Intervention sur la motion de censure. Mercredi 8 Juillet 2009. Yves Cochet

Publié le 11 juillet 2009 par Chezfab
Enfin une intervention intelligente sur la crise ! Merci à Yves Cochet, ça nous change des disours de Daniel Cohn Bendit quand même non ?

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M. Yves Cochet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, chers collègues, la motion de censure présentée par le groupe SRC est justifiée et nous la voterons.

Cependant, les raisons qui nous y incitent sont parfois différentes de celles évoquées par le président Fabius. Avec vous, je veux d’abord comprendre d’où vient la récession mondiale actuelle, en reconstituant l’enchaînement des causes et des conséquences, autrement dit en replaçant les dominos dans le bon ordre de leur chute.

L’hypothèse initiale est simple : si la dépense en énergie et en matières premières croît plus vite que le revenu, alors la part du revenu destinée aux autres dépenses décroît – par exemple les remboursements d’un emprunt contracté pour acheter un logement.

Or la stagnation, puis le déclin de la production de pétrole brut conventionnel depuis 2005 ont entraîné la hausse rapide des produits pétroliers jusqu’en juillet 2008. Ainsi, dès l’été 2007, la crise des crédits hypothécaires – les subprimes – émerge de l’incapacité des ménages les moins riches à rembourser leurs emprunts…

M. Jean-Pierre Brard. Parce qu’il n’y a pas de justice sociale !

M. Yves Cochet. À budget domestique égal, ces ménages ont restructuré leurs dépenses en continuant d’acheter l’obligatoire plus cher – les carburants ou l’alimentation par exemple – et en économisant sur le non-obligatoire – les remboursements des emprunts immobiliers, par exemple.

M. Jean-Pierre Brard. Vous n’avez pas d’hameçon, au Gouvernement ? Parce que celui-là, on vous le donne !

M. Yves Cochet. De même, au printemps 2008, les émeutes de la faim étaient aussi une conséquence, dans le secteur alimentaire, de la hausse des produits pétroliers dont dépend lourdement l’agriculture productiviste : le machinisme, les engrais, les pesticides et autres dépenses.

En outre, la raréfaction du brut a amplifié la production d’agrocarburants en lieu et place de l’agriculture alimentaire. Ce n’était plus le pétrole qui servait l’agriculture, mais l’agriculture qui produisait un mauvais substitut de pétrole… Hélas ! Dès septembre 2005, la France a choisi ces agrocarburants catastrophiques.

Premier domino à basculer : le cours du baril à New York. Second domino : les défauts de remboursement d’emprunts hypothécaires des ménages. Le troisième, par agrégation des seconds dominos par dizaines de millions : une perte de rentrées financières pour les banques qui, un certain volume étant dépassé et la folie de la titrisation aidant, perdirent brutalement confiance les unes dans les autres en septembre 2008.

À ces facteurs lourds, s’ajoutait l’immense dette étasunienne, constamment croissante depuis une décennie. La crise actuelle est donc d’abord et avant tout une crise du sous-sol, une crise des énergies fossiles et des matières premières. C’est l’économie matérielle qui est à l’origine de la crise financière et non l’inverse.

M. Pierre Gosnat. Ce n’est pas le capitalisme ?

M. Yves Cochet. Cette conclusion peut être obtenue une deuxième fois en regardant l’histoire réelle – telle qu’elle s’est déroulée au cours de ces dernières années et non pas en racontant les fantasmes du libéralisme économique – et en raisonnant par l’absurde.

Si c’était le resserrement du crédit qui avait engendré la récession, les économies européennes auraient plongé après septembre 2008, alors que leur croissance a chuté dès mars 2008, est devenue nulle en mai, puis négative – selon la célèbre expression de la ministre de l’économie Christine Lagarde ici présente – ensuite.

En effet, il faut éliminer un autre cliché : les économies de la zone euro et du Japon sont beaucoup plus vulnérables aux pointes de prix des matières premières et du pétrole que l’économie des États-Unis, pays qui produit encore un quart de sa consommation de pétrole, entre autres. Cette sensibilité négative aux prix élevés du pétrole et des matières premières, les quatre cinquièmes de l’économie réelle des pays de l’OCDE la ressentent, notamment dans les secteurs des transports et de l’agriculture.

Cette analyse matérialiste s’accorde mieux que les autres aux cinq dernières récessions mondiales que nous avons connues depuis 1973 – je pourrais reprendre les propos tenus depuis lors, à droite comme à gauche, ce qui pourrait être un sujet d’intérêt pour les historiens. À l’exception de la crise dite asiatique de 1998-1999, je l’avoue, les quatre autres récessions furent précédées de fortes hausses du cours du baril et des matières premières.

La dernière de ces hausses atteint 500 % entre 2002 et la mi-2008, soit trois à quatre fois plus que les hausses observées lors des premier et deuxième chocs pétroliers des années soixante-dix ou lors de la guerre du Golfe en 1991.

Tandis que la bulle immobilière incitait les ménages américains défavorisés à résider plus loin de leur travail pour acquérir une maison moins chère, la hausse concomitante des carburants les frappa plus lourdement encore, à proportion de leur éloignement. Ce qu’ils avaient espéré gagner en vivant loin de la ville avec un gallon d’essence à moins de deux dollars, ils le perdirent lorsque celui-ci dépassa les trois dollars.

L’implosion de la bulle immobilière seule aurait pu ralentir les économies américaine et mondiale ; il aura fallu la forte hausse des produits pétroliers depuis 2007 jusqu’à la mi-2008 pour engendrer la récession.

La quasi-totalité des commentateurs de révérence, des responsables politiques – comme ceux qui viennent de s’exprimer – et des économistes orthodoxes et conformistes s’en tiennent à une analyse interne du système financier et de ses tares qui ne constituent pourtant que le quatrième domino qui tombe.

Les plus prolixes d’entre eux nous abreuvent de longs discours et d’articles outrés sur les scandales que constituent les revenus démesurés des « patrons voyous », les bonus et autres parachutes dorés des dirigeants de telle ou telle entreprise, les dérégulations opérées ces dernières années par le capitalisme financier, sous l’égide du gourou Alan Greenspan que tout le monde voue aujourd’hui aux gémonies – mais Dieu sait si on l’a adulé pendant une quinzaine d’années –, et sur les risques insensés pris par les investisseurs immobiliers. Nous avons tous été incapables d’imaginer un possible retournement des prix depuis 1945 : la croissance devait durer toujours ; seuls quelques analystes avisés nous ont aidés à penser les mécanismes cognitifs de l’aveuglement au désastre que nous connaissons aujourd’hui.

Mais pour essayer, comme nous y invitait M. le Premier ministre, d’avoir une pensée un peu plus complexe et d’apprécier le retour des conséquences sur les causes, approfondissons maintenant le raisonnement que je viens de tenir pour affiner l’évaluation que nous pouvons faire, à ce stade, de l’ampleur et de la durée de la récession. Il convient de complexifier un peu la chaîne causale des dominos en examinant comment la chute des derniers d’entre eux – d’ordre financier – provoque une accélération de la chute des premiers dans une boucle de rétroaction positive de ceux-là sur ceux-ci. Convenons d’abord qu’il existe un domino zéro, lequel n’est autre que le déclin géologique de la production de pétrole brut conventionnel depuis 2005 : ce fait est avéré tous les mois par les statistiques de l’AIE et de l’EIA – pour ceux qui comprennent de quoi je parle. Je vois que cela vous fait rire, madame la ministre de l’économie : rira bien qui rira le dernier ! Prenons date pour les mois qui viennent : nous verrons bien ce qu’il adviendra de votre plan de relance !

M. le président. Vous avez demandé, monsieur Cochet, si l’on comprenait ce que vous disiez : c’est ce qui a fait sourire certains, qui avaient compris. (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas sûr ! La pédagogie voudrait que l’on répète !

M. Éric Raoult. Ce serait un ricochet ! (Sourires.)

M. Yves Cochet. L’AIE est l’Agence internationale de l’énergie, et l’EIA, l’Energy information administration, c’est-à-dire le ministère américain de l’énergie.

M. Jean-Pierre Brard. Je ne parlais pas de cela !

M. le président. Chacun avait compris, monsieur Cochet.

M. Yves Cochet. Dont acte, monsieur le président : je vous remercie de cette mise au point.

Face à une demande mondiale croissante, disais-je, le pétrole supplémentaire ne provient plus que de l’extraction des réserves non conventionnelles, extraction coûteuse qui entraîne la chute du premier domino : la hausse des cours du baril et des prix des produits pétroliers. Le second domino – la bulle immobilière, laquelle implose d’ailleurs plus qu’elle n’explose – se dédouble, puisqu’il entraîne, d’une part, la crise de remboursement des crédits hypothécaires risqués puis la baisse des prix de l’immobilier et, d’autre part, les difficultés des compagnies aériennes et des industries automobiles. Ainsi, le plus grand pays libéral du monde a nationalisé General Motors : fait stupéfiant pour les tenants du libéralisme ! En France, l’État a injecté quelque 10 milliards d’euros dans les entreprises Renault et Peugeot, moyennant quoi celles-ci ont instantanément licencié environ 11 000 salariés. J’ai vu, d’ailleurs, que Peugeot avait lancé un nouveau « crossover » – c’est ainsi qu’on les appelle désormais, le terme « 4×4 » étant devenu écologiquement incorrect. Quant à Renault, il a lancé le modèle Koleos l’an dernier, sans aucune étude de marché : autre exemple de marketing irresponsable.

J’ai évoqué les compagnies aériennes : on sous-estime les difficultés de Lufthansa, British Airways ou Air France. On verra dans quelques années – M. Christian Blanc le sait sans doute mieux que d’autres – que même une compagnie comme Air France sera durement touchée par le prix du kérosène, indexé sur le cours du baril qui ne tardera pas à augmenter, pour des raison objectives indépendantes de tout volontarisme politique.

Les deux facteurs que j’évoquais provoquent la crise bancaire, puis le resserrement du crédit et enfin la récession. D’autres dominos tombent alors : affaissement du marché des produits dérivés sur le marché pétrolier, diminution de la demande mondiale de pétrole, laquelle diminution provoque la baisse des prix du pétrole et la réduction de la production. Évidemment, l’OPEP tente de faire remonter le cours du baril en fermant un peu les robinets, mais cela ne marche pas. Il s’ensuit un ralentissement général des investissements dans l’exploration et la production pétrolières visant à compenser la déplétion géologique : extraire un baril pour 80 dollars pour le vendre 60 dollars, autrement dit à perte, n’offre évidemment aucun intérêt. C’est pourquoi la production mondiale de pétrole décroît et continuera à décroître, pour conduire bientôt à quelques pénuries et à un deuxième choc sur les prix après celui de 2008. La boucle sera alors bouclée, après la hausse rapprochée des prix des produits pétroliers et de toutes les énergies, dont on sait, quoi qu’en disent Mme la ministre de l’économie et M. le Premier ministre, qu’il n’ont rien à voir avec des prix de marché : ce sont, depuis 1947, des prix soviétiques, administrés ; bref, des prix politiques.

Cette croissance des prix de l’énergie reviendra heurter à la baisse les prix de l’immobilier hors agglomération, à la hausse le coût des transports et de l’alimentation – comme en 2007 et en 2008 –, et à la baisse la santé déjà défaillante des compagnies aériennes et des industries automobiles. La récession deviendra dépression par quelques événements économiques et sociaux importants, tels que des faillites de grands États : M. Schwarzenegger a ainsi annoncé il y a quelques jours que la Californie, neuvième économie du monde, était au bord de la faillite, et que les fonctionnaires n’y seraient plus payés pendant trois jours par mois. Quant à la situation en Hongrie, en Espagne ou, plus grave encore, en Grande-Bretagne, nous en reparlerons peut-être dans quelques mois : on peut certes débloquer quelques milliards pour l’Islande, mais pour la Grande-Bretagne, madame la ministre de l’économie, c’est tout autre chose.

Outre la probable faillite d’un grand pays, on assistera à une dislocation du système financier mondial qui dépassera celle que nous avons connue, et à une très forte augmentation du chômage – c’est malheureusement une quasi-certitude. Quand ? Bientôt. Autrement dit, il n’y aura plus de « reprise », comme le prétendent M. le Premier ministre et les commentateurs aveugles qui l’annoncent éventuellement pour 2010. La croissance du PIB est terminée ; la décroissance n’est même plus un objet de débat mais une réalité : elle est notre destin. Je l’avais déjà dit en octobre 2008, et je le répète aujourd’hui. Pour le moment, l’histoire me donne raison.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est Malthus !

M. Yves Cochet. Ces affirmations péremptoires, me demanderez-vous, sont elles partagées par d’autres analystes ?

M. Jean Dionis du Séjour. Par Malthus, mais cela remonte au XVIIIe siècle !

M. Yves Cochet. Oui, notamment par les experts du LEAP/E2020 – Laboratoire européen d’anticipation politique/Europe 2020 –, un groupe européen de réflexion prospective. La crise systémique pourrait évoluer vers des situations de chaos social, faites de violentes révoltes populaires. Dans son bulletin du 15 février 2009, le LEAP/E2020 annonce le « début de la phase 5 de la crise systémique globale : la phase de dislocation géopolitique mondiale ».

M. Jean Dionis du Séjour. Et ensuite, c’est la fin du monde !

M. Yves Cochet. J’espère que les interruptions de certains collègues seront consignées au Journal officiel.

M. le président. Monsieur Cochet, veuillez poursuivre.

M. Yves Cochet. Les dirigeants du monde n’ont pas tiré les conséquences de l’effondrement en cours du système qui organise la planète depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. « Hélas, à ce stade, il n’est plus vraiment permis d’être optimiste en la matière », poursuit le LEAP. « Aux États-Unis comme en Europe, en Chine ou au Japon, les dirigeants persistent à faire comme si le système global en question était seulement victime d’une panne passagère et qu’il suffisait d’y ajouter quantité de carburants (liquidités) » par dizaines ou centaines de milliards « et autres ingrédients (baisse de taux, achats d’actifs toxiques, plans de relance des industries en quasi-faillite…) pour faire repartir la machine. » Nous avons encore entendu ce refrain aujourd’hui. « Or […] le système global est désormais hors d’usage. Il faut en reconstruire un nouveau au lieu de s’acharner à sauver ce qui ne peut plus l’être. »

Dans son dernier bulletin, daté du 16 juin, le LEAP envisage l’arrivée, dans quelques mois, de trois « vagues scélérates » : la vague du chômage massif et brutal ; la vague déferlante des faillites en série – entreprises, banques, immobilier, régions, villes et peut-être États ; la vague de la crise terminale des bons du Trésor américain, du dollar et de la livre sterling, et le retour de l’inflation. « Ces trois vagues », indique le LEAP, ne sont pas successives mais « simultanées, asynchrones et non parallèles. De ce fait, leur impact sur le système mondial est générateur de dislocation puisqu’elles l’atteignent sous divers angles, à différentes vitesses, avec des forces variables ».

Que faire ? disait Lénine il y a un siècle (« Ah ! » sur les bancs du groupe NC) et mon ami Daniel Cohn-Bendit il y a trois mois. Un Green New Deal, c’est-à-dire un nouveau contrat vert et social pour l’Europe et pour la France. Nos concitoyens en ont partiellement ressenti la nécessité en nous accordant quelques suffrages le 7 juin dernier. Ici même, la majorité – peu présente à ce moment du débat – et le Gouvernement auraient pu s’emparer du sujet lorsque, en janvier dernier, nous avons présenté une proposition de loi tendant à faire de l’empreinte écologique un indicateur prioritaire des politiques publiques. Vous l’avez hélas rejetée. Une seconde chance vous a été offerte le 28 mai par François de Rugy et les députés Verts, avec la proposition de loi sur la transformation écologique de l’économie, texte que vous avez lui aussi rejeté.

Mais il n’est pas trop tard pour bien faire, à condition, bien sûr, d’abandonner les vieilles lunes de la croissance – dont on vient encore de nous rebattre les oreilles – comme les prétendues loi de l’économie néoclassique, et de présenter au pays un vaste programme d’urgence écologique et sociale, fondé sur la sobriété et la solidarité, et inspiré par les raisonnements géologiques, thermodynamiques et systémiques que j’ai développés. Mais sans doute n’est-on guère habitué à manipuler ces concepts à Bercy et ailleurs.

Je vous demande donc, monsieur le Premier ministre, de renoncer à votre plan de relance symbolisé par les mille chantiers présentés en février dernier, et de vous convertir à la transformation écologique de notre économie telle que nous l’avons longuement expliquée lors de la campagne des élections européennes. En février dernier, vous avez déclaré sur Europe 1 : « Aucun plan de relance ne permettra d’éviter la crise. Personne aujourd’hui ne peut savoir quand on sortira de cette crise. Ce qu’on sait, c’est que toute l’année 2009 sera une année de crise. »

M. Éric Raoult. Il avait raison !

M. Yves Cochet. Vous pressentiez alors le caractère hors normes du phénomène actuel, mais formuliez aussi un aveu d’impuissance sidérée.

Si nous consentons tous à décoloniser notre imaginaire et à changer de paradigme de pensée, comme j’ai tenté de le faire sommairement aujourd’hui, nous pouvons proposer un autre plan à notre pays : un plan d’urgence écologique et social – euphémisme de ma part, je le reconnais, tant la crise pourrait être beaucoup plus grave encore. Notre pays a donc besoin d’un sursaut intellectuel et politique dans les mois et les années à venir. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)