Avec 27,7 % des suffrages exprimés et 11 points d’avance sur le PS, l’UMP a remporté les élections européennes de juin dernier. Certains responsables de l’UMP se sont d’ailleurs félicités que contrairement aux scrutins européens précédents, la formation majoritaire n’ait pas subi de vote sanction et soit parvenue à maintenir ses positions par rapport au premier tour de l’élection présidentielle. Les scores ne sont certes pas très éloignés, Nicolas Sarkozy avait obtenu à l’époque 31,2 % des voix. On constate néanmoins un recul de 3,5 points, alors même que l’électorat UMP (et notamment sa composante la plus âgée) s’est plus mobilisée que la moyenne dans un contexte général fortement abstentionniste.
Il n’est pas inintéressant et illégitime de comparer les résultats de l’UMP aux élections 2009 européennes, dans lesquelles le président de la République s’est fortement impliqué, avec les résultats obtenus par Nicolas Sarkozy au premier tour de l’élection présidentielle de 2007. L’abstention a été beaucoup plus forte en 2009 qu’en 2007, mais la mise en regard des deux scrutins permet justement de mesurer quel a été son effet sur les scores de la majorité présidentielle. La carte suivante, réalisée au niveau cantonal par le laboratoire MTG de l’université de Rouen sur les bases des données du Ministère de l’Intérieur, fait ressortir des évolutions contrastées selon les territoires et nous renseigne sur les comportements des différentes strates passées et actuelles de l’électorat sarkozyste.
Dans de nombreuses zones situées dans la moitié ouest du pays, Nicolas Sarkozy avait enregistré lors de la présidentielle des résultats inférieurs à la moyenne nationale, les accents droitiers de la campagne du futur président ayant sans doute heurté la sensibilité centriste de ces électeurs de l’ouest et du grand sud-ouest. Cette situation avait profité à Ségolène Royal et à François Bayrou qui y avaient atteint des niveaux élevés. On constate aujourd’hui que dans ces territoires, les listes de l’UMP, dans un contexte de baisse de 3,5 points au niveau national, sont parvenues à retrouver ou à approcher le score de la présidentielle (-0,8 point en Dordogne ou en Mayenne par exemple) voire souvent à le faire progresser. C’est le cas notamment dans la « grande Chiraquie » (Corrèze, Lot, Cantal, Aveyron, Haute-Loire, Puy de Dôme et Creuse), où une partie des électeurs de centre-droit qui avaient préféré François Bayrou à Nicolas Sarkozy, ont opté cette fois pour l’UMP. On retrouve ce phénomène plus au sud, dans le Gers, dans une partie de la Haute-Garonne, des Pyrénées-Atlantiques et des Hautes-Pyrénées où la personnalité et le positionnement de la tête de liste, Dominique Baudis, ont facilité la conquête d’une partie de l’électorat centriste dans le fief même de François Bayrou. L’UMP a également marqué des points par rapport à la présidentielle dans les terres démocrates-chrétiennes de Bretagne et du Maine-et-Loire, la présence comme tête de liste de Christophe Béchu, président du Conseil Général, faisant progresser le résultat de l’UMP dans ce département de 2,9 points par rapport à 2007.
Le poids de certaines autres personnalités permet également d’expliquer des progressions localisées de l’UMP par rapport à la présidentielle. C’est le cas notamment dans l’arrondissement de Saint-Quentin dans l’Aisne, terre d’élection de Xavier Bertrand et un plus au nord dans le Valenciennois sous l’effet de la position en tête de liste de Dominique Riquet, maire de cette ville. De la même façon, l’analyse au niveau cantonal fait apparaître des gains de l’UMP dans les fiefs de députés du Nouveau Centre, aujourd’hui ralliés à Nicolas Sarkozy, mais qui avaient soutenu François Bayrou au premier tour de la présidentielle. La formation majoritaire progresse ainsi autour des cantons de Cormeilles dans l’Eure (fief d’Hervé Morin), dans la région de Vendôme, de Vitteaux en Côte d’Or ou bien encore d’Heiltz-le-Maurupt dans la Marne, terres d’élection respectives de Maurice Leroy, François Sauvadet et Charles Amédée-de-Courson. A l’inverse, du fait de la concurrence de Philippe de Villiers, plus efficace aux européennes qu’à la présidentielle, l’UMP recule sensiblement en Vendée.
Si les positions du parti majoritaire ont été renforcées ou faiblement érodées (-1,1 point en Gironde, -0,9 point dans le Morbihan) dans la moitié ouest du pays, la situation est plus contrastée et donc plus problématique dans la partie est du territoire. C’est en effet dans ces régions qu’avaient été concentrées les principales zones de force du sarkozysme présidentiel par l’agrégation à l’électorat de droite classique, d’importants contingents d’électeurs venant du FN mais également d’une partie de l’électorat populaire déçu de la gauche. Les pertes sont certes limitées en Champagne-Ardenne (-1,3 en Haute-Marne et -1,5 point dans la Marne par exemple), et dans la majeure partie de la Lorraine, de la Franche-Comté et de la Bourgogne, mais les listes de l’UMP sont en recul de plus de 5 points en Moselle et dans le Haut-Rhin. Plus au nord, les pertes sont également sensibles en Picardie, dans le Nord-Pas-de-Calais et dans l’Eure. C’est également le cas dans les Savoie, en Isère, le Vaucluse et sur la Côte d’Azur.
Tous ces territoires correspondent à des zones de force historiques du FN, où le recul de cette formation à la présidentielle de 2007 fut très important quand, dans le même temps, Nicolas Sarkozy améliorait parfois de manière spectaculaire le score de Jacques Chirac en 2002. Tout se passe donc comme si dans ces endroits, une part non négligeable de l’électorat gagné sur le FN à la présidentielle avait depuis abandonné l’UMP. Mais comme le montre le tableau suivant, ce phénomène est loin d’être systématique et les corrélations ne sont pas automatiques.
Département
Evolution Sarkozy 2007-1er tour / Chirac 2002-1er tour
Evolution Le Pen 2007–1er tour / Le Pen 2002–1er tour
Evolution UMP 2009 / Sarkozy 2007-1er tour
Evolution FN 2009 / Le Pen 2007-1er tour
Alpes-Maritimes
+ 21,6
- 12,6
- 8,5
- 2,3
Bouches du Rhône
+ 17,3
- 8,5
- 7,2
- 3
Oise
+ 14,6
- 7,9
- 6,8
- 2,5
Haute-Savoie
+ 18,9
- 11,1
- 5,4
- 3
Haut-Rhin
+ 18
- 9,4
- 5,4
- 5,3
Var
+ 16,2
- 9,6
- 5,2
- 3,3
Moselle
+ 11,6
- 8,9
- 5,1
- 6,1
Nord
+ 11,6
- 5,6
- 4,7
- 4,1
Rhône
+ 17
- 10,2
- 3,9
- 3
Ainsi dans le département du Bas-Rhin par exemple, où Jean-Marie Le Pen avait beaucoup perdu au profit de Nicolas Sarkozy, l’UMP aux européennes parvient à conserver une part importante du terrain conquis. C’est également le cas, mais de manière moins marquée dans le Rhône. L’autre constat à retirer de ces chiffres est que si le parti présidentiel n’a pas su mobiliser dans le scrutin européen une fraction significative de l’électorat que Nicolas Sarkozy avait arraché au FN dans ces fiefs de la moitié est du pays, cet électorat n’est pour autant pas retourné à l’extrême-droite. On constate en effet dans tous ces départements un nouveau recul du FN par rapport à la présidentielle. L’élection européenne est certes habituellement un scrutin difficile pour le FN, qui peine à mobiliser son électorat sur ce type d’enjeu. Mais le fait qu’il baisse encore par rapport à sa contre-performance de la présidentielle (Marine Le Pen parvenant à limiter ce reflux dans la circonscription Nord-Ouest) invalide l’idée d’un retour massif de ses anciens électeurs. De la même façon, de nombreux électeurs populaires du nord-est de la France, qui avaient quitté la gauche au profit de Nicolas Sarkozy, sont actuellement en déshérence électorale et sont venus renforcer les rangs des abstentionnistes.
Le départ de ces catégories d’électeurs a été beaucoup plus limité dans la moitié ouest du pays car ils n’y représentaient qu’une faible part de l’électorat sarkozyste. De surcroît, ces pertes restreintes ont été partiellement (ou totalement selon les endroits) compensées par l’arrivée d’électeurs centristes. Ces derniers ont sans doute préféré le positionnement européen équilibré de l’UMP, incarné localement par des personnalités modérées, au discours radicalisé et décalé choisi par François Bayrou, qu’ils avaient pourtant soutenu à la présidentielle.
A quelques mois de l’échéance des régionales, le défi qui s’offre au parti de la rue de la Boétie, est donc assez ardu. Il s‘agira en effet d’articuler un programme politique qui permette d’arrimer plus solidement et définitivement à la majorité présidentielle, un électorat de centre-droit des terres démocrates-chrétiennes de l’ouest et modérées du sud-ouest, quelque peu déboussolé par le positionnement de François Bayrou, tout en donnant des gages et en tentant de reconquérir dans le nord-est et le sud-est, une fraction non négligeable d’un électorat populaire et/ou anciennement frontiste déçu du sarkozysme et s’étant aujourd’hui placé en retrait du terrain électoral.