Si son ami d'avocat Antoine de Bei n'était pas venu le tirer de son cercueil urbain où il se laissait croupir, Frédéric Tran aurait sans nul doute continué sa lente mais sûre descente vers l'oubli et le néant, vers un vrai caveau cette fois. Ça ne l'aurait pas dérangé outre mesure. Il semblait s'être fait à cette idée. Elle s'imposait comme une évidence, peut-être même se révélait-elle comme une attente à peine formulée.
« Oh merdouille, quelle vie, quand on ne meurt pas pour de vrai. »
Mais le bienveillant entourage de Frédéric voit ça d'un autre œil, en tentant de lui redonner le goût de l'investigation avec laquelle, en tant qu'ancien journaliste, il s'est déjà frotté. Antoine lui demande en effet de reprendre l'enquête concernant l'explosion d'un immeuble à Toulon dont les conclusions ont toujours parues hâtives et suspectes aux familles des victimes, bien décidées à faire en sorte que la vérité éclate au grand jour. Très vite, Tran s'aperçoit que son investigation dérange et les avertissements ne tardent pas à pleuvoir.
« J'avais envie de la chaleur du café en bouche, mais celui de la cafetière devait être froid, et je me suis contenté de regarder deux morts très malheureux de vivre. »
La mort est bien évidemment présente dans cet ouvrage. La mort et les magouilles de tout poil où le poids des victimes collatérales ne pèse pas bien lourd aux yeux de certains. Il est question de violence aussi, brute, sans concession. Elle ne passe pas forcément par le style lui-même, mais plutôt par la description d'un milieu où elle fait office de normalité.
Avec ces éléments on pourrait naturellement penser que Le vent du boulet est un ouvrage sombre de plus dans le paysage du roman noir. Mais ce serait alors ne pas prendre en compte l'humanité qui sourd de ce livre. En écrivant ces mots, je me rends compte que j'utilise régulièrement ce terme « d'humanité » dans mes chroniques. Peut-être parce que, plus que jamais, elle me semble importante d'être rapportée, soulignée, mise en avant. Parce que la littérature, qu'elle soit blanche, noire ou tout ce qu'on voudra, doit aussi s'en faire le relais, histoire de nous rappeler qu'elle existe. Serait-ce que l'on se serait pris à en douter quand on baguenaude en début d'été sur les bords de rivières déjà pollués par toutes sortes de déchets plus dégueulasses les uns que les autres, de quoi vous rendre écœuré et hargneux ? Mais je digresse, je digresse...
Dans Le Vent du boulet, cette humanité passe donc par le narrateur lui-même, emporté par l'alcool et sa soif de se raccrocher à l'amour et à la vérité. Elle passe aussi par des personnages formidables gravitant autour de lui, prêts à l'épauler dans les moments les plus difficiles, même quand leur propre intégrité physique se trouve menacée. Des amitiés franches et sincères que Tran apprécie à leur juste valeur, des amitiés ou des sympathies, des liens affectifs inexplicables, où la simplicité se joue de toutes les barrières, même politiques.
Et, quand en réponse à ce vent du boulet, souffle celui du désir de vengeance, on se dit que Fabrice Nicollino a su conjuguer l'humanité sous toutes ses facettes, des plus sombres aux plus reluisantes. Et, qui sait, il se pourrait bien qu'il récidive...
Le Vent du boulet, Fabrice Nicolino, Fayard (Fayard noir), 416 p.