Dans cette ville de la banlieue lyonnaise, le port du voile intégral se développe sur les visages féminins en même temps que s'ancre le rigorisme religieux.
"Vénissieux, c'est le pays de la burqa !", s'esclaffe Mourad, 19 ans, tandis que passe un couple : lui, barbe et petit calot ; elle, toute en noir "ensevelie". Dans les allées du vaste marché de la cité des Minguettes, elles ne sont qu'une poignée, ce jour-là, à porter le voile intégral. Un mot d'ordre est passé pour qu'elles se fassent discrètes. Les religieux essaient d'éteindre le feu. "D'habitude, on en voit une trentaine", raconte Corinne, qui vend des légumes. Au total, dans cette banlieue de 60.000 habitants mitoyenne de Lyon, elles seraient "plus d'une centaine", selon le maire communiste André Gérin. Une des concentrations les plus importantes de France. "La burqa est la pointe de l'iceberg. Dans certains quartiers, toutes les relations entre hommes femmes sont sous surveillance. L'islamisme nous menace réellement", explique l'élu, comme pour justifier le séisme qu'il a provoqué en réclamant une commission d'enquête parlementaire. Un pavé, un testament aussi. Après 25 ans de règne sur une ville autrefois érigée autour des industries de la région, le maire a décidé de passer la main avant la fin de son mandat. C'était la semaine dernière. Avant de partir, il a voulu alerter la République sur "l'intégrisme qui gangrène sa ville, et bien d'autres régions de France".
Incidents quotidiens aux guichets de la mairie
L'islam est probablement la première religion à Vénissieux, où plus de la moitié de la population est d'origine étrangère, principalement maghrébine selon Gérin. Et la plupart des salles de prières incrustées en bas des tours sont salafistes. Chaque jour, s'y diffuse un islam rigoriste. Près de la mosquée Essalem, bungalow enchâssé dans les bâtiments HLM, des adolescents commentent. "Une femme ne peut pas être près d'un homme sans que Sheitan (satan) ne rôde", dit un garçon. Son frère accompagne son épouse "partout". Dans la rue, les femmes portant le niqab - voile noir intégral - circulent presque sans choquer. Beaucoup les connaissent. Elles ont grandi dans le quartier. Elles ne se heurtent aux règles de la République qu'aux guichets de la mairie. "Les incidents sont quotidiens", se lamente Hélène Mexis. Responsable de toutes les formalités administratives à Vénissieux, elle est en première ligne. Pour le renouvellement de la carte d'identité ou du passeport, la photo tête nue entraîne de violentes protestations : "Ils nous accusent de racisme, nous menacent de représailles." Certaines femmes refusent finalement de se découvrir. Elles restent sans pièce d'identité. Mais c'est à l'occasion du dépôt des dossiers de mariage que les agents sont confrontés "à des hommes qui, bien souvent, monopolisent la parole et refusent que leur future compagne ne se découvre».«Françaises, souvent jeunes et d'origine maghrébine, ainsi que des converties, comme les maris", précise Hélène Mexis. Sans oublier les sans-papiers, car certaines unions sont arrangées par des gourous religieux entre les deux rives de la Méditerranée. Or les textes sont clairs : les fonctionnaires doivent vérifier l'identité des futurs conjoints et mener l'entretien à visage découvert pour mieux cerner si l'union n'est ni contrainte ni feinte. Enfin, la célébration doit se dérouler tête nue. De quoi crisper les obsédés de la règle islamique, des immigrées, mais surtout des
Les enfants de ces couples sont, pour certains, scolarisés dans les écoles de la ville. Chaque directeur gère ses "mères en burqa". "J'en ai deux, je reconnais l'une à ses yeux que je distingue à travers la fente et l'autre à sa silhouette", assure la responsable de la maternelle Jean-Moulin. "La mienne se découvrait dans la classe quand on parlait de sa fille", se souvient une institutrice de l'école Léo-Lagrange, qui apparemment ne veut exclure personne. "Vous savez, on a aussi des parents ivres. On fait avec. Ce qui compte, c'est l'élève", ajoute-t-elle. Des fillettes à la féminité en sursis. Dans la cour, l'institutrice les entend souvent évoquer ces "jupes et dos nus qu'elles ne mettront bientôt plus. Elles ont une conscience aiguë de leur condition". Partout, la pression religieuse s'accroît et prend dans ses filets des enfants toujours plus jeunes. Directrice de l'école primaire Charles-Perrault depuis 13 ans, Patricia Truong a vu les voiles fleurir. Presque la moitié des mères vont tête couverte tandis que les djellabas uniformisent les silhouettes. Les femmes sous burqa restent rares et Patricia Truong exige qu'elles se dévoilent pour vérifier leur identité avant de remettre un enfant. Mais "la question religieuse dépasse la burqa et s'avère très prégnante à l'école maternelle et élémentaire", s'inquiète-t-elle. Certains petits font le ramadan qui n'est pourtant pas prescrit aux enfants. "J'appelle systématiquement les parents pour expliquer que le jeûne est incompatible avec les activités scolaires", dit-elle. Beaucoup d'élèves boudent la cantine pour des raisons religieuses. La mairie a refusé la viande hallal, mais propose du poisson deux jours par semaine. "Les élèves sont beaucoup plus nombreux ces jours-là", confirme Bernard Curtet, directeur de l'école élémentaire Jean-Moulin. Jeudi, il y avait exceptionnellement du porc, mais les trois quarts des inscrits ont demandé le menu de substitution à l'école Charles-Perrault. Même ainsi, "on a des enfants en maternelle qui refusent de manger des carottes, car elles n'ont pas été égorgées !", raconte Patricia Truong. En primaire, le cours de biologie sur la reproduction est parfois contesté. "L'obscurantisme progresse", constate-t-elle.
Une contre-offensive municipale tardive
C'est pourtant de Vénissieux que partit "La Marche des Beurs" en 1983. Après une bavure, quelques fils d'immigrés mettent le cap vers la capitale pour enrayer la violence, et clamer leur désir d'être "des Français à part entière". À l'arrivée, ils sont 100.000 venus dire à la société française, autant qu'à leurs parents, qu'ils vont rester en France, qu'ils veulent s'intégrer, qu'ils réclament l'égalité. La gauche fraîchement arrivée au pouvoir donnera la carte de séjour de dix ans aux immigrés. L'égalité attendra. L'amertume gagne, l'islam aussi. Des prêcheurs sillonnent les banlieues dans le Rhône. Mais c'est à Vénissieux que se tient le premier congrès de l'Union des jeunes musulmans (UJM) en 1992. Inspirés par les Frères musulmans Tariq et Ramadan, les leaders relisent les injustices sociales à l'aune du mépris racial, du rejet de l'islam. Des animateurs, des éducateurs, des médiateurs, des professeurs de sport sortent de la pépinière UJM et relaient depuis ces années ce message. Dans les années 1990, des hommes vérifient parfois les cabas des ménagères pour traquer le jambon. On refuse des femmes aux enterrements. Il faudra l'expulsion de l'imam salafiste Bouziane, en 2002, pour déclencher la contre-offensive municipale. Deux projets de mosquée hors des caves sont en cours. Les relations avec les communautés musulmanes traditionnelles ont été renforcées. Sans stopper l'expansion des salafistes à ce jour.
"Apporter une réponse religieuse à ces dérives"
Partout en France, le nombre de femmes "ninja" suit une courbe "exponentielle", selon l'imam de Guyancourt (Yvelines), Abdelali Mamoun. Des communautés prospèrent en région parisienne. À Trappes, aux Mureaux, à Mantes, Argenteuil, Stains, Nanterre, Sartrouville, mais aussi Puteaux, Grigny, Évry ou encore Longjumeau et, désormais, dans des zones plus rurales. "Il faut apporter une réponse religieuse à ces dérives, prévient Abdelali Mamoun. Même si ces salafistes ne sont pas djihadistes, ils haïssent l'Occident, ils crachent sur les koufars, les infidèles, mais profitent de tous les avantages sociaux de la France. Sans s'installer sur une terre musulmane comme le veut pourtant leur doctrine. Leur duplicité nuit aux Français de confession musulmane." Une position que partage Mustapha Ghouila, président de l'Association nationale des élus de banlieue, qui a grandi à Vénissieux : "On ne peut pas tourner le dos à la France, à ses traditions, en provoquant ainsi en burqa."
Si le front antiburqa est large, certains ne voudraient pas "qu'un voile, même intégral, masque le fléau du chômage et la précarité". Parmi les Français de confession musulmane, beaucoup "sentent même une forme de solidarité avec celles qui portent le niqab, explique Azzedine Gaci, président du Conseil régional du culte musulman du Rhône, non pour défendre leur tenue, mais par réflexe identitaire." Parmi la jeunesse, toutefois, subsiste une relative indifférence devant ces voiles qui ont recouvert tant de têtes. Un "chacun fait ce qui lui plaît", version islamique, que résume Nizar : "Si la femme veut burquer, elle burque. Si elle ne veut pas, elle ne burque pas !" Des mots et un ton légers en décalage avec l'inquiétude grandissante que manifestent des élus devant un phénomène difficile à maîtriser.
Source du texte : FIGARO.FR
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