La BD rejoint aussi les amateurs d’histoires bien écrites à saveur humaine, et après cette lecture, j’en suis convaincue plus que jamais. Dès les premières pages, je me suis plu à voir un auteur expérimenté installer son histoire, préparant le terrain avec beaucoup de naturel. Sans effort, comme le souffle qui sort d’une bouche pour parler. Comme les conteurs d’antan qui réchauffaient la salle avant de se lancer au cœur de leur conte. Ce n’est pas parce qu’on ne voit pas les fils maniés par un auteur que l’habileté n’est pas là, ce serait même le contraire.
Case après case, on s’invite doucement dans la belle-famille de Paul. C’est le temps ou jamais de le dire ainsi ; on se familiarise. On crée des liens, on s’attache. Il est facile de se mirer dans leurs habitudes, cette famille est comme tout le monde, assez pour douter que ce ne soit pas de la nôtre. À mes yeux, c’est fort. Avec des dessins, des mimiques, des dialogues, je les entendais, vivais avec eux, projetée dans cette histoire qui devenait la mienne.
Dès les premières pages se dégage un parfum de nostalgie du temps qui passe, se déroule sous nos yeux son fil que l’on remonte pour attraper des événements emportés sans possible retour en arrière, le non à l’indépendance du Québec étant un de ceux-là. Par des dessins pleine page, le bédéiste nous montre le avant et le maintenant du village St-Nicolas. Tout l’album est empreint du mouvement du temps qui passe et pousse à agir, du petit logement rudimentaire abandonné pour l’achat d’une maison délogeant une vieille dame, l’avènement de l’Internet dans la vie professionnelle de Paul (vraiment trop drôle !). Le bédéiste met la table, nous sert des apéritifs, nous réchauffe pour bien accueillir le summum des affres du temps qui passe : le cancer de Roland, le beau-père de Paul.
Une histoire axée sur la perte pourrait se qualifier de trop dure à lire et à regarder mais ce n’est pas le cas. C’est un art accompli que je lui trouve à Michel Rabagliati de donner au quotidien ses lettres et images de noblesse. On ne se bat pas contre l’inévitable, c’est plutôt l’acceptation de la quotidienneté des liens entre les êtres. C’est ce qui m’a renversée. Quand on y pense, quelle force a cette histoire de se tenir si près des règles de la vie qu’elle suscite un intérêt fort malgré très peu de suspense puisque, dès le départ, nous savons que cette famille perdra un gros morceau, le patriarche. On tourne les pages avec avidité, ouvrant les yeux et le cœur, comme dans la vraie vie où notre intime conviction de finir par en mourir ne nous empêche pas d’en jouir. En autant que l’on ne soit pas seul, la famille faisant toute la différence. Ce Paul à Québec est un hommage non caché à la force familiale.
La progressive détérioration de l’homme fort se vivra enveloppée de l’amour des siens. Le temps qui passe, use et détruit est raconté avec un réalisme cru qui se prend sans la déprime, juste de la saine tristesse. Justement parce qu’il y a plusieurs mains tendues vers cette dureté. La rumeur disait que ce Paul était à lire avec près de soi des papiers mouchoir trois épaisseurs, j’aimerais dire que non mais tout mon souvenir en dormance s’est subitement éveillé, moi c’était une matriarche, et à ma surprise, la digue s’est ouverte. C’est donc bien vrai, mais je l’ai vécue comme une libération de plus pour tout le côté paisible apporté par la présentation de cette perte.
Une histoire si bien racontée qu’elle nous démontre le plus naturellement du monde que nous sommes l'humanité entière à vivre des deuils.
Lien : Le lancement vu par Venise ici.
Paul à Québec, Michel Rabagliati, Éd. La Pastèque, 2009, 187 p.