On pense souvent que les pays développés sont riches en eau, et que les agriculteurs s’y préoccupent peu de questions de gestion ou de qualité de l’eau. Si seulement cela pouvait être vrai ! Partout, l’accroissement de cultures et d’élevages exigeants en eau appauvrit les ressources en eau, y compris dans les pays les plus riches.
Aux États-Unis, l’un des plus gros producteurs agricoles du monde, l’irrigation agricole est supérieure au taux de recharge des nappes souterraines depuis plusieurs années dans certaines régions. Par exemple, l’aquifère d’Ogallala, qui irrigue plus de 20 % des terres cultivables, a vu son niveau d’eau diminuer, et est presque tari dans certaines parties du Kansas. Dans la partie septentrionale du Texas, la diminution des ressources en eau menace sérieusement la pérennité de l’économie agricole et rurale.
Les États-Unis sont loin d’être la seule économie développée à affronter ce problème. En France, également l’un des plus gros exportateurs mondiaux de produits agricoles, la part de l’agriculture dans l’utilisation des nappes souterraines est passée de 10 % au milieu des années 80 à 17 % dix ans plus tard. Dans la zone OCDE, la consommation d’eau à usage agricole, soit 45 % de la consommation totale, a progressé plus rapidement sur cette période que pour les autres utilisations. Ceci reflète l’expansion de 6 % des surfaces irriguées, notamment pour les céréales, les récoltes horticoles comme la vigne et de meilleurs pâturages.
Les projections à 10 ans montrent que la demande d’eau émanant des irrigants va encore progresser, notamment dans des pays où l’essentiel de la production agricole provient déjà des cultures irriguées, comme l’Australie, le Mexique, l’Espagne et les États-Unis. Cela entraînera également une intensification de la concurrence avec les autres usagers. De plus, la multiplication et la gravité croissante des sécheresses ces dix dernières années, peut-être liées au changement climatique, touchent gravement l’agriculture irriguée dans de nombreuses zones arides et semi-arides.
La part de l’agriculture dans l’utilisation totale des eaux souterraines dépasse 30 % dans certains pays de l’OCDE, et l’eau alimentant le secteur est de plus en plus prélevée sur les aquifères souterrains. Dans certaines régions, la consommation des irrigants est très largement supérieure aux taux de recharge des nappes souterraines, ce qui menace la viabilité économique de l’agriculture dans les zones concernées.
Le dilemme est que l’agriculture peut aussi bien être une aubaine qu’un fléau pour l’environnement. La surexploitation des ressources en eau a dégradé certains écosystèmes aquatiques, nuisant ainsi aux activités de pêche de loisir ou commerciale. Mais il existe cependant des systèmes de production agricole bénéfiques pour les bassins hydrographiques car ils fournissent des habitats favorables à la faune aquatique, reconstituent les réserves et contribuent à lutter contre les inondations.
Bien que les exploitations agricoles puissent protéger l’environnement, c’est trop souvent le contraire qui se produit. Dans certains pays, la faible utilisation de techniques d’irrigation performantes, comme le goutte à goutte, et la médiocrité de l’entretien des infrastructures mènent à un manque d’efficacité dans l’utilisation de l’eau, d’où des pertes et un plus grand volume d’eau par hectare irrigué. Il est néanmoins encourageant de voir que dans d’autres pays, comme l’Australie, ces volumes ont chuté grâce à l’amélioration des pratiques de gestion de l’eau. En bref, avec les techniques appropriées et des incitations à adopter les bonnes technologies, les pressions sur les ressources souterraines en eau peuvent diminuer.
Mais l’utilisation n’est qu’une partie du problème. L’agriculture est aussi une source principale de pollution des eaux souterraines dans de nombreux pays. Plus d’un cinquième des sites de contrôle des nappes souterraines dans les zones agricoles du Danemark, des Pays-Bas et des États-Unis indiquent des taux de nitrate trop élevés pour l’eau potable. Ceci est particulièrement problématique lorsque ces nappes fournissent la majeure partie des approvisionnements destinés à la consommation humaine et animale. De plus, la situation va probablement se détériorer car, à cause de propriétés physiques particulières, les phosphates utilisés il y a quelques années mettront encore de nombreuses années à filtrer jusqu’aux nappes souterraines.
L’impact de l’agriculture sur la qualité de l’eau s’est légèrement amélioré au cours des dix dernières années grâce à la réduction du ruissellement des déchets d’élevage, des engrais et des pesticides, en réponse aux politiques et préoccupations publiques. Pourtant, les niveaux absolus de pollution d’origine agricole restent élevés dans de nombreuses régions. Les sources d’azote et de phosphore responsables de la pollution des eaux ont relativement augmenté, alors que les sources de pollution industrielles et urbaines ont diminué.
Il reste à savoir comment aborder ces problèmes. Les coûts des polluants agricoles, comme les fertilisants et pesticides rejetés dans les cours d’eau, sont élevés. Selon l’Agence britannique de l’environnement, la pollution agricole de l’eau coûte environ 345 millions d’euros par an, et affecte l’eau potable et les écosystèmes aquatiques. Cela représente environ 40 % des coûts totaux de pollution de l’eau en Grande-Bretagne.
Dans de nombreux pays, les coûts pour ramener la qualité de l’eau dans les zones agricoles aux seuils fixés seraient bien plus élevés pour les usages environnementaux et récréatifs que pour l’eau potable. Ceci est dû à l’eutrophisation générale des cours d’eau et des lacs dans les régions impliquées, ainsi qu’aux dommages causés par les pesticides aux organismes aquatiques. La pollution des estuaires et des côtes par les fertilisants agricoles devient elle aussi problématique car elle provoque des proliférations d’algues préjudiciables à la faune marine.
Des réglementations peuvent limiter la pollution des eaux, mais elles ne suffisent pas. Les politiques de subvention à la production faussent les incitations offertes aux agriculteurs, et aggravent la surconsommation d’eau et sa pollution dans de nombreux pays riches. Même si l’eau destinée à l’agriculture est d’une moindre qualité, les agriculteurs bénéficient souvent de tarifs très faibles pour leur approvisionnement et leur consommation en eau, par rapport aux ménages et aux entreprises. Aux États-Unis par exemple, les agriculteurs paient en moyenne environ 0,05 USD/m3, contre 0,50 USD/m3 pour les entreprises. En France, ces chiffres respectifs sont de 0,08 USD/m3 et 0,95 USD/m3. En Espagne, les prix sont de 0,05 USD/m3 pour les agriculteurs et 1,08 USD/m3 pour les entreprises. Les agriculteurs n’ont donc que peu, voire pas d’incitation du tout à mieux gérer leur utilisation d’eau.
Mais si les incitations existaient, il reste à savoir qui paierait. Les droits de propriété sur l’eau sont souvent mal définis – un puits sur les terres d’un agriculteur peut par exemple appartenir au village. Dans ce cas, le principe du pollueur-payeur est difficile à appliquer.
En bref, dans les pays riches, l’impact de l’agriculture sur les ressources en eau n’est pas viable. L’une des nouvelles priorités de l’action publique consiste donc à favoriser une gestion de l’eau plus durable à travers de meilleures réglementations et des instruments comme un commerce de l’eau basé sur le marché. Il est généralement admis qu’il faut améliorer la structure des prix, qui devrait refléter les coûts et avantages de l’eau à usage agricole. Il est également nécessaire que tous les pays renforcent le suivi et l’évaluation des initiatives de réforme, afin de s’assurer que celles-ci vont dans le bon sens.
Les pays en développement sont confrontés aux mêmes problèmes, bien que les pays arides connaissent le problème de l’approvisionnement minimum en eau pour les cultures et pour les élevages, afin de nourrir des populations croissantes (et de plus en plus riches). De manière générale, la réforme des politiques de l’eau est plus ou moins avancée selon les pays.
Les pays développés commencent enfin à prendre conscience que l’eau, loin d’être abondante, est au contraire une ressource fragile, et qu’ils doivent donc mettre en place les bons signaux, aussi bien en ce qui concerne le marché que les choix publics. Ils commencent à s’atteler à la tâche, mais le chemin qui reste à parcourir est encore bien long pour de nombreux pays.
source : OCDE, 2009, Indicateurs environnementaux pour l’agriculture.