La vie passe par le cinéma et le rock, traverse l’écran puis devient livre, livre lui-même décomposé en blocs de prose rigoureusement cadrés ; l’existence expérimente la vie chez l’Autre, image et son, corps et souffle, celui à partir duquel une projection, cette fois intérieure et flottante, est tentée. La phrase invente une syntaxe précipitée à partir des mots les plus courants : poussière, cheval, tablier, épouse, fleur, champ, trésor, mur, décor, prairie, père, poussière, tous ces signes acquièrent une bizarrerie qui est celle, peut-être, d’une langue à la poursuite impitoyable d’elle-même, langue qui traverse le mur du son comme celui du sens en supprimant toutes les pauses discursives. Les propositions surfent sur l’ordre grammatical et prélèvent ce dont elles ont besoin pour fixer un étrange horizon, cadré de blancs et de silences. L’ellipse est intériorisée : la ponctuation est allégée, certains pronoms disparaissent, lesmots outils explicitant les rapports logiques sont abandonnés. Il reste alors des fragments de dialogue, des descriptions stylisées, des situations découpées en séquences rythmiques qui offrent au « je » désincarné une flamboyance économe : « Et je ne suis pas privée j’ai tant de choses les rivages enchantés la côte et l’immense océan sauvage et contre l’art d’être un iceberg la scène du balcon sur la mer écumante ». Au cœur de la fiction et du commentaire de la fable, un phrasé accidenté et voilé conduit une histoire dénouée : ni exposition ni intrigue puisque le nœud est interne à la voix. Ci-gît le fantasme qui fait vivre, qui fait écrire, et au terme duquel le « je » en connaît un peu plus sur l’autre et l’ancien, le masculin et le féminin en lui qui lui font signe et souvent peur. Caroline Dubois écrit des sons et des images : dans un minimum de temps et d’espace, ces derniers désamorcent le devoir de faire sens. Lire toujours plus vite avec l’intuition qu’une lumière se fait lorsque le tempo rejoint celui de la voix off interne au texte, la voix-du-texte qui décolle mais ne disparaît pas du cadre, voix hantée et hantante qui résiste au discours. La mémoire de poésie est cinéma, à savoir mouvement effréné de la langue : elle travaille, dans la vitesse et la rupture, un rythme qui cumule énergie et désirs et les dispose en une nouvelle réalité vivante aux prises avec les mots.
Caroline Dubois, Comment ça je dis pas dors, POL, 2009, 90 p., 12 €.
Contribution d’Anne Malaprade