Le Mensuel de l’Université donne sur son site l’interviewde Martha Stein-Sochas, directrice opérationnelle pour l’Asie à l’AFD, et Céline Gilquin, chef de projet à la division Eau et assainissement de l’agence. Elles s’expliquent sur la réussite du développement de l’accès à l’eau à Phnom Penh au Cambodge.
LMU : Quelle est la nature de l’aide apportée par l’AFD pour l’amélioration du réseau de distribution d’eau à Phnom Penh ? Est-elle technique ou essentiellement financière, et quel suivi faites vous de l’amélioration de ce réseau ?
Martha Stein-Sochas : L’AFD a accordé deux prêts, de 11 et 16 millions d’euros, à la régie des eaux de Phnom Penh, des prêts consentis sans la garantie de l’Etat cambodgien.
Le premier prêt, accordé en 2006, est maintenant presque entièrement décaissé, et l’extension du premier centre de traitement qu’il a financé a été inauguré le 27 avril. Il s’agissait de financer l’extension d’une usine de traitement d’eau et la construction d’une deuxième prise d’eau dans le Mékong pour augmenter la capacité de production de la régie des eaux de Phnom Penh.
Nous venons de signer, le 8 mai dernier, le deuxième prêt pour la construction d’une nouvelle usine de traitement, pour une capacité de 130 000 mètres cube par jour, capacité qui sera à terme doublée. Il s’agit d’étendre le réseau de distribution au-delà du centre-ville de Phnom Penh vers la périphérie, composée de populations qui n’ont à ce jour pas accès à l’eau. En effet, si 85% des districts centraux sont à ce jour raccordés, le taux de raccordement de l’ensemble de l’agglomération ne dépasse pas 37%.
LMU : Le coût du raccordement n’est il pas prohibitif pour ces populations ?
Céline Gilquin : Il y a une tarification par tranches, c’est à dire que pour les premiers mètres cube d’eau vendus, le tarif est nettement moins élevé que les mètres cube consommés au-delà d’un certain seuil. C’est un système qui permet de favoriser les populations pauvres, mais qui incite également à l’économie. En moyenne, le tarif est donc de 0,25 dollars par mètre cube, ce qui représente pour un foyer pauvre environ 4% de ses revenus.
Nous souhaitons aussi véhiculer le message suivant : l’eau n’est pas gratuite, elle a un coût, et cela participe d’une démarche de responsabilisation des usagers.
LMU : Au-delà du rôle de bailleur de fonds qu’endosse l’AFD, y a-t-il un suivi ou un rôle de conseil quant à la gestion de ce réseau d’eau ?
Martha Stein-Sochas : Dans le cadre du projet, l’AFD a financé le « dur », c’est-à-dire la construction de l’usine de traitement, mais aussi un consultant français qui assiste la régie des eaux de Phnom Penh dans la construction de ces équipements.
S’ajoutent à cela des clauses spécifiques dans notre convention de financement qui exigent de la régie des eaux une gestion rigoureuse de nos fonds. Il s’agit de faire en sorte que le bilan de la régie soit équilibré et qu’elle maîtrise son endettement.
Cependant, la régie des eaux de Phnom Penh et son directeur Ek Sonn Chan ont toujours été particulièrement responsables à cet égard.
Céline Gilquin : Nous incitons en outre la régie, par l’intermédiaire de prêts à taux très inférieurs à ceux du marché, à investir dans le raccordement des quartiers périphériques où se concentrent les populations que nous ciblons.
LMU : La régie municipale, plutôt que la délégation à une société privée, est-elle donc un système à encourager dans le contexte des pays en développement ?
Martha Stein-Sochas : Nous n’avons pas de livre de recettes à l’AFD. Nous sommes toujours à l’écoute de partenaires, et nous faisons en fonction du contexte local du moment que nous approchons nos objectifs, savoir l’accès du plus grand nombre à la ressource. Et pour cela, nous pouvons en effet, et heureusement, avoir recours à une panoplie de choix.
Céline Gilquin : Au Sénégal par exemple, qui est souvent cité en exemple avec le Cambodge, un affermage a été concédé à une société locale filiale de Bouygues. C’est un système de concession qui marche très bien et que l’on soutient.
LMU : Peut-on imaginer que la régie des eaux de Phnom Penh endosse un rôle de conseil en Asie du Sud-est, c’est-à-dire qu’il y ait une sorte de transfert d’expertise en matière de développement du Nord vers le Sud ?
Céline Gilquin : Je crois en effet qu’il faut mener une réflexion sur la façon de reproduire le modèle, qui est un succès. Cependant, le premier défi reste l’élargissement aux quartiers périphériques. Il est également envisagé de confier la responsabilité du traitement des eaux usées à la régie des eaux de Phnom Penh, ce qui serait une autre évolution.
Au plan national, il y a évidemment des échanges entre la régie de la capitale et les villes secondaires. J’ajouterai aussi qu’Ek Sonn Chan, qui bénéficie d’une reconnaissance croissante dans le monde pour son action, participe lui-même à la propagation de ses idées…
Pour ce qui est de partenariats resserrés en Asie du Sud-est, je crois qu’il est encore un peu tôt. La régie des eaux de Phnom Penh, malgré tout, a encore beaucoup de défis à relever en interne pour ce qui est de l’élargissement de son périmètre d’activité en particulier.