Les épisodes de violences urbaines que la France connait depuis quelques années s’appuient toujours sur des faits déclencheurs dramatiques servants d’étincelles pour embraser pendant quelques jours des quartiers comme autant de poudrières. Il semble que ces révoltes soient inscrits maintenant dans une réaction quasi automatique d’une jeunesse face à ce qu’elle considère comme des violences et des bavures policières bénéficiant d’impunités et de protections judiciaires.
Une étude sociologique du centre d’analyse stratégique portée par 2 équipes sur le terrain a tenté de décrire la chronologie, les enjeux et les diverses influences (institutionnelles, médiatiques, associatives, familiales, etc.) des émeutes de novembre 2005 dans 2 villes de la Seine St Denis. Il en ressort que ces phénomènes sont le fait de très jeunes adolescents, exclusivement de sexe masculin qui bien souvent par mimétisme et par défoulement collectif quasi ludique participent aux affrontements et à la destruction de leur propre environnement sans en percevoir pleinement la gravité.
Un profond sentiment d’humiliation transparait tout au long de l’étude d’Olivier Galland et Michel
Kokoreff. Un déficit narcissique fomente un terreau particulièrement propice à l’explosion de violences. Le clivage grandissant entre les différents quartiers (quartiers populaires/quartiers résidentiels) est aussi décrit comme une cause favorisant les émeutes. Notons que de ce point de vue là, la situation de Chennevières offre un terrain particulièrement propice à ce type de révolte.
Au delà de cette étude, nous souhaitons aussi interroger les valeurs qui sont érigées en modèle dans notre société.
La surenchère médiatique
A la recherche du sensationnel, les médias sont friands de témoignages toujours plus radicaux, d’images de plus en plus spectaculaires. Cela participe bien sûr à l’alimentation de la violence et aux actes de délinquances particulièrement pendant les périodes d’émeutes.
De manière plus souterraine, les médias participent aussi quotidiennement à la perte de repères. Les jeux de la télé-réalité érigent en modèle le cynisme et l’individualisme. Chacun pour soi, éliminer les autres tel est le crédo. A tel point qu’une des insultes qui est apparue ces dernières années c’est d’avoir une tête de victime. La faiblesse ne suscite aucune compassion bien au contraire, uniquement du mépris. L’étalage sans pudeur des frasques des « peoples » fini de saper le peu de motivation qui reste et est un véritable encouragement à l’argent facile.
Pourquoi la jeunesse sur-consommatrice de TV, abreuvé jusqu’à plus soif de série américaine ou la violence est une fin en soit, de jeux toujours plus sordides les uns que les autres, d’affairismes financiers, politiques devrait-elle être plus vertueuse que la société qu’on lui présente ?
Repli sur soi et exclusion
La jeunesse de nos quartiers vit recluse, en quasi autarcie, dans un univers qu’elle décrit comme un ghetto. Pourtant, une fierté est perceptible dans l’affichage d’apparences extérieures (vêtements, comportements) afin qu’aucun doute ne soit permis sur l’appartenance à ces quartiers. Ces codes vestimentaires semblent agir comme une protection tribale du clan et en même temps comme une revendication d’une marginalité, d’une insoumission aux règles de la vie en société.
Un complexe de supériorité est nourri par le mythe qui véhicule qu’en ayant grandi dans ces quartiers, on a été soumis a une vie rude qui forge le caractère ce qui permet d’être mieux armé pour ce débrouiller dans la vie. Ce mythe, sans cesse renouvelé par le cinéma et le show-business, enferme tout une partie de la jeunesse dans des schémas qui les contraignent à s’exclure de la citoyenneté et participent à leur échec scolaire.
Comment renoncer à 16/18 ans aux illusions d’une vie que l’on admire à travers les héros fabriqués par l’industrie du disque ou du cinéma? Comment se résoudre à un prendre travail précaire, sous-payé, sans perspective d’ascension sociale alors que le modèle de réussite dans le quartier est basé sur l’économie parallèle ?
De plus, l’échec scolaire subit très fréquemment dès les débuts de la scolarisation crée un déficit narcissique qui sera soigné seulement par le groupe de copains. On se rassure et l’on brille auprès de la bande, cela panse les blessures, restaure la confiance en soi. Dès lors, la logique de clan supplante les autres influences (parentales, institutionnelles). Dès lors, la surenchère pour exister dans le groupe pousse vers toujours plus de radicalité.
Il est vrai que la victimisation est largement de mise dans les quartiers. Bien sûr, elle permet de justifier, à bon compte, son échec personnel mais il n’en est pas moins vrai que des signaux très forts d’exclusion entretiennent ce désarrois. Le patronyme, le morphotype sont, sans aucun doute, encore de forts handicaps en France. Les différents testing concernant l’accès aux discothèques, les CV nominatifs, l’accès à la location le démontrent d’une manière éclatante. Ceux, issus des ces quartiers, qui ont fait les efforts scolaires en décrochant par exemple un BTS se retrouvent majoritairement dans des emplois sous qualifiés comme par exemple agents de sécurité. D’autres, encore plus diplômés, sont soumis à la logique du plafond de verre qui les empêche d’accéder aux postes de responsabilité. Au lieu d’être des modèles de réussite, leurs parcours tends à renforcer le sentiment que le jeu est pipé d’avance, que rien ne sert à faire des efforts puisqu’au final (à court terme) il n’y a pas de résultat.
Une territorialité moyenâgeuse
Certaines bandes considèrent que leur quartier est un territoire à défendre. Là aussi l’imagerie mafieuse joue à plein. Pour faire prévaloir leur prétendue statut de propriétaire, elles n’hésitent pas à s’en prendre aux éléments qu’elles considèrent comme étrangers.
A ce titre, les interventions des forces de police et plus largement tous les représentants de l’Etat comme les pompiers sont vécus comme de véritables intrusions sur leur territoire. Certains considèrent qu’il s’agit de préserver les trafics mais en fait cela est plus pour valoriser un statut dans le quartier.
Le conflit police/jeune est de plus en plus tendu. Les jeunes reprochent à la police un harcèlement permanent notamment par des contrôles d’identité répétés. Les palpations, les mises à terre devant leur amis, leur famille sont vécus comme de véritables humiliations. Dès lors, tous les prétextes sont bon pour déclencher des affrontements. Pour la moindre interpellation, les fonctionnaires de police afin de se protéger se déplacent en nombre. Les véhicules encerclent les bâtiments et la scène est mis en place pour le début des hostilités.
Un conflit de légitimité
Les jeunes interviewés dans l’étude du centre d’analyse stratégique reconnaissent un rôle à la police, notamment en ce qui concerne les conflits de voisinage et autres interventions lors de bagarres par exemples. Par contre, ils trouvent illégitime que la police interviennent pour faire stopper les trafics. Ils considèrent que le fait d’être privés de travail à cause des discriminations dont ils se pensent victimes ouvre le droit de se procurer, par des moyens illégaux, les biens dont ils ont ont envie. Le conformisme de l’apparence, les inféode aux marques. La sur-enchère sur des produits hors de leur porté budgétaire les pousse à trouver des moyens alternatifs pour se les procurer.
Conclusion
Les communes les plus touchées par les émeutes ont été celles où les efforts dans les structures sociales et associative au coeur des quartiers ont été les plus faibles. En effet, ces structures ont joué un rôle de médiation et de prévention efficace qui a permis d’apaiser les tensions. La présence de policiers au contact direct avec la population au quotidien est aussi un facteur de prévention efficace. Malheureusement, M. Sarkozy, par pure idéologie, a supprimé la police de proximité pour concentrer les missions de la police sur l’intervention. Le rapport de force entre les jeunes et la police a dès lors cessé de croître. Le sentiment d’humiliation joue un rôle très important dans la révolte des jeunes. Ils sont en besoins de reconnaissance et c’est là un travail à engager sur le long terme. Valoriser les modèles de réussite, de toutes les réussites dans les quartiers est crucial pour sortir du cercle vicieux de l’exclusion, de la violence, de la répression.
De par sa configuration, une ville coupée en 2 par la N4, un quartier exclus du centre ville, Chennevières n’est pas à l’abri d’épisodes d’émeutes si par malheur un événement dramatique lors d’une confrontation avec la police dégénérait.
Il nous semble important que le rôle de la police municipale soit redéfini. Cette police doit être une police de dialogue, d’aide à la population tout en prévenant les incivilités et la petite délinquance. La présence au quotidien en premier lieu aux abords des collèges et des lycées permettrait d’amorcer un contact avec les jeunes, avec leur famille.
Pour en savoir plus :
comprendre les émeutes de 2005 – étude du centre d’analyse stratégique