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Art et internet (Notes sur la médiation) par Yann Le Guennec sur cémtutan

Publié le 13 juillet 2009 par Jérémy Dumont

Landart6

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Dans le système de médiation des arts plastiques fondé sur l’espace d’exposition (galerie, centre d’art, musée, …), l’organisation associée à cet espace agit comme une interface entre l’artiste et le spectateur. Comme interface physique, le lieu permet la disposition des œuvres, ou pièces, dans un espace accessible au public, et donc la transmission des productions. Comme interface culturelle, cette médiation est le moment de la contextualisation (expositions collectives, thématiques, accompagnée de textes critiques, de communication, etc…). Le spectateur identifie plus facilement des lieux de médiation qui présentent des pratiques que des pratiques sans lieux de médiation. (C’est ce que démontre par exemple le ready-made et il suffit de penser à un urinoir pour s’en convaincre.) Dans ce modèle, on peut considérer que l’artiste travaille dans son atelier et y produit des pièces. Ces pièces sont transmises dans des lieux de médiation. Ces lieux communiquent vers les spectateurs et leur permettent d’accéder aux pièces, physiquement et intellectuellement.

Certaines pratiques artistiques du XXème siècle ont déjà largement interrogé ce modèle, le Land Art par exemple, ou encore les performances. La nature éphémère de ces pratiques conduit éventuellement à la production de traces qui peuvent réinvestir les espaces de médiation évoqués précédemment. On peut même dire qu’en l’absence totale de traces, ces pratiques ne pourraient même pas être évoquées. Ces formes artistiques trouvent leurs racines dans les avants-gardes du début du XXème siècle et se sont réellement développées vers les années 1960, en même temps qu’Internet.

Ces pratiques conservent en commun avec des pratiques plus classiques comme la peinture et la sculpture, une production d’artefacts, choses matérielles ou événementielles, qui sont uniques, et précisément localisées dans le temps et l’espace. Qu’ils s’agissent de ready-made, d’installations in-situ ou de performances, ils ne peuvent chacun exister qu’à un endroit donné à un moment donné. Le lieu de médiation référent est induit par la nature nécessairement localisée dans le temps et l’espace de la pièce unique, et qu’il s’agissent de séries limitées ou non n’y change rien dans la mesure ou chaque élément d’une série est un élément différent d’un autre élément de la série.

Selon cette approche, l’art sur Internet est d’une toute autre nature. La pièce présente sur le réseau est instanciée, actualisée, nécessairement dupliquée dans un état original ou variable, lors de chaque accès, c’est à dire à chaque consultation, à chaque visualisation, chaque fois qu’elle est perçue, et ceci à partir de n’importe quel point du réseau. L’œuvre plastique sur Internet n’est pas localisée dans l’espace. Elle possède probablement un point de départ, mais elle circule dans l’espace des réseaux physiques par duplication. Elle est en conséquence un bien non rival, ce qui signifie que lorsque cette œuvre existe en un point du réseau, elle n’a pas pour autant disparu du point à partir duquel elle s’est dupliquée. En réalité, l’œuvre ne se déplace pas, elle se multiplie, dans le temps et l’espace.

L’accès à une œuvre sur internet peut donc se faire à partir de n’importe quel point du réseau, et cet accès provoque nécessairement une duplication et non un déplacement. De façon évidente, le lieu référent de médiation dans ce contexte perd alors sa nécessité comme lieu d’accès physique à l’œuvre. Mais quid de l’accès intellectuel, de la contextualisation, de la mise en perspective d’une œuvre avec d’autres, de la construction de discours critiques, etc… Ces aspects fondamentaux des pratiques de médiations sont tout simplement ouverts à tous les acteurs qui souhaitent y prendre part, dans la mesure ou la conduite de ces travaux dans le contexte du réseau ne demande plus les moyens auparavant nécessaires pour accéder à la multiplicité des œuvres distantes dans le temps et l’espace. Chaque point du réseau, chaque acteur, aux fonctions auparavant dissociées, est potentiellement capable de produire et rendre accessible simultanément des pièces ou des critiques, des mises en perspective, des contextes de monstration, des expositions. L’atelier, l’œuvre, la revue, le texte critique, l’espace d’exposition, les relations entre acteurs, tous ces constituants d’un système global de pratique sont ici de même nature, c’est à dire à un moment donné : numérique et en réseau.

Une fois saisie cette évolution, il est possible d’opérer un retour vers le lieu référent, localisé dans l’espace, comme point de départ (numérisation) et d’arrivée (impression, projection), comme point de production et de fabrication (atelier) et de monstration (exposition). Ce lieu peut favoriser les rencontres, en chair et en os, étendre les œuvres strictement numériques et immatériels avec des dispositifs matériels plus complexes, eux-mêmes nouveaux points sur le réseau, etc… Mais dans tous les cas ces lieux ne peuvent définitivement plus être exclusifs et les interfaces nécessaires et suffisantes à l’expansion et l’enrichissement global des pratiques artistiques. Cette redistribution et fluidification des rôles est une opportunité pour que ces lieux et organisations inventent et inaugurent également de nouvelles pratiques en rapport avec l’évolution de leur contexte.


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