Depuis plusieurs années à côtoyer les demandeurs d’emploi dans l’économie sociale et solidaire, j’ai acquis quelques réflexions sur leurs parcours et sur leurs difficultés. Sans pour cela pouvoir souffrir la comparaison avec des conseillers professionnels (de formation), je peux quand même attester d’une certaine expérience qui permet de porter UNE voix, celle de Ressources Solidaires, acteur intermédiaire sur le marché de l’emploi dans l’économie sociale et solidaire. N’en déplaise à certaines et certains, la relation quasi quotidienne avec vous (acteurs, chercheurs d’emploi, universitaires, consultants, offreurs d’emploi et autres) permet d’affiner notre connaissance. La mienne en particulier.
Revenons donc à vos concurrents ! Car si vous êtes arrivés sur cet article, c’est probablement que le titre vous a inquiété, intéressé, chagriné, indigné,... De plus en plus, j’interviens devant des groupes (étudiants, demandeurs d’emploi, militants, ...) pour parler du marché de l’emploi dans l’économie sociale. Ces interventions s’appuient sur les échanges, l’expérience et les apports théoriques divers et variés. Aucunement, nous ne pouvons prétendre tout savoir et tout connaitre, mais seulement une grande partie, car notre activité fait que nous croisons tous les profils, tous les acteurs, toutes les situations. Et cela nous permet d’obtenir une relative objectivité dans le discours. Ce qui en chagrine et froisse plus d’un, tant nous insistons sur le fait qu’il y a peu de différence entre un recrutement dans l’économie sociale et dans l’économie traditionnelle, qu’il n’y a pas d’outils particuliers à l’ESS pour être recruté et que les compétences sont le premier atout d’une candidature (Et non les valeurs !). Ces approches froissent, ne le cachons pas ! Elles froissent d’autant plus que le candidat se trouve dans un environnement militant, et par essence subjectif, ou que le candidat est plutôt neuf dans sa recherche, sans recul.
Mais ces interventions sont aussi faites, pour leur commanditaire, pour dissuader des personnes souhaitant travailler dans l’ES, mais qui ne trouveraient pas leur place de professionnel, mélangeant allègrement cause [1] et contrat [2]. Car le salarié d’un organisme de l’économie sociale et solidaire est AVANT TOUT un professionnel technicien et non un militant. L’erreur serait de confondre "adhérer au projet politique de la structure" et "porter le projet politique de la structure", au risque de se retrouver sur des positionnements maladroits, risqués, voire dangereux, mais surtout incompréhensibles et sources de conflit. Ceci n’empêche pas le salarié [3] de se retrouver dans le projet d’entreprise, ses objectifs et ses outils, dans le cadre de son positionnement salarié, donc avec un rapport de subordination aux hiérarchiques et à l’employeur, le conseil d’administration.
Ce soucis de positionnement est moins souvent objet de polémique chez une certaine partie de vos concurrents sur le marché des demandeurs d’emploi. J’ai pu identifier 3 populations de demandeurs d’emploi dans l’économie sociale et solidaire, la troisième étant vraiment spécifique au secteur, du fait de sa forte connotation de valeurs.
Première population : les primo accédants. Il s’agit des jeunes diplômés en général, qui arrivent tout frais moulus de leurs études, sur le marché du travail. Leur point fort est leur coût en général, mais leur point faible est leur manque d’expérience. Même en valorisant fortement les stages effectués pendant les études, quelques années de travail feraient mieux sur le CV.
Deuxième population : les "pourquoi pas" [4]. Ce terme est copyright Ressources Solidaires, car il illustre parfaitement le cheminement intellectuel éclair : le chercheur d’emploi trouve une offre de poste de l’économie sociale et se dit "une asso / une coopérative / une mutuelle, pourquoi pas ?". On comprend aisément que c’est bien l’offre qui l’intéresse et non l’entreprise ou le secteur de l’ESS en premier. Il est un chercheur d’emploi et il veut en trouver. Le "pourquoi pas" est terriblement dangereux pour les primo accédants parce qu’il a de l’expérience. Et il est directement en concurrence avec la troisième population.
Troisième population : les "convaincus". Ici, on ne peut pas travailler pour le "grand capital". Seule l’économie sociale (et surtout solidaire) trouve grâce à leurs yeux. Bien souvent, cette population est celle qui souffre le plus des difficultés du marché, car beaucoup ne comprend pas pourquoi ils ne trouvent pas alors qu’ils ont les valeurs, les connaissances, voire même le réseau. Et ils ont du mal à comprendre pourquoi les recruteurs passent AUSSI par des "pourquoi pas" ! A noter que les "convaincus" peut être aussi des primo accédants, ce qui rend souvent TRES TRES difficile la discussion sur la démarche d’objectivation et d’optimisation des atouts.
Clairement, les "pourquoi pas" sont des concurrents sérieux, d’autant que le marché de l’emploi aidant, ils viennent sur des profils de poste auxquels ils n’auraient peut être pas pensés... Portés par une société de plus en plus difficile à comprendre, des aspirations éthiques et sociétales renforcées (Commerce équitable et tourisme durable en tête !), les "pourquoi pas" se renforcent dans leur "pourquoi pas" attitude pour aller sur des terrains sur lesquels on ne les attendait pas. Et ne croyez pas, surtout pas, que les "pourquoi pas" ne soient pas attendus exclusivement sur des postes communs à l’économie traditionnelle (Fonctions support en tête). L’insertion, l’accompagnement à la création d’entreprises, la finance solidaire, les ONG ont souvent besoin de professionnels que les filières spécifiques de l’ESS ou le bénévolat ne préparent pas. Rendant de plus en plus congrue, la portion de métiers directement issus des filières de formation spécifique à l’économie sociale.
Mais c’est un autre débat qui fera l’objet d’un autre article...
Et vous, vous êtes dans quelle groupe ? Les primo accédants ? Les "pourquoi pas" ? Les "convaincus" ? Dites moi...