Alors que le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a dénoncé une "forme de génocide" par les autorités chinoises au Xinjiang, la presse turque met en cause les raisons de cette solidarité affichée avec les Ouïgours.
Les événements récents du Xinjiang (Turkestan oriental) ont une résonance particulière en Turquie, car les Ouïgours sont des turcophones musulmans qui vivent dans le prolongement géographique d'autres populations turques d'Asie centrale (Kazakhs, Ouzbeks, Turkmènes...) Au moment de la chute de l'URSS, la Turquie a redécouvert ces peuples turcs d'Asie centrale, ce qui a suscité dans le pays "une nouvelle vague de romantisme panturquiste", explique Taha Akyol dans Milliyet. "Il n'empêche, le panturquisme, qui tend à nier les particularismes de tous ces peuples turcs, n'a aucun fondement historique et sociologique. Dans ces conditions, construire une politique extérieure sur une telle base s'avère dangereux. Atatürk en son temps l'avait bien compris lorsqu'il a pris ses distances avec cette idéologie."
En 1991, le Premier ministre Süleyman Demirel évoquait "un monde turc allant de l'Adriatique à la muraille de Chine", explique à ce propos Türker Alkan dans Radikal. "Les Etats de la côte adriatique - où il n'y a plus de présence turque significative depuis belle lurette - n'avaient pas manifesté de mécontentement vis-à-vis de cette formule qui était sans aucun doute innocente, mais elle avait provoqué une réaction courroucée des Chinois qui n'avaient pas manqué de faire remarquer que ladite muraille de Chine passait précisément à 70 kilomètres au nord de Pékin. Demirel s'était alors bien gardé de répéter à nouveau ce slogan. D'autant plus que nos relations avec les républiques turques d'Asie centrale ne se sont pas développées autant que nous l'aurions espéré."
La situation au Xinjiang crée en Turquie une émotion particulière, écrit Semih Idiz dans Milliyet. "Les photos-chocs mises à la une des journaux turcs, même s'il s'est avéré par la suite qu'elles n'avaient pas toujours à voir avec les événements en cours, ont accentué l'indignation de la population turque à l'égard de la Chine. Tout cela favorise le développement d'un populisme politique." Selon l'éditorialiste de Milliyet, les dirigeants turcs, en soufflant à la fois le chaud et le froid, adoptent vis-à-vis de la Chine des positions incohérentes. "Une heure à peine après avoir réclamé un boycott de la Chine, le ministre du Commerce et de l'Industrie turc a dû se rétracter. Alors que le ministère des Affaires étrangères venait d'insister sur l'importance des relations avec la Chine, le Premier ministre Erdogan a accusé Pékin de "pratiquer un génocide à l'encontre des Ouïgours".
Dans le registre de l'incohérence, citons le cas de Rabiya Kadeer, la présidente du Congrès mondial ouïgour, qui vit aux Etats-Unis et qui a encore toutes les peines du monde, malgré la solidarité affichée par Ankara, à obtenir un visa pour venir en Turquie, où réside une importante communauté ouïgoure. Sur le site du Centre d'information du Turkestan oriental [ETIC], le journaliste turc d'origine ouïgoure Mehmet Emin Batur interpelle les autorités turques en leur demandant d'agir. D'autant plus que, selon lui, "les Chinois se sentent encouragés dans leur attitude criminelle à l'encontre des Ouïgours par l'accord de lutte contre le terrorisme qu'ils ont conclu avec la Turquie à la veille de cette répression sanglante. En effet, pour la Chine, les Turcs du Turkestan oriental qui réclament l'indépendance de leur pays sont bien entendu tous des terroristes !"
Source du texte : COURRIER INTERNATIONAL