C’est Coca Cola qui a inventé et lancé le personnage actuel du Père Noël. Le dos d’une petite cuillère posé à l’envers dans le col d’une bouteille de champagne empêche le précieux liquide de perdre ses bulles. Il ne faut pas se baigner moins de trois heures après avoir déjeuner. Les statues équestres énoncent un message codé : cheval cabré, le personnage est mort à la guerre. Un sabot levé, il est mort dans son lit d’une blessure. Cheval sur ses quatre pattes, il est mort dans son lit. La muraille de Chine est le seul monument humain visible depuis la Lune…
Nous avons la tête farcie d’idées reçues, de lieux communs, voire de légendes urbaines. Il n’y a pas besoin de réfléchir bien longtemps pour se rendre compte que la muraille de Chine n’est assez large pour former un trait épais, visible de loin. La longueur ne fait rien à l’affaire : un cheveu à 13 km, voilà le rapport de vision véritable. On a intérêt à manger un paquet de carottes.
Je vois tous les jours la statue de Louis XIV sur son cheval cabré de Louis XIV, place des Victoires, alors qu’il a calanché dans son lit à presque 77 ans, de la petite vérole et de gangrène sénile de sa jambe gauche. Le coup de la cuillère dans la bouteille de champ’, ça ne marche pas, même si on ne met rien… Se baigner après trois heures, je l’ai fait 100 fois. Il faut juste faire attention, si l’eau est froide et le soleil brûlant, seules vraies causes de l’hydrocution. Quant à Coca, la compagnie a réutilisé un personnage créé un siècle avant, par des auteurs et des graveurs aux motivations diverses.
Voyons maintenant une légende à laquelle je croyais dur comme fer : l’invention du rugby. Jusqu’à ce qu’une de mes amies, Axèle, aille assister à un cycle de conférence à Rugby, et que cela me donne l’idée d’aller y voir plus près. Voici la jolie histoire qu’on raconte : William Webb Ellis aurait inventé le rugby là-bas, en 1823. Ce gars-là est mort et enterré en France, au cimetière du vieux château de… Menton. J’aurais dû me méfier…
On raconte qu’en pleine partie de “folk football”, variante locale de la soule française, Webb Ellis aurait pris le ballon à la main (ce qui était autorisé, dans la variante du football en question) et couru en avant (ce qui ne l’était pas) pour aller le déposer le ballon derrière les lignes adverses. Il avait 16 ans. Il a ensuite quitté l’université pour le Collège Brasenose d’Oxford, joué pas mal au cricket, avant d’entrer dans les ordres et de finir ses jours sur la Côte d’Azur, comme une bonne partie de ses concitoyens.
La seule source sur cet incident soit disant fondateur du rugby est un certain Matthew Bloxam, qui raconta, en 1876, dans le journal de l’école de Rugby, qu’il avait entendu un de ses amis dire qu’il avait vu Ellis prendre le ballon et se mettre à courir en avant. Précisons que dans ce jeu, si un de vos adversaires tapait la balle au pied, le joueur de l'autre équipe qui la récupérait directement dans les bras figeait le jeu : les adversaires ne pouvaient avancer que jusqu’au point de réception, pas plus loin. Et le récupérateur pouvait reculer pour prendre son élan et taper au pied à nouveau. Cette phase existe encore dans le rugby moderne (arrêt de volée).
Tout ça ressemble furieusement à l’histoire de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours : allez vérifier un témoignage de seconde main 53 ans après, le principal intéressé, Ellis (ci-contre) étant mort depuis quatre ans. En plus, les règles du jeu n’étaient pas claires, à l’époque, les joueurs décidant des règles avant voire en cours de jeu. Un peu comme moi aux mille bornes, par exemple. Et le football lui-même n’existait pas. Qu’un incident aussi mineur ait permis de passer d’un jeu de pied (football) à un jeu de main (rugby) est donc très improbable, même si on veut être gentil. La décision des gens du rugby de quitter la Football association date de 1895, soit plus de 72 ans après le supposé geste d’Ellis.
Il semble que l’association des anciens élèves de rugby, la Old Rugbeain Society, se soit payé une belle opération de relations publiques, comme l’indique “The ultimate Encyclopedia of Rugby”, éditée par Richard Bath. Entre dire qu’on entre dans une Université anglaise quelconque, et dire que vous étudiez là où a été fondé le rugby, ce n’est évidemment pas la même chanson. Et ça leur a juste coûté un article dans le canard corporate et l’achat d’une plaque en marbre, posée sur le mur du jardin du Headmaster. Depuis, la légende joue toujours sa petite musique. Et la tombe de Webb Ellis, redécouverte en 1958 par le fondateur du Guinness Book des records, Ross McWhirter, est maintenant à peu près entretenue par la Fédération Française de Rugby.
Illustration : wikipedia, Matthew Bloxam/Libraries Heritage and Trading Standards, Warwickshire County Council. Tombe de Webb Ellis/123savoie.com. Dessin de Webb Ellis jouant/Lordprice Collection