler, lequel fut non seulement l’un de ses marchands, mais aussi son collectionneur avisé. Signalons, pour conclure, le très beau catalogue de l’exposition (Hatje Cantz Verlag, 224 pages, 68 CHF).
Illustrations : Alberto Giacometti dans son atelier de la rue Hippolyte Maindron, 1927, Photo Eberhard W. Kornfeld – Giovanni Giacometti, Pensierosa, 1913, Collection particulière, Suisse, Photo: Claude Mercier, Genève – Alberto Giacometti, Main prise, 1932, Alberto Giacometti-Stiftung, Zurich, © FAAG/ 2009, ProLitteris, Zurich – Alberto Giacometti, L’homme qui marche II, 1960, Fondation Beyeler, Riehen/Basel, © FAAG/ 2009, ProLitteris, Zurich, Photo Jean-Jacques Nobs, Basel – Alberto Giacometti, La mère de l’artiste, 1950, The Museum of Modern Art, New York, © 2008 Digital image, The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence, © FAAG/ 2009, ProLitteris, Zurich.