Récrire un manuscrit, réécrire un manuscrit, pour en écrire un autre.
J’ai une certaine tendresse pour le verbe récrire, et je l’ai beaucoup conjugué depuis quelques mois.
Commençons par l’infinitif : récrire ou réécrire ?
Le Trésor de la Langue Française met les deux dans le même sac. Mais, curieusement, les bons auteurs qu’il cite en exemple optent tous pour récrire. À commencer par Proust : « La Berma avait récrit avec insistance à quelques fidèles pour qu'ils ne manquassent pas à son goûter »(PROUST, Temps retr., 1922, p. 995). Comme quoi, Proust et moi, nous avons quand même quelques affinités en commun.
Le Jouette donne les deux, sans nuances, sans explications.
Le Girodet (Bordas) indique que réécrire est moins conseillé, et ne peut s’employer qu’au sens de « rédiger selon une nouvelle forme ». Il préfère récrire, moi aussi.
Tout cela pour dire que j’ai beaucoup récrit ces derniers temps.
J’ai récrit parce que je n’arrivais pas à écrire.
J’avais écrit l’an dernier un roman policier que je n’avais présenté à aucun éditeur, pas même les miens : je ne savais pas s’il était bon ou mauvais, je me disais qu’il était perfectible, mais je ne voyais pas très bien comment. Je l’avais donc archivé dans un tiroir, lui laissant le temps de mûrir, et je me suis lancé dans un nouveau roman, à demi-historique.
Pas moyen d’avancer : le roman policier semblait tambouriner contre le fond du tiroir : « Pourquoi lui et pas moi ? ».
J’ai fini par le sortir, le dépoussiérer, et le présenter à une personne dont le jugement m’a toujours paru très sûr. Elle me l’a rendu en me disant qu’il restait beaucoup à faire pour l’améliorer. Comme quoi, hein...
Nouvelle décision de classement-archivage dans un tiroir, avec les mêmes conséquences.
J’ai alors ressorti le manuscrit et l’ai beaucoup retravaillé. Puis je l’ai envoyé par la poste à 4 éditeurs (enfin, par la poste, ou presque : je suis passé le déposer anonymement aux 4 réceptions dans une enveloppe kraft. Ca revient moins cher.) Dès le lendemain, l’un des quatre m’a appelé pour me dire qu’il était preneur. Mais qu’il restait perfectible, etc. Hé, sinon ce serait trop facile, de se faire publier !
Je viens de passer six semaines à le retravailler jour et nuit (ce n’est pas une image). Changement d’intrigue, allègements de paragraphes (certaines incidentes n’apportaient rien, je ne les gardais que par fidélité au plaisir que j’avais éprouvé à les écrire), coupes de chapitres, peaufinements de style.
Depuis deux jours je crois qu’il n’est plus perfectible. Je ne dis pas parfait, mais il est en tout cas nettement plus fort qu’il ne l’était six mois plus tôt.
Résultat : il sortira début janvier. Ou février.
Je vous en reparlerai bientôt.
Moralité
On perd souvent de vue l’importance de la remise sur chevalet de certains manuscrits. L’auteur est constamment tenté de se dire « Je l’ai fini, il plaira ou il ne plaira pas, tant pis ».
Variantes :
« Je l’ai fini, à lui de trouver ses lecteurs ».
« C’est mon style, et c’est comme ça que je le voyais. Je l’ai écrit pour moi ».
Cette tentation de la paresse se déguise en orgueil ou en fatalisme pour paraître plus honorable : mais combien de bons manuscrits a-t-elle tués ? Et mlême combien d’auteurs ?
Je crois que c’est dans le travail de finition, voire de correction, que l’on devient vraiment écrivain : quand on veut, bizarrement, que le livre soit meilleur que l’auteur.
Dans un mois, le temps de faire le vide, je reprends l’écriture du roman à demi-historique. Les cognements du polar dans le fond du tiroir vont peut-être me
manquer.
Cela me donnera un peu de temps pour déposer sur ce blog quelques chroniques estivales. Merci pour votre fidélité à ce blog, elle est plus
grande que la mienne. J'ai honte.
Je vais
peut-être aussi écrire des nouvelles, histoire de respirer. Les nouvelles sont humbles et fugitives, aucun roman ne peut en être jaloux.
Comme visuel, j'ai choisi une scène d'Othello. C'est le premier truc qui m'est passé par la tête. Ca vous va ?