Sans-papiers : l´autre « chiffre » de la politique d´expulsion

Publié le 08 juillet 2009 par Michelmi

La cour des comptes pointe le coût de la rétention des sans-papiers...

Mouvements vous propose de relire cette enquête de Damien de Blic :

le coût des expulsions réalisées en 5 ans représente l´équivalent du déficit annuel de l´assurance vieillesse.

Damien de Blic

Enseignant-chercheur en sciences politiques, RESF Paris 11e.

 La lutte contre l´immigration clandestine constitue depuis les années 1970 un objectif déclaré des politiques migratoires définies dans la plupart des pays industrialisés.  Pour la première fois cependant, cet objectif prend depuis quatre ans en France la forme d´un programme chiffrant précisément un nombre de reconduites à la frontière à réaliser chaque année. Cette initiative est due au ministre de l´Intérieur Nicolas Sarkozy qui, dans une circulaire en date du 22 octobre 2003, demande aux préfets de doubler à court terme les expulsions d´étrangers en situation irrégulière.

 La raison de cette instruction est précisée dans le texte :

« L´exécution effective des décisions d´éloignement est la condition de crédibilité de toute politique publique de maîtrise de l´immigration. »

Cette circulaire précède de quelques jours l´adoption par le Parlement français d´une loi « relative à la maîtrise de l´immigration et au séjour des étrangers en France » (promulguée le 26 novembre 2003) qui donne à  l´administration les moyens de répondre aux nouveaux objectifs : accroissement de la durée maximale de rétention administrative, fichage systématique des demandeurs de titres de séjour, subordination de l´octroi de ces titres à des garanties d´ « intégration républicaine » notamment.

Cette politique d´expulsions massives n´est pas revendiquée par le seul ministre de l'Intérieur, manifestement soucieux d´afficher sa fermeté en matière d´immigration dans la perspective de l´élection présidentielle de 2007.

Elle est largement confortée par le Premier ministre Dominique de Villepin qui expose le 11 mai 2005 un « plan d´action de lutte contre l´immigration irrégulière » qui reprend à son compte les objectifs chiffrés par Nicolas Sarkozy en lui assurant le concours d´un comité interministériel et propose la création de « pôles départementaux » destinés à faciliter la gestion des éloignements d´étrangers irréguliers.

Le nouveau dispositif, assorti de fortes pressions sur les préfectures, à qui sont fixées par le Ministère de l´Intérieur un nombre annuel d´expulsions à réaliser, semble porter rapidement ses effets, comme en témoignent les chiffres bruyamment annoncés à la fin de chaque année civile : objectif de plus de 15 000 expulsions fixé en 2004, près de 20 000 en 2005, 24 000 en 2006, 28 000 pour 2007.

Dans la mesure où la volonté de faire du « chiffre » est au principe de la politique menée depuis 2003, il n´est pas inutile de se pencher sur l´autre chiffre que masque cette politique, à savoir son coût financier pour la collectivité.

Ce chiffre-là, par contraste avec celui des reconduites, n´est guère mis en avant par les auteurs de cette politique.

Seul Dominique de Villepin évoque, comme par lapsus, l´ « effort considérable » réclamé par les reconduites massives et va jusqu´à estimer leur coût à 67 millions d´euros pour l´année 2005. Le silence qui règne par ailleurs s´explique aisément dès lors qu´on prend la (dé)mesure de l´ensemble des moyens mobilisées pour atteindre le chiffre érigé en « priorité absolue » de l´action du ministère de l´Intérieur depuis plus de trois ans.

Une politique d´expulsions conduite à tout prix

Il peut sembler déplacé d´aborder la politique de reconduite à la frontière sous un angle monétaire, tant son coût, bien avant d´être budgétaire ou économique, est bien évidemment un coût humain : mise en grand danger de personnes renvoyées dans des pays où elles sont parfois gravement menacées, familles disloquées, enfants séparés de l´un de leur parents, stigmatisation et culpabilisation des étrangers résidant en France...

Ces maux répétés commencent aujourd´hui à être connus grâce à l´activité des collectifs militants attentifs aux droits des étrangers.

La mise en parallèle des moyens déployés pour maximiser les reconduites à la frontière et des drames vécus par ceux qui en sont les victimes met un peu plus en lumière, toutefois, le caractère inhumain d´une logique du chiffre poussée jusqu´à l´absurde.

Pour sa seule partie émergée, la politique d´expulsion de sans-papiers mobilise l´équivalent de plus de 10 000 emplois à temps plein.

Mais cette politique a aussi besoin de moyens beaucoup moins visibles, parce qu´ « empruntés » à des services normalement destinés à d´autres emplois : fonctionnaires affectés au centres de rétention, policiers assurant les interpellations, les gardes à vue et les transferts divers, escortes internationales vers les pays de retour, toutes les activités sans lesquelles les nombres fixés d´éloignement seraient tout simplement impossibles à atteindre.

On peut ainsi raisonnablement estimer que c´est l´équivalent d´au moins 15 000 emplois à temps plein qui est consacré à l´expulsion des sans-papiers. 

Nicolas Sarkozy justifiait en 2003 sa volonté d´éloignement systématique des étrangers en situation irrégulière par sa contribution à la « crédibilité » d´une politique de lutte contre l´immigration irrégulière. Il semble urgent d´interroger ce souci de crédibilité au regard de ces chiffres : si l´on suppose que le nombre de 28 000 expulsions sera atteint à la fin de l´année 2007, il aura fallu pour réaliser deux de ces expulsions l´équivalent de l´emploi annuel à temps plein d´un fonctionnaire.

Si l´on traduit ces emplois sous une forme monétaire, ce sont donc au minimum 3 milliards d´euros qu´auront coûté au total les expulsions réalisées depuis 2003 : l´équivalent du budget annuel du ministère de la culture ou encore deux années de fonctionnement de la ville de Marseille. C´est aussi le déficit de la caisse national d´assurance vieillesse prévu pour 2007.

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