Longyearbyen. Je ne sais même pas comment ça se prononce. Longyearbyen. Sûrement d'une drôle de façon. Longyearbyen, vous parlez d'un nom. Longyearbyen, c'est le chef-lieu de l'archipel norvégien du Svalbard. On peut aussi dire archipel du Spitzberg, c'est joli aussi. C'est un endroit charmant, à 1.000 km du pôle Nord à peu près. La température y est très occasionnellement positive. Une canicule a fait plusieurs morts il y a quelques années de cela.[1] Pensez donc, il avait fait 21° C pendant plusieurs heures d'affilée.[2]
Longyearbyen est donc la localité rêvée pour les personnes qui craignent les chaleurs excessives. Et la foule. Car cette capitale provinciale de 2000 âmes (2075 en 2007, mais la canicule est passée par là) offre, outre le confort moderne que les plus rustres des ours blancs sont en droit d'exiger, un espace vital relativement conséquent[3], propre à satisfaire les misanthropes les plus farouches.
Longyearbyen, l'été - Wikimedia commons
Longyearbyen est à ce point idyllique que des hommes sérieux, des scientifiques à la blouse blanche et à l'air grave[4], ont décidé d'en faire le lieu de la sauvegarde de l'humanité, rien de moins. Comprenez-moi bien : il ne s'agit pas de tous déménager dans ce petit coin de vacances sur glace pour échapper aux tracas du quotidien, mais bel et bien de creuser un trou dans le permafrost pour cacher les petites graines de l'humanité. Non, pas ces petites graines là ; de vraies petites graines, celles du riz, du blé, des lentilles, du mil, du sorgho... de la pomme de terre, qui n'est pas vraiment une graine, mais les norvégiens sont des gens tolérants.
Voilà pourquoi, le 26 février 2008, alors que le jour allait bientôt se lever[5], des personnalités aussi éminentes qu'emmitouflées se sont rendues à Longyearbyen, chef-lieu de l'archipel de Svalbard, pour inaugurer la plus grande réserve de semences du monde. On avait posé sans eux la première pierre, plusieurs mois auparavant, parce que manipuler une truelle avec des moufles, ce n'est pas facile.
Mais pourquoi cette réserve, à cet endroit, par ce froid ? Est-ce bien raisonnable ?
Il semblerait que oui. Les scientifiques à air grave et blouse blanche évoqués plus haut ont longuement étudié la question, et leur conclusion est sans appel : l'humanité court à sa perte.
Plutôt que de s'avouer vaincus devant cette triste évidence, l'idée a -eurêka- germé dans un de leurs cerveaux fertiles : si l'on ne peut rien faire pour éviter l'inéluctable auto-destruction finale, et imminente, de l'espèce, faisons au moins en sorte que les survivants du cataclysme aient de quoi casser la croûte. Planquons les graines dans un frigo.
C'est ainsi que le nom de Longyearbyen s'est imposé. C'est ainsi que ce bout de terre gelée oublié du monde a hérité de son sanctuaire. Pour assurer la sauvegarde de la diversité végétale de la planète contre, comme le dit joliment l'AFP, "le changement climatique, les guerres, les catastrophes naturelles et l'incurie des hommes".
L'incurie des hommes, ça peut être une banque de semences qui perd un de ses échantillons[6] (les scientifiques sont parfois tellement distraits) ; ça peut aussi être un militaire qui fait une fausse manœuvre en admirant son dernier joujou.
Il faut dire qu'avec un stock mondial de 20590 bombes nucléaires (à peu près), le risque d'une fin digne du docteur Folamour[7] commence à devenir non négligeable. Si l'on ajoute au tableau les perturbations dues au changement climatique, les problèmes liés aux hydrocarbures (pic pétrolier, géopolitique du pétrole) ou encore les risques liés aux nouvelles technologies[8], on comprend mieux l'urgence de planquer sa graine. Scrat l’écureuil a bien raison.[9]
Art Space Tokyo : Un demi-siècle d'explosions nucléaires
20590 têtes nucléaires, c'est plus qu'il n'en faut pour faire exploser plusieurs fois la planète. Les surnuméraires sont conservées pour le cas où l'ennemi trouverait refuge sur une planète de secours. Car l'ennemi est fourbe. Il faut tout prévoir.[10]
Pendant que les militaires préparent l'avenir, les scientifiques, inquiets, calculent le compte à rebours avant le feu d'artifice. Ils ont à cet effet mis au point une "horloge" conceptuelle sur laquelle minuit représente la fin du monde[11]. A chaque regain de tension, à chaque soubresaut un peu plus violent entre un prince voyou et un Etat sans rire, ils avancent l'horloge du nombre de minutes qu'ils estiment nécessaire. A l'inverse, à chaque signe de détente, dès qu'un sale gosse cacochyme accepte de se séparer de quelques unes de ses bombinettes, ou qu'un bienfaiteur de son peuple rend son dernier soupir, ils reculent de plusieurs minutes le décompte fatal.
Depuis le 17 janvier 2007, l'horloge de l'apocalypse est à 23h55.
A Longyearbyen, il parait que les ours blancs s'en foutent.
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[1] C'est pas vrai[2] C'est vrai[3] Deux fois la superficie de la Belgique pour 2300 habitants, on est à l'aise[4] Ce n'est pas totalement vrai : selon l'UNESCO, un chercheur sur quatre est une chercheuse. Seulement.
[5] Celui qui suit la nuit polaire, bien entendu[6] Cf. le discours de Cary Fowler, directeur du Fonds fiduciaire mondial pour la diversité des cultures[7] Java des bombes atomiques... et 10 femmes pour un homme pour les survivants réfugiés dans une "arche de Noé"[8] Source : Wikipedia[9] Ca, c'est pour détendre l'atmosphère[10] C'est sans doute ce qui explique le nombre proprement ahurissant d'essais nucléaires menés entre 1945 et 1998 : 2053.Voir l'article "La musique de l'apocalypse" sur Culture web
[11] L'horloge de l'apocalypse ou Doomsday clock