Les autres lieux du festival du Printemps de Septembre, sous le titre de Wheeeel, sont consacrés à la jeune scène artistique française : une présentation certes hétéroclite, mais variée, réjouissante et pleine de découvertes (jusqu’au 14 Octobre).
Plusieurs des artistes ont travaillé, sans se concerter, sur l’occupation de l’espace. Aux Abattoirs, les frères Chapuisat ont construit une structure géante, Cryptomnesia, qui repousse les murs de la salle où elle est installée. On ne peut même pas se faufiler le long des murs, l’édifice de bois et de carton occupe tout le champ, on ne peut pas le voir dans son ensemble. Sa forme polyédrique peut évoquer Melencolia, son titre interroge (Mémoire cachée ?). Il faut s’éloigner, suivre un chemin dérobé, passer par une encoignure discrète, se coucher par terre, ramper dans la poussière et passer précautionneusement la tête (quand le gardien n’est pas là) par un trou déchiré dans une des facettes à l’arrière du monstre. Il faut le mériter, se plier aux contraintes, encourir les risques de cette quête. Alors, à la lumière d’une ampoule clignotante, on découvre l’intérieur, l’envers, la charpente si semblable à celle des combles mystérieux de la maison de notre enfance: c’est un nid, un cocon, une boîte à souvenirs. C’est un autre monde.
Sophie Dubosc aussi crée, à côté, un autre monde, avec un rideau de plâtre et une salle de classe aux tables éventrées (Cher Guy), comme une impossible mémoire. Stéphane Thidet, avec Refuge, montre une cabane en bois sous des trombes d’eau, qui, peu à peu, va pourrir et se décomposer (à Karlsruhe, exposition dont je n’ai pas encore parlé, c’était un bureau que Ki-bong Rhee inondait sous la pluie, symbole de pouvoir et de savoir). Ici c’est notre refuge, notre cabane loin du monde qui se délite peu à peu, nous remplissant de nostalgie.
En bas, à côté des hippopotames en kaolin de Dewar et Gicquel qui, eux aussi s’effritent et tombent en poussière, on surplombe depuis l’escalier un château de cartes, faits de panneaux de placo avec, au centre de chacun, un haut-parleur. On s’approche en tentant de ne pas voir les fresques noires envahissantes d’une autre artiste aux murs de cette grande salle (qui héberge d’ordinaire le rideau de Picasso), on rode autour de ce château de 16 panneaux, on fait un pas en avant dans ses redents et on entre dans leur univers sonore : on peine à comprendre les paroles des comptines, on laisse le son occuper l’espace. C’est Still seeing worlds that never were d’Emmanuel Lagarrigue, qui sait ici recréer un monde imaginaire, y engager le spectateur, de manière aussi prenante, mais moins narrative que Janet Cardiff.
Photos de Philippe Migeat, courtoisie Printemps de Septembre.