Si, d’une manière générale, les discriminations de toutes natures à l’endroit des différents types de populations sont incontestables dans la société française, on sait qu’elles sont particulièrement prégnantes dans le domaine de l’emploi, du logement, des loisirs, et de manière plus globale au niveau de l’accession aux droits fondamentaux [1]. De même, si l’expression «délit de faciès» a pu pénétrer le langage courant c’est bien évidemment qu’elle est le reflet d’une certaine réalité sociale. Dés lors, initiée en 2007 par l’organisation Open Justice Initiative [2], une enquête sur les discriminations opérées par les policiers français dans leur pratique quotidienne du contrôle d’identité a été menée sous la férule de deux chercheurs du CNRS, Fabien Jobard et René Levy. Intitulé police et minorités visibles: les contrôles d’identités à Paris, ce travail unique tend à démontrer que les pratiques policières en matière de contrôle se centrent essentiellement sur l’apparence des individus et non sur leur comportement [3].
Au plan de la méthodologie [4] (mise au point par Lamberth consulting), rien n’indique qu’un biais éventuel soit venu perturber le recueil des données pratiquées sur le terrain par les deux chercheurs du CNRS qui ont notamment opéré la comparaison systématique entre la population contrôlée et la population globale présente sur les sites au moment de l’enquête (réalisée d’octobre 2007 à mai 2008). Précisons que le recueil quantitatif des données portant sur 525 contrôles de police a été complété par un questionnaire qualitatif concernant le vécu des personnes au moment du contrôle, sans toutefois oublier les antécédents éventuels.
L’apport essentiel de cette étude révèle que les forces de l’ordre pratiquent les contrôles d’identité en privilégiant avant tout l’apparence générale des personnes et non pas leur comportement. Ainsi, selon les sites d’observation, les résultats établissent clairement que les personnes perçues comme “Noires “ ont entre 3,3 et 11,5 fois plus de chance de se faire contrôler par rapport à la population dite “Blanche”, alors que les personnes perçues comme “Arabes” présentent elles un taux multiplicateur compris entre 1,8 et 14,8 (technique dite du odds-ratio). Par ailleurs, l’apparence vestimentaire représente un autre facteur essentiel pouvant surdéterminer un contrôle d’identité. Dés lors, si on est un jeune appartenant à une minorité dite visible, et que l’on porte des vêtements relevant des codes culturels de la jeunesse, on représente une cible de choix pour les forces de sécurité lorsqu’il s’agit d’opérer des contrôles d’identité, l’objectif étant bien évidemment de détecter une infraction éventuelle. On comprend ici le puissant préjugé qui prévaut dans les pratiques policières dans la mesure ou ces dernières privilégient l’apparence pour réaliser les contrôles d’identité. En effet, selon cette logique, dans les représentations policières, les jeunes issues des minorités visibles ont une propension beaucoup plus grande à commettre des illégalismes. Si nombre d’observateurs avaient déjà constaté ces dérives, cette étude à l’avantage indéniable non seulement de démontrer le phénomène mais encore de le mesurer de manière très probante. En outre, au plan qualitatif, ce travail a aussi mis en évidence un vécu tout à fait différent dans le rapport aux forces de l’ordre selon son origine apparente. À l’évidence, le contrôle d’identité est ressenti comme beaucoup plus agressif et injustifié lorsqu’on est un jeune issu des minorités visibles. Les deux chercheurs parlent même d’un vécu proche du harcèlement concernant les jeunes victimes de ce comportement discriminant, n’hésitant pas le rapprochement avec les émeutes de 2005 dont la cause fut directement liées à une tentative de contrôle d’identité qui avait mis en fuite les trois jeunes qui en étaient la cible. La suite, la France entière s’en souvient.
Sans conteste, ce travail confirme que les forces de l’ordre appliquent comme stratégie le contrôle d’identité au faciès, et cela en contradiction flagrante avec les lois de la république, le code de déontologie de la police nationale, ainsi que les normes européennes en vigueur. Mais, non content de faire dans l’illégal, puisque la loi définit les conditions qui prévalent à tout contrôle d’identité [5], le profilage racial s’avère être parfaitement contre productif, tant au niveau des résultats escomptés qu’au regard des conséquences directes qu’il peut induire sur certaines populations ainsi que sur les forces de l’ordre même. Le présent rapport étaye son propos en s’appuyant sur différentes études britanniques et américaines qui ont parfaitement démontré que des contacts publics-police délétères génèrent une plus grande inefficacité dans les objectifs à atteindre, notamment parce que les personnes contrôlées sont souvent innocentes de toute infraction, alors que nombre d’individus non contrôlés passent au travers des mailles de ce filet policier non pertinent [6]. Aussi, cette pratique du contrôle «au faciès» comporte un effet pervers des plus grave en générant une situation de tension permanente entre les forces de l’ordre et les citoyens qui sont les cibles récurrentes de cette technique. Force est de remarquer que le profilage racial peut-être la cause directe d’émeutes urbaines ou bien d’agressions systématiques envers les représentants des forces de l’ordre. Toutefois, et de manière plus générale, il faut aussi faire le constat évident que ces pratiques policières sont directement liées à la mise en place de politiques sécuritaires de plus en plus agressives sans pourtant aboutir à des résultats probants[7].
En outre, si cette praxis illégale souligne avec force les stéréotypes et les préjugés qui la sous tendent, il faut aussi remarquer qu’elle prospère sur un certain vide juridique qui octroi aux forces de l’ordre un pouvoir discrétionnaire insuffisamment encadré par les autorités judiciaires. Pourtant, confrontées à ces résultats, les autorités policières continuent de justifier cette attitude en arguant du fait que les jeunes, à fortiori issus des minorités visibles, sont surreprésentés dans les activités délinquancielles, alors même que certaines recherches démontrent qu’en se fondant sur ce stéréotype racial le taux de réussite s’en trouve altéré. Si le paradoxe est flagrant, il n’en demeure pas moins vérifié, notamment dans des pays comme l’Espagne et la Hongrie où les pratiques policières ont su évoluer en privilégiant dans leurs repérages les indices comportementaux et non plus l’apparence. Dés lors, non seulement le taux de réussite a été considérablement amélioré, alors que le nombre de contrôles effectués avait largement diminué.
Mais on ne change pas les mentalités au moyen de quelque étude scientifique, aussi rigoureuse soit-elle, car c’est en profondeur qu’il faut agir, notamment en mobilisant l’ensemble des forces vives disponibles pour modifier les représentations et les pratiques policières, et cela dans l’intérêt réciproque des parties en présence. L’enjeu est ici de toute première importance puisqu’il s’agit notamment de restaurer la confiance que certains citoyens peuvent accorder aux forces de sécurité car il en va de la paix sociale.
In fine, si les forces de l’ordre ne respectent pas la loi républicaine, il faut impérativement que nos tribunaux s’évertuent à leur en rappeler la substance en prononçant les condamnations adéquates, et c’est à ce seul prix que les choses pourront valablement évoluer.
[1] La HALDE
[2] Fondation présidée par George Soros.
[3] Étude disponible en français sur le site du CESDIP
[4] pages 55 à 63
[5] Pages 44 à 48
[6] Dans ce sens lire l’article de Chloé Leprince.
[7] Lire l’interview donnée par Laurent Mucchielli au sujet de la future loi dite LOPPSI .