Je me souviens: Henri Dubois Roquebert

Par Caryl

Un personnage qui a habité mon enfance de sa présence parcimonieuse mais tutélaire, est Henri Dubois Roquebert. Tous les jeunes Marocains aujourd’hui devraient connaître ce nom là qui fait définitivement partie de leur histoire commune.

Mes grands parents l’appelaient affectueusement « Dubois ». « Dubois », c’était plus simple.

Sous Feu Mohamed V, les Marocains prononçaient, Barokbère.

En 1934, l’illustre chirurgien avait donné à un tout jeune architecte Sicilien, François Allotta, 34 ans, qui allait devenir mon grand père, la noble tâche de lui construire une Clinique d’avant-garde. Et ce dernier, comme tout ce qu’il faisait, l’avait exécuté avec scrupule, talent et passion.

Par la suite, fort de cette collaboration magnifique, « Dubois » lui confia le soin de bâtir toutes les constructions de sa vie d’homme…

Henri Dubois Roquebert venait le soir après ses consultations. Il arrivait, immense, armé de sa voix de basse, son feutre, son nœud papillon, ses tâches de rousseur, sa présence extraordinaire, sa distinction et sa fidélité.

Oui, à la réflexion, ce fut l’être le plus distingué qu’il m’ait été donné de rencontrer.

J’ai ouvert des yeux émerveillés sur mon pays natal, le Maroc, dans la fameuse Clinique Dubois Roquebert où je suis née…

Une clinique Art déco aux Colonnades et aux Zelliges émeraude que les Rbatis connaissent bien et qui fait définitivement partie de leur patrimoine…

Le Professeur Dubois Roquebert tout au long de sa vie dévouée, soigna et sauva d’une mort certaine, tant de patients, de gens illustres et d’anonymes… et il guérit de même, plusieurs membres de ma famille avec un dévouement et un savoir faire extraordinaire…

Ceci est pour la petite histoire.

Pour la grande Histoire et l’Histoire tout court…


Henri Dubois Roquebert a été le Chevalier Blanc qui a sauvé l’honneur de la France au moment où celle-ci, aux mains de quelques misérables, des politiciens de rencontre, comme aurait dit le Général, sans âme, sans mémoire et surtout sans reconnaissance, s’avilissait dans la désastreuse déportation en exil de Sa Majesté Mohamed V et de toute sa famille.

Tournant avec mépris, le dos à ce camp arrogant et stupide, aux pressions, aux menaces, aux insultes, le Professeur Dubois Roquebert n’abandonnait jamais, même dans les pires moments, le Sultan, son ami, son patient.

Henri Dubois Roquebert reconnaissait à ce Souverain discret, des qualités de cœur véritablement… immenses.

Au milieu des épreuves et des vicissitudes, le Souverain conservait, un sang froid, un courage, une dignité hors du commun et surtout, une Foi inébranlable en son peuple.

Cette attitude avait subjugué Henri Dubois Roquebert.

Ce cœur simple à la vaste intelligence et qui s’était battu en héros pour la Liberté de son pays, ne pouvait pas ne pas reconnaitre les mêmes droits à un Homme, en qui il reconnaissait les signes qui font les pères de la Nation y compris et surtout lorsqu’on leur en déni le titre !

Henri Dubois Roquebert fut jusqu’à sa mort, l’ami Français le plus actif et le plus fidèle qu’eût jamais la Famille Royale.

Il la suivit partout dans son triste itinéraire d’exil et partagea des moments de grande douleur.

Si le concept d’Amitié fidèle et dévouée et d’Amour pour ce pays doit avoir une figure qui l’incarne, c’est sans hésiter, celle d’Henri Dubois Roquebert.

Aujourd’hui alors que le Monde est atteint d’une maladie de langueur causée par le matérialisme triomphant…

Un matérialisme qui, se retournant contre ses propres excès, disloque une à une les grandes certitudes financières, aujourd’hui où plus que jamais, de nombreux Européens sont tentés de fuir une Civilisation inhumaine qui met les gens à la casse comme de vulgaires voitures, pour se réfugier au Maroc, les paroles prémonitoires d’Henri Dubois Roquebert, ce visionnaire qui ne voyait loin que parce qu’il voyait avec le cœur, doivent résonner à nos oreilles.

Nous sommes en Février 2009, elles ont été écrites dans les années 1965, il y a 40 ans !

Qu’on juge de leur puissance !

Le Maroc possède des atouts décisifs qui doivent lui permettre de s’élever un jour au rang d’une grande nation…

Du fait du progrès de la technique qui de plus en plus supprimera les distances et facilitera la communication, le Maroc bénéficie sur la planète d’une situation exceptionnelle :

Point de rencontre non plus de deux mais de trois continents avec le développement des communications aériennes, il peut être également considéré comme le point de jonction de deux civilisations.

Le Maroc apparaît comme un lieu de rencontre entre un Occident duquel il se rapprochera de plus en plus sur le plan économique, et l’Orient dont il se réclame à juste raison.

Sa mission est de rapprocher ces deux fractions qui tendent à s’isoler pour le plus grand malheur de l’humanité.

Son peuple si viril, si courageux, si fier, est digne en tout point de remplir le grand destin qui l’attend.

Il sera en mesure de fournir l’élite qui se chargera d’obéir à cet impératif que la géographie assigne au Maroc : Servir de point de jonction entre la chrétienté et l’islam, entre l’occident et l’orient musulman.

Les conquêtes matérielles ne sont rien, si elles ne sont pas animées par l’esprit.

L’occident doit se rendre compte que tout n’est pas parfait dans l’idéal qu’il nous propose. Il doit estimer à sa juste valeur ce que peuvent lui apporter ces peuples matériellement démunis mais riches des réserves spirituelles qui commencent à lui manquer.

Le Maroc est largement doté de telles réserves spirituelles :

Dés mon arrivée au Maroc, j’y ai trouvé un climat de douceur, qui s’explique par le fait que le Marocain continue à vivre à une échelle restée humaine, peu comparable à celle des Occidentaux.

A tous les échelons de la Société Marocaine, on retrouve cette politesse raffinée que nous avons perdue en Occident,

Et que dire de cette hospitalité légendaire…si ce n’est qu’elle représente des traditions d’honneur et de noblesse de cœur.

Alors que les hommes de chez nous sont devenus la proie de l’anxiété, de l’insomnie et des tranquillisants le Marocain est resté un homme équilibré et heureux et à son contact, on le devient !

Alors que nous autres occidentaux tendons à faire de notre civilisation matérialiste, une fin pour l’homme et à perfectionner sans cesse notre société de consommation, le Marocain lui, n’a jamais cessé de se situer dans l’Univers, et cinq fois par jour, se rendant à l’appel du Muezzin, Il se tourne vers l’Au- delà, s’efforçant de mériter le Paradis qui lui est promis.

Le Maroc possède le privilège de la jeunesse, et la possibilité de faire du neuf en s’inspirant des exemples bons et mauvais de ce qui a été fait ailleurs. Il est permis de supposer qu’une coopération franco-marocaine réalisée sur un strict pied d’égalité doit devenir la clef de voûte de ce nouveau « combinat Méditerranéen » qui représente tant de forces spirituelles et matérielles…

L’intelligence seule, ne saurait édifier œuvre durable, sans l’aide du cœur et de la probité. Mais quelle que soit l’aide extérieure, C’est surtout sur eux même que les Marocains doivent compter : Seuls, leur cohésion, leurs efforts désintéressés, leur sens de la patrie, leur permettront de prendre rang parmi les grandes nations…

Henri Dubois Roquebert a payé de sa vie, cette fidélité au Maroc et à la famille Royale, une fidélité née dans les années 30…

Le 10 Juillet 1971, il était à Skhirat aux cotés de ce Roi qu’il aimait comme un fils car il l’avait vu grandir et se former au dur métier.

Il est mort sous des balles scélérates se vidant lentement de son sang par une folle après midi de soleil rouge, livrée à la démence meurtrière des hommes.

Conscient jusqu’à l’extrême minute, ce cœur fidèle et aimant, a du partir dévasté à l’idée d’abandonner derrière lui ses enfants, trois orphelins encore jeunes et sans protection et ce jeune Roi dont il savait qu’il était un grand Roi et qu’il incarnerait Le Siècle du Maroc…

Que faut-il retenir de la pensée d’Henri Dubois Roquebert ?

Qu’une culture dominante, comme celle de la Civilisation Occidentale, n’est pas forcément une culture légitime.

Que le ratio, l’intelligence et les conquêtes matérialistes ne sont rien si elles ne sont soutenues par l’esprit et la spiritualité.

Que l’art de vivre, le soin et le respect envers l’autre, la politesse dans les échanges sociaux, le prix de la famille, l’honorabilité accordée aux anciens, la fidélité, le sens de la communauté, sont des Supra valeurs !

Elles expliquent pourquoi tant d’Européens sont tentés de fuir ce désert matérialiste qui chosifie les êtres, pour venir retrouver ici, chez nous, l’Or des relations Humaines.

Nous sommes aujourd’hui rentrés dans le champ de la modernité.

Les cultures quittent leurs frontières et s’avancent à la rencontre les unes des autres.

Les cultures ne font pas souvent leur aggiornamento.

Les cultures dominantes notamment, ne sont pas modestes, elles écrasent comme un rouleau compresseur, l’essence même des cultures qu’elles rencontrent…

Ce nouveau territoire de Civilisation commune, à quoi doit t-il ressembler?

Devons nous accepter l’homogénéisation qui arrive à grand pas et risque de nous faire perdre l’essentiel, c’est-à-dire notre âme ?

Devons nous accepter à force d’adopter les codes, les méthodes, les modes et les procédures, les us et les coutumes, les techniques et les règlements sans réflexion, de transformer à notre tour ce pays, en un désert matérialiste qui chosifie les êtres?

Doit-on accepter sans réagir le bouleversement de notre écosystème social ?

Ce questionnement sans prix, travail par excellence de la pensée, s’appelle la Métanoia.

C’est un profond travail de retour sur soi, d’analyse et d’autocritique, pour distinguer ce que l’on veut prendre et ce que l’on veut garder.

Pour que l’immense patrimoine culturel de ce pays continue d’être valorisé, pour que ces valeurs perdurent, pour que le pays reste celui de la douceur de Vivre, pour qu’il reste attractif aux étrangers, pour qu’il assume sa vocation de Terre de rencontre et d’échanges…

Pour qu’enfin, nous restions fidèles à des hommes comme Henri Dubois Roquebert et ceux qu’il aima jusqu’à la mort, les biens aimés Souverains Mohamed V, Hassan II et ce Jeune Prince qu’il eut le temps de prendre dans ses bras chaleureux, il ne suffira pas dans ce pays, d’instruire nos enfants, il faudra les éduquer !

Eduquer dans le sens de transmettre, non des savoirs et des techniques qui sont l’apanage de l’instruction, mais des Valeurs.

Des signes toujours plus inquiétants attestent que le mal vivre Européen est en train de nous toucher…

Il faudra se mobiliser dans un effort sans précédents pour conserver, magnifier et transmettre ces valeurs, car les valeurs de Civilisation ne sont pas fixées dans nos gènes.

Ce travail de Résistance est toujours à recommencer. Et c’est sans doute, ce qui en fait le prix.

Chaque génération est concernée par ce combat et interpellée au plus profond d’elle-même.

Nos ainés se sont battus pour l’Indépendance et la Liberté…

Nous devrions à notre tour être libres de choisir en toute conscience, des valeurs et du mode de vie auxquels nous sommes attachés.

La crise du monde moderne, est moins une crise financière, qu’une crise de civilisation et de mentalité ! Une Crise de Sens !

Il serait stupide, improductif et dangereux, de confondre les causes avec les conséquences… Les symptômes avec le diagnostic !…

Protéger et transmettre ces fameuses valeurs de Civilisation dont ce pays a le secret, et dont la pire des catastrophes culturelles qui pourrait survenir, est qu’il les perde ou les dilue sous les coups de boutoir de la modernité, tel est le prix du prochain combat pour des leaders éclairés et responsables.

Il est tout entier résumé là : Entre Authenticité et Modernité.

Ne rien perdre avec conviction et s’avancer avec d’autant plus de Confiance que l’on est conscient des enjeux.

L’évitement du Choc frontal des Civilisations est à ce prix, à l’image des eaux de notre fameux Détroit, qui célèbre de façon permanente les noces apaisées de l’Atlantique imprévisible avec la douceur millénaire de la Méditerranée.

NB: Vous aimerez retrouver l’histoire de cette Amitié magnifique entre Henri Dubois Roquebert et les Souverains Marocains dans ce lieu extraordinaire de Maroc Lodge au cœur de l’Atlas millénaire, à Amizmiz ce lieu serein où le chirurgien aimait venir se ressourcer et où le Souverain Mohamed V, son ami vint le visiter.

Là bas, son fils, Bruno Dubois Roquebert, et sa fille Béatrice, ces cœurs fidèles, dignes successeurs de leur père, entretiennent le souvenir de l’attachement intransigeant d’un homme à des valeurs, à un pays, à ses amis.

Et vous lirez avec passion, d’un trait, le livre d’Henri Dubois Roquebert, Mohammed V, Hassan II, tels que je les ai connus, avec des lettres royales manuscrites magnifiques, livre chaleureusement préfacé par Sa Majesté Hassan II lui-même, quelques jours avant sa propre disparition…

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