Quel roman, mes aïeux. Noir et inquiétant, comme sa couverture, le roman l'est véritablement et peut gonfler la poitrine d'offrir un contenu à l'égal du contenant. C'est très rare. L'histoire nous transporte dès les premières pages, dans la verte et bucolique Irlande, même si la carte postale fiche aussi les jetons. Dans la maison de tante Moïra, les corps de trois femmes ont été retrouvés, portant des traces de sévices et autres souffrances importantes. Vision apocalyptique, d'autant plus incompréhensible qu'il s'agit de Moïra et de ses nièces, Fiona et Roisin. La bête et les beautés, dit-on en se signant. Les langues se délient à vitesse folle dans le village, or elles ne peuvent soupçonner l'origine du cauchemar. Ni qu'un tel massacre est devenu la conclusion d'un amour qui consume plus intensément qu'un brasier.
C'est alors qu'un jeune postier, qui trompe son ennui en dessinant des comics, va mettre la main sur le journal de Fiona, miraculeusement sauvé de l'enfer et échappé des fouilles de la police. En première page, Fiona supplie son interlocuteur, qu'importe son identité, de lire son histoire du début à la fin car elle se sait condamnée mais elle n'espère pas que sa mort tombera dans l'oubli. Il faut qu'on sache son histoire, il faut la lire et la colporter.
A la façon d'un seanchai, un conteur de légendes irlandaises.
Fiona a eu la malchance d'en croiser un sur son chemin, en la personne de Jim Quick, la beauté du diable, le regard implacable, et le charme de son mystère auréolant le trouble qu'il fait naître chez les femmes. De pubs en pubs, il raconte son histoire d'homme-loup, et dans son sillon la presse se fait écho d'étranges disparitions de jeunes femmes.
Qui est-il ? Que veut-il ?
C'est l'une des nombreuses raisons qui vous pousse à ne plus quitter ce livre du danois Christian Mork, oui danois, j'ai moi-même été surprise de le découvrir. C'est dire le talent exceptionnel qu'il possède, la capacité de se fondre dans un décor, de créer l'illusion. Son roman lui-même est constitué de tiroirs sans fonds, on les ouvre sous l'emprise d'une puissance maléfique, on emprunte des chemins de traverse, mais le narrateur vient toujours nous repêcher et nous pousse vers d'autres couloirs labyrinthiques. C'est prodigieusement bluffant. Un roman dans le roman. A la façon des poupées russes. Bref, j'ai adoré.
Et l'écriture est sensuelle, brillante, étourdissante. C'est un livre à plusieurs facettes, qui vous raconte une histoire d'amour, de danger et de tristesse. Une histoire qui donne la chair de poule. Une histoire un brin fantastique, avec des contes et légendes qu'on imagine se raconter au coin du feu ou avec une lampe de poche sous une tente ! Pour frémir de plaisir.
Une lecture que je recommande.
Le Serpent à Plumes, coll. roman noir, 2009 - 382 pages - 20€
Traduit de l'anglais par Agnès Jaubert