à Suspicious River

Par Clarinette
Suspicious River est une petite ville du Michigan. Leila y est réceptionniste dans un motel : Le "Swan Hotel". Elle est mariée à Rick, avec qui elle mène une vie en apparence paisible. Mais, pour quelques dollars supplémentaires, elle suit certains clients dans leur chambre. Ce ne sont pourtant ni l'argent ni le plaisir qui la motivent. Petit à petit, on remonte le fil de son histoire, jusqu'à sa mère, Bonnie, dont Leila imite le comportement monstrueux, comme pour en expier les fautes. Un jour, Gary, pousse la porte d'entrée de l'hôtel et avec lui, Leila, va aller plus loin. Avec sa poésie étrange et unique, Laura Kasischke, expose la part de vice et de perversité qui se cache derrière les gens ordinaires. Elle saisit des petits détails, des choses banales et en montre l'aspect, poisseux, glauque et sordide. Elle pose, même sur les moments de bonheur, de beauté ou de plaisir une petite tache qui va ternir le tableau et susciter le malaise. Leila va aller jusqu'au bout de son calvaire, sans lutter, comme si c'était nécessaire, comme si c'était son seul moyen de se sentir vivante et comme si, au bout, une nouvelle naissance était possible.
extrait : "Je n'avais jusqu'alors jamais ressenti le besoin de regarder un homme comme les hommes semblent regarder les femmes -ces femmes sur les couvertures glacées des magazines, les hanches en avant et la bouche brillante à moitié ouverte, ou sur les affiches- ces femmes provocatrices qui surgissent des téléviseurs pendant que leurs maris, assis dans leurs fauteuils, s'efforcent de ne pas les regarder devant leurs épouses, tout en le faisant. Au drugstore, ces hommes se plantaient toute la journée devant les présentoirs des magazines, ils regardaient des pages et des pages de femmes qu'ils ne rencontreraient jamais, qu'ils ne toucheraient jamais, dont ils ne connaîtraient jamais ni le nom ni la voix : des femmes applaties, unidimensionnelles, qui tripotaient leurs mammelons, en regardant dans le vide. Dans le néant qui se trouvait devant elles. Etalées, ces femmes n'étaient que des angles et des lignes, de la lumière sur de l'ombre et, quand je les regardais, je me souvenais toujours d'avoir lu au lycée, dans notre livre de sociologie, un texte sur une tribu primitive perdue, dont les memebre ne voulaient pas laisser l'homme blanc les photographier, parce qu'ils pensaient que les caméras leur volaient leur âme.
Ces femmes en étaient la preuve, me disais-je. Le monde n'était qu'une fausse toile de fond, comme si rien n'avait jamais existé et n'existerait jamais devant ou derrière elles."

A Suspicious River, Laura Kasischke, Points, 404p.