Le président américain doit rencontrer vendredi 10 juillet
Benoît XVI, à l’issue du G8 de L’Aquila, et à cette occasion, il a reçu à la Maison-Blanche plusieurs journalistes de la presse catholique. Ci-joint l'entretien publié aujourd'hui dans La Croix
(ICI).
A côté de vos opposants républicains, un certain nombre d’évêques américains sont très critiques à votre égard.
Est-ce que cela pourrait vous amener à cesser de les considérer comme des interlocuteurs ?
Barack Obama : Non. Un des fondements de notre démocratie est que chacun est libre d’exprimer ses opinions politiques, et je prends au sérieux l’opinion des gens. Je suis le président de tous les
Américains, et pas seulement des Américains qui se trouvent être d’accord avec moi. Les évêques américains ont une profonde influence dans leurs communautés, dans l’Église et au-delà.
Je tiens à dire que, même si certains évêques ont élevé des critiques contre moi, nombre d’entre eux ont aussi été extrêmement généreux et m’ont soutenu, même s’ils n’étaient pas d’accord avec
moi sur tous les sujets. Une des raisons qui me poussent à établi une relation avec les évêques est important pour moi, c’est le très bon souvenir que j’ai du cardinal Bernardin (1), qui était à
Chicago quand j’y suis arrivé pour être animateur de communauté et pour travailler avec les paroisses catholiques des quartiers sud de Chicago. Je sais le potentiel des évêques américains à
s’exprimer avec force sur les questions de justice sociale. Je pense qu’il y aura toujours des domaines où nous aurons des accords profonds et d’autres où nous seront en désaccord. C’est
sain.
L’impact de la crise économique sur les pauvres est un grave sujet d’inquiétude pour le Saint-Siège. De quels progrès sur ce sujet aimeriez-vous faire part au pape, que vous allez rencontrer
vendredi après la réunion du G8 ?
J’aimerais pouvoir lui dire que, lors du sommet du G20 à Londres, nous avons expressément parlé de la nécessité non seulement de stabiliser l’économie dans son ensemble, mais aussi de veiller à
ce que les effets immédiats de la crise ne soient pas une charge disproportionnée pour les pays les plus pauvres et les plus vulnérables. En conséquence, nous avons pris une série d’engagements
qui se sont traduits dans l’engagement des États-Unis en faveur d’un crédit supplémentaire de 100 milliards de dollars pour que le FMI aide les pays pauvres qui risquent d’être touchés par la
crise. À L’Aquila, l’une des priorités de mon administration sera d’obtenir que les autres pays riches s’alignent sur notre engagement accru de manière significative pour la sécurité alimentaire
dans le monde. Nous avons déjà mis en place un plan pour doubler nos ressources, non seulement pour les secours d’urgence et les denrées alimentaires, mais aussi pour réfléchir à comment
travailler d’une façon plus intelligente pour le développement, autour de l’autosuffisance agricole de nombreux pays. Et nous avons un plan très solide pour le faire.
Je pense que ce que je parlerai aussi au Saint-Père de la nécessité de lancer des réformes de base – non seulement à l’étranger, mais ici, dans ce pays – pour assurer une sécurité minimum pas
seulement pour les pauvres, mais aussi pour la classe moyenne, extrêmement vulnérables aux faillites, si elles tombent malades, si les salaires et les revenus diminuent, ce qui rend de plus en
plus difficile pour eux une vie dans la dignité et la sécurité. Je continue à croire que le capitalisme est le moyen le plus efficace d’engendrer de la richesse, mais je pense que l’Église
catholique a toujours été une boussole morale puissante sur les questions de redistribution de la richesse et sur la façon dont nous pouvons faire en sorte que chacun ait sa chance. La main
invisible du marché ne permet pas toujours de veiller à ce que chacun soit en mesure d’avoir assez à manger, un toit au-dessus de sa tête, ou envoyer leurs enfants à l’université. Nous voulons
nous assurer que nous continuons à bâtir une société qui n’est pas seulement riche dans l’ensemble, mais aussi juste. Et,d’une façon presque ironique, lorsque nous avons ce genre de société, il
s’avère que c’est vraiment bon pour le capitalisme, car nous avons des gens qui sont en mesure de soutenir les entreprises, car ils ont un revenu et peuvent fonctionner efficacement comme
consommateurs.
Beaucoup de ceux qui fournissent de l’aide par le biais de l’Église sont très inquiets des restrictions qui pèsent sur leur travail, notamment en ce qui a trait à l’enseignement moral de
l’Église. Leur inquiétude porte surtout sur la clause de conscience leur permettant de refuser de poser certains types d’actes (2). La direction que semble vouloir prendre votre administration ne
semble pas très claire. Pouvez-vous nous en dire plus sur le point de savoir jusqu’où le gouvernement peut limiter la conscience des gens ?
Je pense que la seule raison pour laquelle ma position semble peu claire, c’est qu’elle est venue à la dernière minute, d’un changement des dispositions sur la clause de conscience préparé par
l’administration précédente et sur lequel nous avons choisi de revenir. Mais ma position profonde a été constante : je crois à la clause de conscience.
J’ai été un partisan d’une réelle clause de conscience dans l’Illinois pour les hôpitaux catholiques et les soignants. J’ai discuté de cela avec le cardinal Francis George (NDLR : archevêque de
Chicago et président de la conférence épiscopale américaine) quand il est venu ici dans le Bureau ovale, et j’ai réitéré mon soutien à une véritable clause de conscience dans mon discours à
l’université de Notre-Dame. Je pense donc que certains continuent attendre le pire de notre part, mais ce n’est pas fondé sur quelque chose que j’ai dit ou fait, seulement sur une certaine
perception que nous aurions un programme dur à imposer. J’ai fait un changement de dernière minute sur la clause de conscience, en partie parce qu’elle n’avait pas été correctement examinée et
qu’il y avait quelques inquiétudes sur l’étendue de son application et ses conséquences une fois mise en œuvre. Nous sommes en train d’examiner les possibilités de revenir à ce qui existait avant
ces modifications. Nous avons sollicité les commentaires d’un large éventail de groupes – des centaines de milliers de commentaires, y compris de la part des catholiques, et les évêques ont pesé
là-dedans. Je peux assurer à tous vos lecteurs que, lorsque cet examen sera terminé, il y aura une vraie clause de conscience en place. Elle ne répondra peut-être pas à toutes les critiques
possibles de notre approche, mais elle ne sera certainement pas en deçà de ce qui existait avant les modifications apportées.
Vous avez mis en place un groupe pour trouver un terrain commun sur la question de l’avortement. Étant donné la différence entre opposants et partisans de l’avortement, est-ce vraiment
réaliste ?
Nous avons reçu un éventail de perspectives, recueilli des commentaires. Le groupe a travaillé, procédé à des auditions, a été actif. Je devrais recevoir cet été une note qui indiquera là où il y
a un terrain d’entente possible et là où il y a des différences irréconciliables. Je n’ai jamais été dans l’illusion que nous allions tout simplement gommer toutes nos différences sur ces
questions. C’est ce que j’ai dit dans le discours de Notre-Dame. Je pense qu’il y a une différence irréductible sur la question de l’avortement. Le mieux que nous puissions faire est de penser
que les personnes de bonne volonté peuvent être des deux côtés, mais vous ne pouvez pas écarter ces différences. Je peux vous dire, cependant, que sur l’idée d’aider les jeunes à faire des choix
judicieux pour ne pas se livrer à une activité sexuelle désinvolte pouvant conduire à des grossesses non désirées, sur l’importance de l’adoption comme une option et solution de rechange à
l’avortement, sur les soins pour les femmes enceintes de sorte qu’il soit plus facile pour elles d’aider les enfants, sont déjà trois domaines sur lesquels je serais surpris que nous ne trouvions
pas un terrain d’entente. Personnellement, je pense que la sexualité saine et une bonne éducation morale doivent être combinées avec la contraception afin d’éviter les grossesses non désirées. Je
reconnais que cela est en contradiction avec la doctrine de l’Église catholique, de sorte que je ne m’attends pas à ce qu’une personne qui envisage fortement cette question comme une question de
foi se mette d’accord avec moi sur ce point. Mais c’est mon opinion personnelle. Nous n’arriverons sans doute pas à avoir un langage commun sur cette question. Je serais surpris que ceux qui
croient que l’avortement devrait être légal s’opposent à celui qui dit que nous devrions essayer de réduire les occasions dans lesquelles les femmes se sentent obligées de recourir à un
avortement. S’ils prennent cette position, je suis d’accord avec eux. Je ne connais pas de circonstances où l’avortement serait un événement positif, et dans la mesure où nous pouvons aider les
femmes à éviter d’être confronté à une telle circonstance, je pense que c’est une bonne chose. Mais encore une fois, c’est mon point de vue.
Vous dites que, avec vous, certains catholiques s’attendent au pire, en particulier sur les questions de la vie. mais vous êtes devenu à bien des égards, le porte-parole de beaucoup de
catholiques qui se soucient de l’environnement, des pauvres, des soins de santé… Sentez-vous une division des catholiques depuis que vous êtes arrivé à la présidence ?
Je pense ces clivages existaient sans doute avant. J’ai mentionné le cardinal Bernardin. Quand j’ai commencé à m’investir sur les questions de justice sociale, les évêques américains parlaient
d’un gel nucléaire et d’un sanctuaire pour les immigrés clandestins, et protestaient contre la politique américaine en Amérique latine. Il y avait, je crois, un véritable éventail de perspectives
différentes, à la suite du concile Vatican II.
Les responsables de l’Église ont décidé un changement au sein de l’Église qui, à certains égards, a suivi les modifications de la société américaine dans son ensemble ou, du moins, la politique
américaine. Il n’y a donc pas de doute, je crois que les réponses à mon administration sont le miroir des tensions au sein de l’Église dans son ensemble. C’est un point sur lequel j’ai beaucoup
réfléchi. Le cardinal Bernardin a été fortement pro-vie, il ne s’est jamais tu de cette question, mais a été très cohérent de parler de manière entière sur un éventail de questions qui lui
semblaient être pro-vie. Ce qui signifie qu’il était préoccupé par la pauvreté, par la façon dont les enfants étaient traités, par la peine de mort, par la politique étrangère. Et cette partie de
la tradition catholique est quelque chose qui continue à m’inspirer. Et je pense qu’il y a eu des périodes au cours des deux dernières décennies, où une tradition plus globale a semblé comme
enterrée sous le débat sur l’avortement.
Maintenant, en tant que non-catholique, ce n’est pas à moi de tenter de résoudre ces tensions. Comme je l’ai dit, tout ce que je peux faire, c’est affirmer qu’une autre tradition m’a permis à
moi, un non-catholique, de réfléchir à comment je peux être une meilleure personne. Elle a eu une grande influence sur ma vie et pourrait être un puissant moyen de mettre en œuvre un ensemble de
valeurs dans la vie américaine en général.
En Terre sainte, Benoît XVI a plaidé pour une paix juste et durable. Comment votre administration peut-elle aider à relancer le dialogue entre Israéliens et Palestiniens ?
Comme vous le savez, nous avons été très clair en estimant que les implantations doivent cesser. Ce n’est pas une chose facile pour les Israéliens. La colonisation se poursuit depuis des
décennies. Et le premier ministre Netanyahou a, je crois, pris au sérieux notre position, mais il doit faire face à ses propres contraintes politiques. Nous avons des conversations très
constructives avec les Israéliens, même si je ne suis pas en mesure de dire quel sera le résultat final de ces discussions. D’autre part, le problème n’est pas seulement celui des colonies
israéliennes. Les Palestiniens ont aussi des obligations. L’Autorité palestinienne en rempli certaines, mais n’est pas assez ferme sur d’autres. Nous voulons les encourager à mettre un frein à la
violence, à mettre fin aux incitations que vous entendez encore, malheureusement, dans de nombreuses communautés palestiniennes.
Les États arabes environnants ont aussi un rôle à jouer en prenant des mesures pour normaliser les relations avec Israël. Si Israël se prépare à prendre des décisions politiques très difficiles à
propos des implantations et, à terme, sur les frontières allouées à un État palestinien, les États arabes doivent prendre eux-mêmes de difficiles décisions politiques, en reconnaissant
l’existence d’Israël, sa légitimité et les besoins de sécurité de n’importe quel autre État. Et ainsi, sans imposer un résultat final, ce que les États-Unis devraient faire, c’est tendre un
miroir aux deux côtés pour leur montrer comment leur incapacité à résoudre ce problème est en train de saper la paix et la sécurité pour les deux peuples. C’est un sujet dont je suis impatient de
parler avec le Saint-Père, car je pense que notre position recoupe largement celle du Saint-Siège. Et je pense que nous pouvons être des partenaires efficaces pour essayer d’amener les parties à
se rapprocher.
Recueilli par Dan CONNORS (à Washington) (Traduction La Croix)
(1) Archevêque de Chicago de 1982 à 1996, le cardinal Joseph Bernardin a été l’une des grandes figures du catholicisme social aux États-Unis.
(2) Alors que la loi américaine protégeait déjà les employés du secteur médical refusant de pratiquer un avortement, un décret de l’administration Bush, signé quelques jours avant la prestation
de serment de Barack Obama, élargissait les dispositions de mise en œuvre de cette clause conscience au risque, selon la nouvelle administration, de l’ouvrir pour tout cas relatif à la
contraception, au planning familial, aux vaccins et aux transfusions sanguines.