Des photographies de conflits modernes sont présentées en regard des tableaux historiques de la galerie des Batailles.
Quel est le point commun entre la Bataille de Taillebourg le 21 juin 1242, énorme huile sur toile, peinte par Delacroix en 1837... et le champ de bataille de Gettysburg photographié en 1863 par Timothy H. O'Sullivan ? "Montrer les blessés et les morts", répond Laurent Gervereau, commissaire de l'exposition "La Guerre sans dentelles" à Versailles, qui puise dans les photographies de guerre de quoi lire les fresques historiques de la galerie des Batailles. "Delacroix peint la souffrance des soldats pour illustrer le courage. Si la guerre de Crimée est la première à avoir été photographiée, celle de Sécession marque le point de départ de la représentation des morts au combat. Ils ont d'ailleurs été disposés pour un meilleur rendu esthétique, plus expressif." Avec l'art des parallèles et des résumés qui font mouche, voilà une bataille des siècles qui réveille cette aile endormie du château.
"En 1837, Louis-Philippe décide de consacrer le château de Versailles à un musée de l'Histoire de France, démonstration politique en 33 batailles et 33 tableaux qui entend créditer la monarchie de Juillet du meilleur des valeurs de l'Ancien Régime, de la Révolution et de l'Empire", souligne le président du lieu, Jean-Jacques Aillagon. "De la bataille de Tolbiac (492), au cours de laquelle Clovis défit les Alamans, à celle de Wagram (1809) où Napoléon vainquit les Autrichiens, ces batailles sont toutes glorieuses, victorieuses, et malgré quelques détails crus, quasi joyeuses. À l'inverse, la photographie montre la guerre sous son jour réel, cruel."
Fauché en plein élan, célèbre cliché de Robert Capa saisissant la chute d'un républicain sur le front de Cordoue en 1936, renvoie ici à la bataille de Cassel (1328) peint par Henry Scheffer en 1837 où Philippe VI de Valois est pris d'assaut par les Flamands.
Le mouvement des corps et l'enjeu symbolique du héros servent de pont entre les siècles et les arts. "Le grand public boude ces peintures historiques et passe sans les voir. Les jeunes n'ont plus les codes. Il y a une rupture visuelle", estime Laurent Gervereau, historien spécialiste de l'image politique, qui fut dix ans conservateur du Musée d'histoire contemporaine. Il est parti des tableaux et d'un détail significatif pour les marier avec une icône de la photographie de guerre. La Mort du chef confronte ainsi la mort de Talbot, commandant des troupes anglaises à La Bataille de Castillon (1453) qui marqua la fin de la guerre de Cent Ans, avec la photo post-mortem du Che prise et diffusée par l'armée bolivienne en 1967. Regards hallucinés confronte Clovis invoquant Dieu à La Bataille de Tolbiac, peint avec un total irréalisme par Ary Scheffer en 1837, et le reportage sur le Vietnam de Larry Burrows paru en couverture de Life en 1965, où le mitrailleur hurle d'horreur à la mort en direct de son coéquipier. Alliances met en parallèle le soutien des Français à la cause américaine en 1781 (Le Siège de Yorktown par Couder en 1836) et les mains serrées de Kohl et de Mitterrand à Verdun en 1984. Au pied du tableau majestueux, un tirage agrandi et dans la vitrine, l'exemplaire de L'Express où parut cette image politique.
Jusqu'au 6 septembre au château de Versailles, galerie des Batailles.
Source du texte : FIGARO.FR