Opéra peu connu et très peu joué, aussi bien en France que dans les autres pays, Le roi d'Ys, de Édouard Lalo est pourtant une œuvre magnifique qui mériterait de sortir du purgatoire où la postérité l'a jetée. Car si la partition présente quelques faiblesses -vers la fin notamment- elle recèle également de pures merveilles.
C'est en 1876 que Edouard Lalo compose le premier jet de son Roi d'Ys. Le sujet est emprunté à la célèbre légende bretonne racontant la disparition de la ville d'Ys dans les flots de l'océan. Edouard Blau a concocté pour le compositeur un livret quasiment « sur mesure ». Le Roi d'Ys est le second opéra de Lalo. Le premier, Fiesque, n'a jamais été monté et seuls quelques extraits ont été entendus dans des concerts symphoniques. Le compositeur a acquis une grande notoriété, mais grâce à sa musique orchestrale. Son œuvre lyrique reste obstinément dans l'ombre. Il espère qu'avec Le Roi d'Ys, ses talents de compositeur d'opéra seront enfin reconnus.
En 1876, les concerts Pasdeloup jouent quelques morceaux du Roi d'Ys en concert ; en 1878, la Société des Concerts du Conservatoire en révèlent d'autres. Mais pour que l'opéra soit monté sur la scène du Palais Garnier, il faut intriguer, se faufiler dans les bons réseaux, se livrer à mille petits complots ; Lalo n'est pas du genre à se lancer dans ces intrigues qui empoisonnent le milieu lyrique de l'époque. Après de nombreuses démarches, le compositeur voit finalement son œuvre refusée par l'Opéra. Pour compenser son refus, on commande à Lalo un ballet ; il s'exécute, la mort dans l'âme, car il n'a jamais cessé de penser au théâtre et à la musique lyrique.
Ce n'est qu'en 1886-1887 que Lalo reviendra au Roi d'Ys. Il a connu la gloire, mais les dix dernières années de sa vie sont marquées par des échecs et des déceptions qui vont le pousser à se tourner vers ses œuvres de jeunesse qu'il révisera tout en pillant ses propres partitions. Le Roi d'Ys est ainsi remanié, réorchestré. Ce qu'il considérait autrefois comme un grand drame lyrique devient un simple opéra. Grâce à l'appui de Gounod, Le Roi d'Ys est créé le 7 mai 1888 au Palais Garnier : triomphe total, popularité immédiate... et durable ? Jusque dans les années 1960. Après... C'est le désert, presque l'oubli.
Le titre de l'ouvrage laisse présager que le fameux Roi tiendra une place importante : erreur. Ledit roi n'a pas un grand rôle dans l'opéra. Certes, il a la majesté sereine de son statut ; mais l'héroïne, c'est Margared, la Dahut (ou Ahès) de la légende bretonne. Personnage principal de l'intrigue, c'est sur elle que repose le ressort dramatique de l'action et elle est présente dans cinq tableaux de l'opéra. Margared est la femme fatale par excellence, amoureuse vindicative et jalouse, exclusive, entière et passionnée ; il faudra attendre le dernier acte pour qu'arrive enfin la rédemption par le suicide. Hmm... Scène qui rappelle étrangement un autre suicide rédempteur, celui de Senta à la fin du Vaisseau Fantôme.
Cet emprunt à Wagner n'a rien d'étonnant. Lalo était un grand admirateur du maître de Bayreuth. L'ouverture du Roi d'Ys rend d'ailleurs ostensiblement hommage à Wagner par un rappel du prélude de Tristan puis de l'ouverture de Tannhäuser. La scène finale, cependant, est trop fidèlement calquée sur celle du Vaisseau Fantôme pour ne pas affaiblir ce qui aurait dû être le point culminant de l'ouvrage. Mais ce sont les seules influences que contient la partition : le reste est totalement opposé aux conceptions wagnériennes de l'opéra.
Ce qui rend également le personnage de Margared très intéressant, c'est le choix d'une voix de contralto pour une héroïne d'opéra. En fait, la tessiture de Margared est celle d'une mezzo, voire d'une grande soprano dramatique assez proche de la Dalila de Saint-Saëns. Cette voix se rapproche de celle des héroïnes wagnériennes non par son volume mais par son étendue ; de plus, sur le plan du caractère, Margared appartient tout à fait à ce type d'héroïne. Est-ce un hasard si elle se confond avec Senta à la fin du dernier acte ?
Quant au livret, il reprend plus ou moins fidèlement la légende d'Ys telle qu'elle a été transmise dans de nombreuses versions. Edouard Blau a rajouté des éléments de son cru (histoire d'amour oblige) et si le diable n'intervient plus dans la destruction de la ville, Margared/Dahut est évidemment poussée au crime par la même passion amoureuse qui oblige la Princesse d'Ys à dérober les clefs des écluses au Roi Gradlon, son père. De même, Dahut n'est plus la débauchée qui accumule les amants et passe ses jours et ses nuits en liesse et ripailles. (Cette fois, pudeur et censure obligent.) Mais le drame final est le même, et la sentence du Ciel identique à celle de la légende, avec cette différence que dans l'opéra, Margared se suicide alors que Gradlon, dans la légende, jette sa fille dans les flots sur les conseils de Saint Guénolé. On ne sait pas ce que devient Margared après son trépas : la légende transforme Dahut en Morgane, sirène chargée d'entraîner les marins dans la mort. Certaines versions rajoutent que la malédiction qui a jeté Ys dans les flots sera lavée si une Messe du Rachat est célébrée le Vendredi Saint dans une des églises de la ville engloutie. D'autres confondent cette légende avec celle de Vineta, cité du bord de la Baltique, elle aussi engloutie, et que seule peut ramener définitivement sur la terre ferme l'achat, lors d'une de ses réapparitions (tous les siècles), d'un objet fait par un étranger avec une pièce de monnaie appartenant à la ville. Une autre version encore montre comment deux jeunes gens, en refusant de porter le fagot d'une vieille femme rencontrée sur la grève, empêchent Ys de ressurgir des flots... Comment savoir quelle version est la bonne ? Est-ce si important ?...
ARGUMENT : Acte I - Devant le palais d'Ys. La foule se réjouit de la fin de la guerre et de son heureux dénouement. Margared, fille du roi, est fiancée au chef ennemi, Karnac. La foule quitte la scène et les deux sœurs (Margared et Rozenn) apparaissent : Rozenn demande à Margared pourquoi elle parait si triste en ce jour de fête. La jeune fille lui répond qu'elle aime un autre homme qui se trouvait sur le bateau de Mylio que l'on n'a pas revu depuis la fin des hostilités. Elle hait Karnac, parce qu'il l'enlève à l'homme qu'elle aime et parce qu'il l'éloigne de sa patrie.
Demeurée seule, Rozenn exprime son amour pour Mylio lequel apparaît et ils se promettent de s'aimer pour la vie. Mylio parti, le roi revient avec sa suite, Margared et Karnac. Le peuple se réjouit de ce mariage et Rozenn apprend à sa sœur que Mylio est de retour et que l'homme dont Margared est amoureuse doit être également revenu. Margared se tourne alors vers son père et refuse la main de Karnac, qu'elle n'aime pas. Karnac jure de se venger en détruisant Ys. Consternation générale jusqu'au moment où Mylio, rentré entre temps, jure de combattre pour Ys. La foule acclame le jeune homme.
ACTE II - La grande salle du palais. Margared de la fenêtre regarde le rassemblement des troupes de Karnac. Mylio va conduire les armées d'Ys. Elle exprime alors la violence des sentiments qu'elle ressent pour lui. Elle soupçonne Mylio d'aimer Rozenn et si c'est le cas, l'amour qu'elle a pour eux se transformera en haine implacable. Le roi entre, suivi de Rozenn et Mylio. Margared se dissimule et entend sa sœur avouer son amour pour Mylio. Le roi les bénit puis part avec Mylio. Margared sort de sa cachette et fait face à sa sœur : que Mylio meure plutôt que dépouser Rozenn ! Cette dernière, horrifiée, essaie en vain de se défendre : Margared maudit sa sœur et jure de se venger d'elle.
La grande plaine aux pieds du château. Proclamé vainqueur, Mylio attribue la défaite de l'ennemi à la l'intervention de Saint Corentin, le saint patron d'Ys. Tout le monde sort. Entre Karnac, épuisé, vaincu. Margared l'interpelle et lui offre de se venger. Avec son aide, elle ouvrira les écluses et la mer inondera la ville. Quand ils passent devant la chapelle de Saint Corentin, Margared défie le saint d'empêcher la ruine de la cité. Le ciel s'assombrit. La statue du saint s'anime et l'exhorte à se repentir.
Acte III - Une galerie du palais ; porte donnant sur les appartements de Rozenn. La coutume bretonne veut qu'elle soit gardée par des jeunes filles devant empêcher le fiancé de passer. Mylio rejoint les hommes de sa suite et plaide sa cause : Rozenn cède à sa demande. La procession se dirige vers la chapelle. Quand retentit le Te Deum, Margared et Karnac s'introduisent dans le château. Karnac exige qu'elle tienne sa promesse mais Margared hésite à détruire Ys. Il la presse jusqu'à la rendre folle de jalousie. Mylio et Rozenn sortent de la chapelle ; prise de remords, Margared, alors que des cris d'alarme retentissent au-dehors, avoue que Karnac a ouvert les vannes et qu'elle l'a tué.
Le sommet de la ville. Les habitants s'y sont réfugiés et prient pour échapper à la mort. L'eau continue de monter ; le roi pleure la disparition de la moitié de la ville dont la plupart des habitants sont déjà morts. Soudain, Margared, dans une sorte de vision, déclare que la mer ne se retirera pas tant qu'on ne lui aura pas sacrifié une victime. Elle déclare vouloir être cette victime : c'est elle qui a provoqué le désastre en ouvrant les vannes. Elle doit mourir. Elle se jette à la mer, le calme revient et le peuple remercie Saint Corentin de l'avoir sauvé.
VIDEO 1 : Jane Rhodes - Air de Margared, acte II.
VIDEO 2 : Nathalie Manfrino - Défense de Rozenn, Acte II.