Jamais il n’a fait aussi beau.
Mouches pompons. Métros loukoums.
Un chien de ma chienne prend une cuite
Dans une rue noiraude fêlée comme un cul.
Les pipeaux sont mûrs
Fenêtres précoces.
Les acacias quittent le siècle.
Les anges bouclent leur valise
Automne. Miches précieuses.
Désir de marcher devant soi, de tirer.
Les filles vont loin dans leurs corps
Devant la glace aux bruyères moins floues.
*
Ventre branluche, chien de galère,
Sa chambre fait rigoler,
Il mange n’importe quoi,
Chante avec les petits oignons.
Il n’a pas les mouches de tout le monde,
Une façon de se donner à la pluie, très particulière.
Les femmes lui trouvent un air
De vieux chapeau sur une patère.
Il a posé partout des pliants,
N’ose arracher la gueule du poisson.
Oiseaux frisquets, feuilles pincées.
Le printemps est la saison des morts.
*
Je bouge dans tous mes pots de bière.
Rien de plus proche de la beauté, de la mort
Certains soirs d’été, que des garçons en bretelles
Qui jouent avec des filles à l’humidité rose.
Le restaurant de l’angle perd son cuisinier
Qui tournique comme un pêcheur au lancer.
Vous le trouverez au bistrot arabe
Devant un pernod calme comme un lys.
À quelques pas, sa concierge lui passe un savon
– Cette jeune fille est encore venue –
Je vous assure, c’est une folle. Je ne la connais pas.
Elle le regarde monter, plus court soudain
Avec cette absence de regard d’un bleu sans commune mesure.
Yves Martin, Le Marcheur, Guy Chambelland, 1972, repris à La Table Ronde, coll. La Petite Vermillon, 1996
***
Mes « baies », ma terrasse,
Une solitude trop lumineuse
Disent les mauvaises langues,
Moi en premier, dix-huit
Jeunes arbres tombent,
Se relèvent, batifolent.
Foutue boussole,
Je m’en prends à l’immeuble d’en face,
J’éprouve une haine compatissante,
Débonnaire comme le pompon
Des magiques lapins.
À leurs fenêtres, les femmes ont l’air
De recompter le grand livre de la pluie,
De chercher l’erreur qui leur permette,
Ne serait-ce que quelques minutes,
De se délivrer en toute bonne conscience
À l’appétit du capitaine.
Il y a toujours une jeune fille
Qui me regarde plus profondément,
Elle agite les mains, elle cherche
À retenir mon attention
Je ne peux laisser faire cela.
Comme si je ne voyais pas
L’homme en train d’accumuler la mèche
(Bonne cible le shopping Félix Potin)
Comme si je ne reconnaissais pas
L’éternelle comédie de l’explosion
Qui ne se produit pas, pire
Que la plus nulle des morts.
*
De la rue, elle crie
Yves Martin, Yves Martin.
La mort doit hurler de cette façon
Quand elle loupe un de ses tours.
Elle se reflète dans la porte d’entrée
Là où se trouve la croix,
Collimateur, cible lyrique,
Qui croise-t-elle,
Le noctambule à la rose de serge ?
Elle sonne, frappe à ma porte,
Elle gémit, Yves.
Réflexe, je ferme toutes les lumières.
Quand j’ouvre, elle semble surgir
D’une montagne russe.
Elle s’assoit, « Ce n’est pas possible
Que tu ne répondes pas au téléphone. »
Je rallume peu à peu.
« Ici, tout est à moi. »
Elle veut boire quelque chose.
Je n’ai que du Bourgogne aligoté.
Demain, elle sera malade.
Dans la cuisine, elle caresse la boîte à sel.
« Nous l’avions achetée, ton père et moi. »
Elle se calme. En hobereau,
Je lui montre la terrasse.
À cette heure (plus de minuit)
Le 18 jeunes arbres
Bougent mystérieusement
Comme des chambrières
– torches de lin –.
Elle demande à rentrer.
Dehors, elle se retient à mon bras.
Son imperméable contre ma hanche :
Fougue de perdreau.
Taxi d’abord minuscule, colossal
Comme la bête de l’Apocalypse.
Au retour, dans un bouge
Avec la patronne, des adolescents,
Je trie – dérision, tendresse –
Les noms des jazzmen les plus célèbres.
Yves Martin, De la rue elle crie, Le Pont de l’Épée, 1982
Contribution de Jean-Pascal Dubost