Dans une perspective stratégique et économique, aucun gain tangible ne pourrait compenser les coûts pour l’Amérique de maintenir une présence indéfinie en Afghanistan. Un tel choix serait même contreproductif puisque la présence militaire américaine dans la région renforce les forces jihadistes qu’elle cherche à battre, et érode la réputation américaine, déjà bien amochée, à l’étranger.
Prenons par exemple les opérations actuelles contre les Talibans, Gulbuddin Hekmatyar, le réseau Jalaluddin Haqqani et d’autres groupes jihadistes en Afghanistan. Bien que l’armée américaine fait tous les efforts possibles pour éviter des morts de civils, ses frappes aériennes tuent des innocents, qui sont même souvent utilisés comme boucliers humains par les insurgés.
Tant que les militants peuvent exploiter de tels « dommages collatéraux » pour le propagande, ils attireront plus de nouvelles recrues à de leur cause et éroderont la légitimité du régime du Président Hamid Karzaï. Rester en Afghanistan pour protéger la réputation américaine est un faux raisonnement : prolonger les opérations de combat tuera toujours plus de civils et renforcera parmi les populations locales l’idée que les militants se battent contre l’injustice d’une occupation étrangère.
De nombreux analystes à Washington sous-estiment par ailleurs l’importance de l’histoire, de la culture et du nationalisme.
Le code d’honneur Pachtoun-wali, le code tribal pré-islamique auquel adhèrent les tribus pachtounes, valorise hautement l’honneur et la revanche. Les dommages collatéraux des attaques de drones américains au nord-ouest du Pakistan se propagent de manière désastreuse dans une telle société, dans laquelle les vendettas personnelles et collectives peuvent subsister durant plusieurs générations.
Certains à Washington postulent comme justification de la présence américaine, la menace des extrémistes. Mais trop souvent, ces mêmes personnes à Washington oublient à quel point peut être nuisible une interférence américaine qui n’est pas la bienvenue.
Dans le cas de l’Afghanistan et du Pakistan voisin, qui détient l’arme nucléaire, les dirigeants politiques ont négligé la mesure dans laquelle la mission ONU-USA favorise le soutien aux jihadistes dans la région.
La peur que l’Amérique perde le respect du monde après un retrait de l’Afghanistan a été instrumentalisé pour vendre une mauvaise politique étrangère à l’opinion américaine. Elle perpétue par ailleurs la vision à courte vue de l’ancien Président George W. Bush selon laquelle la guerre accroît l’autorité américaine.
La coalition devrait cesser son escalade militaire et se préparer au contraire à une stratégie de sortie. Parce que, comme au Vietnam, le plus longtemps l’Amérique reste et le plus d’argent elle dépense, le plus elle aura l’impression qu’elle doit demeurer dans le pays pour rentabiliser l’investissement . Mais ce n’est pas une stratégie gagnante.
Malou Innocent est analyste au Cato Institute