Extrait de l'article de Luc Moullet : "Les maoïstes du Centre du Cinéma" dans l'ouvrage collectif (et pédagogique ?) Le cinéma et l'argent, 1999 (repris dans ses Piges choisies)
Sans doute le meilleur article sur l'approche économique du cinéma qui refuse de prendre pour argent comptant (c'est le cas de le dire, ah, ah, ah) les calibres des films selon leurs budgets annoncés. Savoureux démontage des mécanismes de sur ou sous-facturation, de ce qui se voit sur l'écran et de ce qui ne s'y voit pas, des films où "on a pour son argent" et d'autres où "on se demande où il est passé". Entre autres paramètres inattendus, le théorème selon lequel le rendement d'un Rohmer en salle est 18 (!) fois supérieur à celui du Jeanne d'Arc de Besson. Il est clair que la démonstration assez poussée et maniaque prend aussi une saveur particulière, quand on connaît la situation de Moullet comme le cinéaste le plus low cost du cinéma français. Pour autant, lui-même confesse, à son échelle, des grands écarts et des dépenses fictives car, voyons, impossible d'annoncer le prix d'un long-métrage tourné sur trois continents - Genèse d'un repas en 1978 - à 300 000 francs, son vrai coût, donc allons, mettons au moins 1 million. A l'heure où tout le cinéma français ne jure que par les films du milieu, Moullet montre aussi que les budgets faméliques exerçant la même fascination sur le spectateur que les devis pantagruéliques, les films du haut et ceux du bas partagent le même sens du bricolage.Le plus étonnant est aussi le ton plutôt amusé de Moullet (article sur le mode de la fable et pas du tout sur le mode de la dénonciation) qui au final, dessine, l'aventure de la production comme une suite de petits arrangements où la partie de poker (plus ou moins menteur) entre acteurs de la chaîne du cinéma aboutit paradoxalement à la construction d'un sentiment de confiance entre professionnels (sur le mode, annoncer un chiffre, c'est aussi annoncer une ambition).
Sans doute faut-il une sacrée confiance dans son cinéma (et un brin d'orgueil, voire de puritanisme vis-à-vis de l'argent) pour comme Moullet, Rohmer ou les Straub (à ma connaissance, des cinéastes qui n'ont pas singulièrement connu d'inflation de leurs devis au cours de leur carrière ou en tous cas, n'ont jamais annoncé "passer à un plus gros budget") pour se permettre ainsi de snober la composante économique de leurs projets.
Tout cela me fait penser à un savoureux "coup" d'autres "enfants de Mao" : l'introduction filmée de Tout va bien (Jean-Pierre Gorin et Jean-Luc Godard 1972) où littérallement l'argent était sur l'écran :
... sans que là encore, rien ne nous dise si les chiffres (total : près de 2 millions de francs, valeur 1972, soit un bon film du milieu ?) sont des prévisions ou des constats. Et sur ces images plane sciemment une incertitude : documentaire ou fiction ?