La Cour européenne des droits de l’homme a de nouveau condamné la France , notamment pour violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants), de nouveau au sujet de la question carcérale. En particulier, la juridiction strasbourgeoise a examiné le régime de détention appliqué à certains détenus jugés dangereux et classés de ce fait comme “détenu particulièrement signalé” (DPS). Ce fut le cas pour un homme incarcéré en 2001 après sa participation à la tentative d’évasion de son frère, tentative qui s’était soldée par une prise d’otage et une grave blessure par balle infligée à un surveillant. Sous ce régime, le détenu fit l’objet de multiples changements d’établissements - technique dîtes des “rotations de sécurité” -, de fréquentes et longues périodes de mises à l’isolement ainsi que des fouilles corporelles systématiques.
1°/ - La Cour a examiné les conditions de détention du requérant sur le terrain de l’article 3 et ce, en rappelant ses important principes jurisprudentiels (notamment, l’exigence de conditions de détention « compatibles avec le respect de la dignité humaine » - § 102). De plus, de façon tout aussi classique, les juges européens ont fait constamment appel aux travaux du “Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants” - CPT - (§ 82) et aux “règles pénitentiaires” (Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, 2006). Différents éléments ont été pris en compte afin de déterminer si les conditions de détention du requérant constituent un traitement inhumain et dégradant :
- Les rotations de sécurité : la Cour souligne tout d’abord que « la tentative avortée d’évasion à laquelle avait participé le requérant en mai 2001 ne saurait justifier, à elle seule, la soumission indéfinie à un régime strict de rotation de sécurité » (§ 108) et « souscri[t] aux conclusions du CPT » quant aux « conséquences très néfastes » de cette technique (§ 109). Sans dénier l’utilité d’un transfert ponctuel de détenu pour des questions de sécurité (§ 110), elle estime ici que le « nombre si élevé de transferts […] était de nature à créer chez [le requérant] un sentiment d’angoisse » (§ 111), d’où un déséquilibre « entre les impératifs de sécurité et l’exigence d’assurer au détenu des conditions humaines de détention » (§ 112).
- Le maintien à l’isolement : la durée des mises à l’isolement, l’insuffisance des motifs, toujours fondés sur la tentative d’évasion, (§ 118) et l’absence de prise en compte de l’aggravation de l’état de santé du détenu suite à ces isolements (§ 119) sont jugées négativement par la Cour. Plus généralement, la Cour reprend les critiques formulées par le CPT en 2007 sur l’usage de l’isolement par les autorités pénitentiaires française (§ 120), sans toutefois remettre en cause en soi cette mesure (§ 103 - v. Cour EDH, G.C. 4 juillet 2006, Ramirez Sanchez c. France, req. n° 59450/00 ).
- Les fouilles corporelles : le classement du requérant en DPS a conduit à des fouilles intégrales « pratiquées de manière systématique » (§ 126) qui « ne paraissent pas être justifiées par un impératif convaincant de sécurité » (§ 129). Or, la Cour rappelle que ce type de fouilles crée un « sentiment d’arbitraire, celui d’infériorité et l’angoisse qui y sont souvent associés, et celui d’une profonde atteinte à la dignité » (§ 127 ; v. Cour EDH, 2e Sect.12 juin 2007, Frérot c. France, req. n° 70204/01).
Dès lors, selon la Cour , le cumul de ces conditions de détention « s’analyse(nt), par leur effet combiné et répétitif, en un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 » (§ 133).
2°/ - Un autre aspect essentiel dans le contexte carcéral a été soumis aux juges européens : l’existence de recours effectifs pour contester ces conditions de détention (Art. 13 - droit à un recours effectif). Pour trancher ce point, la Cour analyse chaque mesure et tient compte des évolutions opérées par les juridictions administratives françaises. En effet, il est relevé que depuis 2003, le Conseil d’Etat admet que les décisions de placements à l’isolement sont « susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir » (§ 140) d’où l’absence de violation de l’article 13 sur ce point. Il en de même pour les décisions de transfèrements répétés que le Conseil d’Etat a cessé de qualifier de « mesure d’ordre intérieur » dans l’arrêt Payet (CE, Ass. 14 décembre 2007, req. no 306432).
Pourtant, la Cour relève ici, pour le cas particulier du requérant, une violation de l’article 13 car, antérieurement à l’arrêt de 2007, il ne bénéficiait pas d’un recours efficace (§ 143). Enfin, c’est une condamnation plus directe pour violation de l’article 13 qui est prononcée concernant les fouilles corporelles. La Cour estime, à la lueur des quelques exemples tirés de la jurisprudence administrative française, qu’ « il n’est […] pas établi qu’il existait en droit interne un recours pour contester la décision de procéder à une fouille corporelle » (§ 144). Gageons que cette dernière condamnation ne manquera pas d’inciter les juridictions administratives à modifier leur position et à admettre le recours en excès de pouvoir dirigé contre une telle décision de fouille.
Cyril et Christophe Khider
Khider c. France (Cour EDH, 5e Sect. 9 juillet 2009, req. n° 39364/05 )