De quoi – De ça
Sur ce sujet,
personnel
et modeste,
et plus encore
chantonné bien des fois,
écureuil poésie j’ai tournoyé,
et veux tournoyer plus encore
Ce sujet
devient
à l’instant prière chez Bouddha,
et brandit le couteau du nègre contre son maître.
Et, s’il y a
sur Mars, un seul homme de cœur,
lui aussi,
à l’instant,
murmure
sur cette même chose.
Ce sujet survient,
il pousse du coude
l’infirme vers le papier,
et ordonne :
− Gratte –
Et du papier
l’infirme
s’arrache et glapit,
ses vers ne sont qu’un chant picoté par le soleil.
Il survient,
claque dans la cuisine,
se détourne,
disparaît comme un chapeau de champignon,
et le géant
résiste une seconde
puis s’écroule,
sous la vague des billets doux1.
Ce sujet, il survient,
il ordonne :
− Vérité ! –
Ce sujet, il survient,
il commande :
− Beauté ! –
Et même
les poignets entravés
sur une partie du bois de la croix tu fredonnes une valse.
Au passage, il frôle l’alphabet –
quel livre pourtant plus évident !
le
− A −
devient
un inaccessible Kazbek2.
Il trouble,
il écarte du pain et du sommeil.
Il survient,
à jamais inusable,
il dit seulement :
− Dorénavant ne regarde que moi ! –
[...]
Vladimir Maïakovski, De ça [1923], ouverture, traduction et notes Henri Deluy, suivi de Henri Deluy, L’Adresse à Vladimir, Inventaire/Invention, 2008, p. 19 et sq.
1. « La vague des billets doux », les billets que Lili Brik, durant leur séparation volontaire, faisait parvenir à Maïakovski, par l’intermédiaire de la cuisinière.
2. « un inaccessible Kazbek », l’un de monts du Caucase, 1043 mètres.