Samedi matin, ligne B du RER parisien, la ligne qui relie les aéroports de Paris-Roissy et de Paris-Orly, sans parler des liaisons entre banlieues et vers le Parc des Expositions. Un conducteur se fait « agresser », on ne sait comment ni pourquoi. N’a-t-il pas une porte de cabine qui ferme à clé ? Est-il sorti pour jouer les gros bras ? Nul ne sait jamais de quelle sorte d’« agression » il s’agit : juste un regard ? ils se sont mis à cinq pour l’envoyer à l’hôpital ? « Agression » apparaît comme un motif administratif pour justifier le chahut, comme au collège. Car aussitôt, c’est la grève, la fameuse grève sans cause des syndiqués par « solidarité ».
On ne peut qu’être confondu par un tel égoïsme. Qu’un tel esprit de caste subsiste dans un pays qui a fait la révolution de 1789, celle de 1848, et la charte de la Résistance en 1945 laisse pantois. Qu’un tel corporatisme puisse bloquer toute une région, un jour de départ en vacances et de début de week-end met en colère. Où est le sens du collectif, le souci des autres, dans un tel chaos sciemment orchestré ?
Qu’on ne me dise pas qu’ils « ne savaient pas ce qu’ils font » - les cheminots étaient parfaitement conscients qu’en ce jour et en cette saison, l’impact de leur minuscule émoi serait médiatique. Je n’étais pas dans le RER ni ce jour ni à cette heure là, mais dans bien d’autres RER mis en grève plus de mille fois ces trente dernières années, pour des motifs aussi insignifiants. Il s’agit d’en comprendre les conséquences :
· une fois de plus, les « usagers » sont traités non comme des citoyens majeurs ou même comme des clients qui ont acheté un service (quelle horreur « libérale ») – mais comme du bétail qu’on mène par les naseaux ! Cela par ces nobliaux des trains qui se croient une élite parce qu’ils ont le pouvoir de nuire à des millions de gens en même temps.
· ce que la société a consenti d’avantages dès 1945 pour les salariés des monopoles publics se trouve en porte à faux. Les conducteurs RATP sont désormais considérés comme des « privilégiés ». Salaires corrects, pas de chômage, retraite précoce rendent exigeants les contribuables et ce genre de grève sans cause sérieuse justifie la joie mauvaise qu’ils ont lorsqu’un gouvernement revient sur les zacquis. Pourquoi les « usagers » ne rigoleraient-ils pas quand la gauche, drapée dans sa vertu outragée, parle de « casse du service public » ? Qui casse donc le service collectif des transports quand les transports se grippent faute de « service » ?
· le sens du collectif qu’on nous chante sans arrêt comme « modèle français », qui réclame plus de salaires, moins d’horaires, des départs en retraite aménagés, s’arrête bel et bien aux intérêts immédiats des petits groupements, au détriment de la majorité de la population qui n’y est pour rien – et qui travaille elle aussi dans des conditions de crise.
· le rôle de l’Etat est une fois de plus déprécié via ses sociétés bureaucratisées. Il devrait servir l’intérêt général alors qu’il bloque dès la hausse de sourcil du moindre syndicat et selon les mouvements d’humeur des cheminots, sans aucune sanction ni conséquences pour avoir mis la nation en état de pagaille. Tout en admettant « juridiquement » qu’une grève de moins de 60 mn n’est pas une grève ! Le sens de la « justice » en sort-il grandi ?
· la privatisation des transports n’apparaît plus un sujet tabou ni menaçant grâce aux touristes interrogés à la radio qui comparent le service privatisé au Japon ou en Allemagne.
· l’exigence de « sécurité » relayée par des syndicalistes de gauche, les mêmes qui disent partout que la droite en fait trop et qu’elle fait peur, est d’une inconséquence grave. Qui va-t-on croire ? Le gouvernement qui affirme qu’il faut condamner les bandes, enfermer dès 13 ans et créer des centres de détention pour mineurs ? Ou les bêlements de plus en plus inaudibles des humanistes qui parlent social et conditions d’éducation ?
· le mot « socialisme » ne peut que sortir dévoyé de ce genre de situation, ce qui n’incite en rien les électeurs à voter pour un tel « grand mot » alors que les représentants syndiqués (qui invoquent ce même « socialisme ») agissent par le mépris envers la société.
Vous comprenez, dès lors, le sens des dernières élections ?…
Je n’accepte pas le poujadisme de telles réactions immédiates et viscérales. Mais je comprends leurs conséquences. Elles sont graves. Inutiles, politiciens, de venir nous chanter l’exaltation du « tous ensemble » et de « faire société » si vous laissez de telles situations se produire. Tous les « usagers », tous les perdus du RER, tous ceux qui prennent la peine de payer leurs billets, vont désormais y réfléchir à deux fois. L’exemple vient toujours d’en haut : si les représentants du « collectif » - comme les syndicats se veulent – agissent comme des preneurs d’otages, le retour de bâton dans les urnes, dans le soutien aux projets de privatisation et dans leurs conséquences sociales ne tardera pas à se voir haut et fort. Au détriment du projet de civilisation que la France dit porter dans le monde.