Voilà certainement les conséquences les plus redoutables d'une crise : les licenciements massifs. J'ai déjà eu l'occasion d'en parler souvent sur mon blog
notamment ici et là. Mais ce que les pouvoirs publics négligent allégrement est
le fait que certains salariés vivent ces situations comme un déni de leur droit social - et fondamental ! - à travailler. Dès lors, il n'y a rien d'étonnant à ce que l'on arrive à des réactions
extrêmes comme chez New Fabris ou Nortel.
Petit rappel des faits :
* L'usine de Châtellerault appartient à l'équipementier automobile New Fabris. Le 16 juin dernier, l'usine a été liquidée et s'est ensuivi l'annonce du licenciement de
l'ensemble des 366 salariés. Depuis, ces derniers cherchent à obtenir une indemnité de licenciement de 30 000 euros sachant que leurs chances de retrouver du travail à Châtellerault (36 000
habitants) sont quasi nulles : l'industrie locale devrait en effet perdre 2 400 emplois en 2009, selon le quotidien La Nouvelle République... Alors pour se faire entendre, les salariés
menacent de faire sauter leur usine s'ils n'obtiennent pas gain de cause avant le 31 juillet. Réponse du ministre de l'industrie et également
motodidacte, Christian Estrosi : "[Je ne discuterai pas] sous le coup de la menace. Si les salariés continuent, je ne les recevrai pas". Le ministre pratique visiblement une forme
de communication sociale déjà testée à Nice avec la Police à même de calmer les esprits...
* A Châteaufort, dans les Yvelines, Nortel France SA, filiale française de l'équipementier en communication canadien et centre de recherches sur les technologies sans fil, a été placée en
liquidation judiciaire le 28 mai. En l'absence de reprise des activités de Nortel France SA, l'ensemble des 683 employés devraient être licenciés. Ceci explique que depuis quelques jours, des
salariés grévistes de Nortel menacent de faire sauter leur entreprise avec des bouteilles de gaz s'ils n'obtiennent pas une indemnité de licenciement. Réponse cette fois de Xavier Darcos,
transfuge de l'Education Nationale : "On va se parler, on va trouver des solutions qui ne demandent pas de passer par des violences extrêmes". "Mais en revanche, je ne saurais comprendre que
l'on veuille régler cette difficulté par une position de desesperado, par une violence incroyable"...
Toutes ces menaces rappellent évidemment le cas de la filature Cellatex de Givet dans les Ardennes. Celle-ci avait été mise en liquidation judiciaire en juillet 2000. Face au refus
de la direction de négocier leurs conditions de départ, les 153 salariés du site avaient déversé de l'acide sulfurique dans la Meuse et menacé de faire exploser une cuve contenant 56 000 litres
de ce dangereux produit. Ce n'est qu'après l'intervention des pouvoirs publics que les salariés de Cellatex avaient obtenu gain de cause par un subtil montage financier.
Que dire de tout cela ? Tout d'abord, lorsqu'on en arrive à une telle extrémité il y a forcément de la rancoeur qu'on a laissé se développer trop longtemps.
Les salariés se sont impliqués pendant des années dans leur entreprise et, comme le dit le ministre du travail en personne, "cet investissement aboutissant à cet échec suscitent chez eux une
très grande frustration". Il oublie de préciser que dans le cas de Nortel par exemple, les salariés ont la désagréable impression que leur sort a été joué dans le Nord de
l'Amérique sans consultation. Et que le désespoir qui envahit les ouvriers de Fabris est aussi dû à une prise de conscience générale : que peuvent les pouvoirs publics pour l'emploi (à
part aider à négocier un peu d'argent) lorsque l'économie semble dicter ses lois à la politique ? La preuve en est d'ailleurs donnée par leurs revendications : elles ne portent pas sur
la sauvegarde de l'emploi mais sur une indemnité de licenciement.
Les salariés semblent ainsi avoir déjà assimilé ce que d'aucuns qualifient de réalisme économique et que je préfère appeler simplement ruine sociale : lorsque l'économie va mal, les salariés
deviennent une variable d'ajustement conformément à de prétendues lois du marché. Or tout ceci n'est que mystification ! L'Etat peut - et doit - reprendre la main en économie s'il ne veut
pas que le marché du travail ne devienne un grand casino où les salariés passeraient leur carrière à miser sur le mauvais numéro !
En définitive, n'en déplaise aux partisans de la flexibilité totale, le marché du travail ne sera jamais un marché comme les autres, tout simplement parce que les salariés ne sont pas une
marchandise ! A bon entendeur, salut...