Yves Martin (1936-1999) poète est
d’abord associé à l’éditeur qui le révéla au public, Guy Chambelland,
l’essentiel éditeur de sa poésie, publiant ses sept premiers livres, de 1964 à
1985. Commençons par cela : nul ne le décrit physiquement mieux que son
complice (et poète) Dominique Joubert1, « Sa silhouette
ubuesque, aux pantalons maladroits, quille d’un jeu dont il n’arrive pas à rire
lui-même »2 L’allure physique avait évidemment quelques retombées
sur la prosodie du poète, un rythme dégingandé de naviguant, de marin
urbano-parisien, plutôt corsaire que moussaillon, pillant le réel pour le
transformer en or et en merdre, sur un trottoir houleux, dont les ports étaient
cinémas et caboulots (« Le monde marin, c’est une obsession d’autant plus
curieuse que je n’ai jamais voyagé. Tout est maritime chez moi. Quand il fait
très beau, en montant de Barbès et en prenant la rue de Clignancourt, il y a ce
moment où le ciel est complètement dégagé, on se dit : derrière il doit y
avoir la mer »3). Une poésie foisonnante, débordant d’images (il
a gardé de l’enfance une malle (la caboche) pleine de trésors et une capacité à
l’émerveillement), passant d’un plan à un autre en rien de temps, ça va vite,
il faut suivre, il y a des raccourcis, c’est elliptique. Clerc de notaire pour
gagner sa croûte, vivant seul dans un appartement rempli de chats (on en
dénombra 17 ! – chacun portant le nom d’un écrivain –), goûtant le
Beaujolais (« un vin de cocher qui donne une ivresse gaie »4).
Il fut amateur de cinéma (hanta aussi les pornos – lire Les Rois ambulants –), écrivit des chroniques cinématographiques,
fut ami de Bertrand Tavernier. Oui, son rythme fait entendre une voix swinguée
d’images (il aimait le jazz), de marcheur, la voix d’une oreille grand ouverte
à l’autre, de préférence à celui vivant sous le seuil de pauvreté, financièrement
ou moralement, ouverte aux bruits de la rue dont il se faisait l’écho, une
sorte de Gargantua absorbant tout. Il prosait aussi, et accordait de
l’importance à cela, des nouvelles ou des récits qui avaient l’allure de très
longs poèmes en prose, suivant une vague narration comme on suit les talons
d’une passante ou d’un passant qui vous a ébloui à l’instant au point de
vouloir prolonger l’instant en éternité.
Aujourd’hui, beaucoup de ses livres sont difficiles à trouver voire
introuvables et il existe encore des inédits éparpillés (dont une épopée
bureaucratique), il serait temps qu’un éditeur rassemble en poche Biographies, Je fais bouillir mon vin, Poèmes
courts suivis d’un poème long, De la
rue elle crie et Mr William, et
qu’un autre (ou le même) collecte sa prose. Ce poète ne doit pas disparaître
dans les abîmes de l’histoire littéraire, ce serait scandaleux.
1Poète sur
lequel il nous faudra revenir sur Poezibao
2Nous ne saurions trop conseiller et avec insistance son
introduction lumineuse titrée « À l’enseigne du Bonheur des Tristes »
de l’édition des poèmes inédits d’Yves Martin qu’il a établie en 1996 pour le
compte de La Table Ronde, Le Manège des
mélancolies.
3Déclarait-il dans un entretien avec Éric Dussert dans la revue Brèves n°44
4Id.
Bibliographie
Poésie :
Le Partisan, Guy Chambelland, 1964
(Réédition La Table Ronde, coll. La Petite Vermillon, 1996, suivi de Le Marcheur)
Biographies, Guy Chambelland, 1966
Poèmes courts suivis d’un poème long,
Guy Chambelland, 1969
Le Marcheur, Guy Chambelland, 1972
Je fais bouillir mon vin, Le Pont de
l’Épée, 1978
De la rue elle crie, Le Pont de
l’Épée, 1982
Mr William, Le Pont de l’Épée, 1985
Assez ivre pour être vivant, La
Bartavelle, 1987
Je n’ai jamais su choisir, La
Bartavelle, 1990
La mort est méconnaissable, La Table
Rase/Les Écrits des Forges, 1990 (Réédition Le Castor Astral, 1998)
L’Hôpital vole, La Bartavelle, 1992
Le Pommier, Le Pont de l’Épée, 1992
Manège des mélancolies, poésies
inédites 1960-1990, édition établie par Dominique Joubert, La Table Ronde, 1996
Proses :
Je rêverai encore, Alfred Eibel
Éditeur, 1978
Un peu d’électricité sous un grand masque
noir, Le Cherche Midi Éditeur, 1978
L’Enfant démesuré, Le Tout sur le
Tout, 1983
Retour contre soi, Le Dilettante,
1987
Visions d’Anvers, Le Tout sur le
Tout, 1987
Testament Zéro, La Bartavelle, 1990
Vigneux-sur-Seine ou le Flâneur n’est
jamais perdant, Ville de Vigneux-sur-Seine, 1991
Gris bonheur, La Bartavelle, 1992
Le Nymphéa et le Confetti (avec
Christian Zeimert), Éditions Voix Richard Meier, 1992
Le Bouton d’or, Le Milieu du Jour,
1993
Les Surprises perpétuelles du
poisson-girafe (avec Didier Chenu), Fragments Éditions
Mes Prisonnières, Zulma, 1994
Les Rois ambulants, Zulma, 1996
État des lieux, L’Esprit des
Péninsules, 1997
Premier automne ému depuis longtemps,
La Bartavelle, 1998
Le cinéma français, 1946-1966. Un jeune
homme au fil des vagues, Méréal, 1998
Il faut savoir me remettre à ma place,
Le Cherche Midi Éditeur, 1999
Contribution Jean-Pascal
Dubost