à travers les étés
(A une jeune fille
A une maison
A Francis Jammes)
Attendue
A travers les étés qui s’ennuient dans les cours
en silence
et qui pleurent d’ennui,
Sous le soleil ancien de mes après-midi
Lourds de silence
solitaires et rêveurs d’amour
d’amour sous des glycines, à l’ombre, dans la cour
de quelque maison calme et perdue sous les branches,
A travers mes lointains, mes enfantins étés,
ceux qui rêvaient d’amour
et qui pleuraient d’enfance,
Vous êtes venue,
une après-midi chaude dans les avenues,
sous une ombrelle blanche,
avec un air étonné, sérieux,
un peu
penché comme mon enfance,
Vous êtes venue sous une ombrelle blanche.
Avec toute la surprise
inespérée d’être venue et d’être blonde,
de vous être soudain
mise
sur mon chemin,
et soudain, d’apporter la fraîcheur de vos mains
avec, dans vos cheveux, tous les étés du Monde.
*
Vous êtes venue :
Tout mon rêve au soleil
N’aurait jamais osé vous espérer si belle,
Et pourtant, tout de suite, je vous ai reconnue.
Tout de suite, près de vous, fière et très demoiselle,
et une vieille dame gaie à votre bras,
il m’a semblé que vous me conduisiez à pas
lents, un peu, n’est-ce pas, un peu sous votre ombrelle,
à la maison d’été, à mon rêve d’enfant,
à quelque maison calme, avec des nids aux toits,
et l’ombre des glycines, dans la cour, sur le pas
de la porte – quelque maison à deux tourelles
avec, peut-être, un nom comme les livres de prix
qu’on lisait en juillet, quand on était petit.
Dites, vous m’emmeniez passer l’après-midi
Oh ! qui sait où !… à « La Maison des Tourterelles ».
*
Vous entriez, là-bas,
dans tout le piaillement des moineaux sur le toit,
dans l’ombre de la grille qui se ferme, – Cela
fait s’effeuiller, du mur et des rosiers grimpants
les pétales légers, embaumés et brûlants,
couleur de neige et couleur d’or, couleur de feu,
sur les fleurs des parterres et sur le vert des bancs
et dans l’allée comme un chemin de Fête-Dieu.
Je vais entrer, nous allons suivre, tous les deux
avec la vieille dame, l’allée où, doucement,
votre robe, ce soir, en la reconduisant,
balaiera des parfums couleur de vos cheveux.
Puis recevoir, tous deux,
dans l’ombre du salon,
des visites où nous dirons
de jolis riens cérémonieux.
Ou bien lire avec vous, auprès du pigeonnier,
sur un banc de jardin, et toute la soirée,
aux roucoulements longs des colombes peureuses
et cachées qui s’effarent de la page tournée,
lire, avec vous, à l’ombre, sous le marronnier,
un roman d’autrefois, ou « Clara d’Ellébeuse ».
Et rester là, jusqu’au dîner, jusqu’à la nuit,
à l’heure où l’on entend tirer de l’eau au puits
et jouer les enfants rieurs dans les sentes fraîchies.
*
C’est Là… qu’auprès de vous, oh ma lointaine,
je m’en allais,
et vous n’alliez,
avec mon rêve, sur vos pas,
qu’à mon rêve, là-bas,
à ce château dont vous étiez, douce et hautaine,
la châtelaine.
C’est Là – que nous allions, tous les deux, n’est-ce pas,
ce dimanche, à Paris, dans l’avenue lointaine,
qui s’était faite alors, pour plaire à votre rêve,
plus silencieuse, et plus lointaine, et solitaire…
Puis, sur les quais déserts des berges de la Seine…
Et puis après, plus près de vous, sur le bateau,
qui faisait un bruit calme de machine et d’eau…
Alain-Fournier, Miracles, Gallimard
1924, rééd. 1961, p.99-102
Contribution de Sarah Léon
Bio-bibliographie
d’Alain-Fournier
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