Le regard de l'Autre est le nôtre.

Par Handiady

Sujet apparemment délicat et douloureux que celui du regard de l'Autre sur notre maladie, notre handicap, notre corps diminué. Je dois dire que pour avoir toujours appartenu à une, voire plusieurs minorités (ronde, blonde, puis porteuse de lunettes avant de me retrouver en fauteuil... Je sais, je cumule!), le regard des gens ne m'a que rarement pesé. (sauf, et là c'est sûr, le jour où [anecdote du passé] en rentrant du collège, une voiture s'est arrêtée à ma hauteur, un couple avec un jeune enfant, et le triple c.. de type a descendu sa vitre [je pensais qu'il désirait un renseignement] et m'a crié qu'"On devrait euthanasier les grosses merdes comme toi, tu pollues le paysage". J'avais 14 ans, j'étais obèse, je ne souffrais d'aucun handicap... Ce jour-là je suis rentrée tête baissée, morte de honte et de douleur, avec l'envie de me jeter sous une voiture, mais j'ai tenu bon, car j'étais entourée d'amis épatants.)

Ma sclérose en plaques ayant démarré très fort puisqu'en fauteuil de suite et définitivement, avant d'être en état ne serait-ce que de me transférer de mon lit d'hôpital en chaise roulante, il s'est passé plus de 3 mois. Après plusieurs mois de "lit", quasi grabataire, le passage en fauteuil roulant a été une libération, un plaisir même. Je le raconterai dans un prochain article où je détaille les débuts de ma SEP.
Les premiers regards ont donc été ceux, bienveillants et attentifs, de mes infirmières, kiné, médecins. Ils se sont réjouis pour moi. Rien de négatif. Pour mes visiteurs d'alors, famille, collègues et amis, pareil, ils étaient ravis de me voir "mobile". Un collègue me piquait même le fauteuil et faisait le kakou et des cascades avec ma "titine"! En y réfléchissant on pourrait s'étonner du fait qu'ils n'aient pas été choqués. Eh bien, le diagnostic n'était pas encore posé, et tout le monde espérait que ce n'était là qu'une étape provisoire vers ma guérison...
Mais, par-dessus tout, ma joie de ne plus dépendre de la sonnette au-dessus de la potence de mon lit avait été communicative.
J'étais radieuse, j'irradiais la joie, et cette joie avait touché ceux qui m'entouraient. Leur regard n'a donc pas été gêné, ni triste.
Ce qui nous amène à un constat extraordinaire: nous influençons tous le regard qu'ont les Autres sur nous.
Je l'ai expérimenté lorsque, 3 ans environ après le début de ma SEP, je n'avais toujours pas récupéré, et je faisais ma "traversée du désert", déprime, angoisse, découragement, envie de "partir". Le diagnostic n'était toujours pas posé, et je ne voulais plus vivre ainsi (ce qui ne signifie pas que je voulais mourir, nuance!). J'avançais donc tête baissée, triste et éteinte, mal dans mon fauteuil et dans ma peau, n'assumant pas mon handicap. (alors que peu de temps auparavant, tout allait bien!)
A cette époque je n'étais que l'ombre de moi-même. Aigrie aussi sans doute. J'en avais pris conscience plus tard, lorsque j'allais mieux, lorsqu'une étudiante habitant mon immeuble sympathisa avec moi, avant de me dire: "C'est cool de discuter avec toi, tu es tellement à l'aise malgré ton handicap. Pas comme la nana qui habite au RdCH, tu sais, celle qui est toujours habillée en noir ou gris et a toujours l'air de faire la gueule..."
CHOC! Puisque c'est de MOI qu'elle parlait, sans le savoir! Je lui ai donc révélé que j'étais bien l'Autre nana, enfin non, je ne l'étais plus, puisque j'allais bien à présent! En m'observant dans le miroir, j'y ai vu que je portais des vêtements plus colorés et que je me tenais bien droite, sûre de moi, le visage clair, un demi-sourire sur les lèvres.
Et j'ai compris soudain que si je voulais que change le regard de l'Autre, je devais changer d'abord mon propre regard sur moi-même. M'aimer, m'accepter un peu, pour que l'Autre puisse m'aimer et m'accepter à son tour.
C'est magique, vraiment! Et cela explique sans doute que dans mon quartier, il n'y a eu qu'un regard empli de pitié (celui qui vous transperce et vous glace) en 8 ans de maladie. (bon, il y a bien eu ceux que je ne voyais pas lorsque j'avançais tête baissée quand j'allais mal!!!)

A part cela, des regards curieux, intéressés, des sourires amicaux, des regards normaux de personnes qui se croisent...
Si je suis heureuse, aujourd'hui, d'avoir dépassé cette phase terrible, il m'arrive encore de souffrir, pour d'autres: des "handis" comme moi, que je croise. Ils avancent tête baissée, font la gueule. Et là, c'est MOI qui dois avoir un regard que je m'efforce d'être compatissant, positif, et non de pitié. Car ils ne donnent pas envie de leur parler, ni de les connaître...
Si vous êtes encore coincé dans votre phase "tête baissée", courage... Relevez l'échine. Il n'y a pas de honte à être dans votre état. N'oubliez pas: le regard des Autres changera dès lors que le vôtre, sur vous-même, aura changé! Si vous rayonnez, il rayonnera vers vous. Je vous embrasse très fort...


*Première parution le 15 janvier 2007*