La mort est avant tout la destinée tragique et individuelle d’un être, elle est le récit d’une fin de vie dont les derniers instants sont saisissants de manière parfois insupportable lorsque la mort survient de manière accidentelle. Quelles peuvent-être les sensations des victimes du Vol AF447, du vol de la Yemenia Airlines ou de l’hélicoptère dans l’Ain. Deux ou trois minutes de chute libre au dessus de l’Atlantique, inconscient probablement, conscient peut-être, face à la mort quelques milliers de mètres en dessous de vous, vos vêtements arrachés par le souffle de la dépressurisation, votre corps meurtri par les écorchures ou fractures provoqués par les objets heurtés au moment de la dislocation de l’appareil, l’océan comme un mur de béton, sans que n’ayez la conscience d’esprit de vous en rendre compte, ou avec peut-être le secret espoir de survivre au choc de la rencontre avec l’élément liquide dans lequel vous avez d’ailleurs passé vos premiers mois.
Mais la mort, c’est aussi pour ceux qui restent, l’atroce remise en perspective de nos inéluctables destinées. Reste à connaître l’heure et la méthode. A ce titre, l’image de ces jeunes femmes et de ces jeunes hommes ayant péri dans la catastrophe de Bregnier-Cordon dans l’Ain est insupportable car inimaginable. Périr tranché, décapité par les pales dans la chute au sol de l’hélicoptère à bord duquel vous avec pris place… Corps sans vie, fragmentés, vidés de leur propre sang et ensanglantés. On touche à l’impensable, à l’irrecevable face à la fatalité du destin, face à la brutalité de la fragilité des corps, matérialité biologique maléable et sécable, au regard de la force et du diktat de la représentation de l’être dans l’imaginaire humain, à l’idéal de beauté et d’intégrité dans la mort, notion probablement liée aux croyances en l’au-delà ou en la réincarnation.
Que devrait-on penser de la crémation. Je préparais ce dimanche le feu pour griller quelques côtes de porc à la moutarde sur mon barbecue. Les fragments de planches, les buchettes que j’utilisais flambaient dans un feu vif et fusant. Je ne pouvais que constater de nouveau ma fascination face au feu nourricier et primitif, tout en ne pouvant m’empêcher de penser au fait que j’avais décidé un jour de l’an 2000 de mettre au feu le corps sans vie de mon père pour le rendre à l’état de poussière et permettre à mes proches de garder une trace même symbolique de lui au plus près de nous. Impensable, le corps d’un être cher mis à feu, dégradé, carbonisé puis pulvérisé. Sauf à imaginer comme en Inde que la dématérialisation du corps peut-être un atout dans la transcendance de l’âme de votre défunt. Purification, rédemption, retour à l’innocence, retour à la terre sans pourrissement biologique, sans dégradation putride et animal, et image à jamais figée pour tous les hommes, ne restant de l’être cher que quelques photos et une urne réceptacle de l’imaginaire que chacun pourra y investir.
Il y a quelques jours, c’était l’anniversaire de naissance de mon père. Avec le temps, nous nous accommodons à la perte de l’autre avec nos propres armes. La douleur peut s’effacer, ou pas. Dans mon cas, la vie va son chemin. J’ai décidé désormais de ne plus célébrer le jour de sa mort, et d’en revenir au souvenir du jour de la naissance de celui qui, avec ma mère, m’a donné la vie.