Historien napoléonien, membre de l'Institut, Jean Tulard est également un cinéphile averti, maître d'oeuvre du célèbre Dictionnaire du cinéma en 3 volumes et, actuellement, en préparation d'un nouvel ouvrage inspiré par le 7e Art, soit un Dictionnaire amoureux du cinéma à paraître en 2010. L'académicien a récemment parlé à bâtons rompus dans une revue du Festival de Cannes en général et du dernier en date en particulier, si bien que j'ai trouvé intéressant de vous faire part de ses réflexions et de voir comment il considérait le présent et l'avenir du cinéma français.
"Le Festival de Cannes de cette année est conforme à ce qu'il est habituellement. D'une part, il y a les paillettes, le tapis rouge, les réceptions, les grands hôtels, les starlettes et les vraies stars. Ces éléments font rêver, alors que le cinéma a perdu beaucoup de sa magie. D'autre part, il y a la compétition qui sombre traditionnellement dans le ridicule. En effet, il est absurde de mettre en concurrence des films aussi différents que, par exemple, Inglourious Basterds, de Quentin Tarantino, et Les herbes folles, d'Alain Resnais. Ces films n'ont aucun point commun. La compétition peut avoir un sens lorsqu'il s'agit de films de genre, comme ceux présentés au Festival d'Avoriaz ou les polars du festival du film policier, hier à Cognac et désormais à Beaune. La compétition peut également avoir un sens lors de la cérémonie des césars qui récompense le meilleur film français. Il y a une année qui s'écoule entre le passage d'un film et sa sélection. Au contraire, le palmarès de Cannes présente une bonne dizaine de films qui sortent au même moment à Paris.
A dire vrai, ce qui fait à la fois vivre et mourir le cinéma français, c'est la commission d'avance sur recettes. j'en ai fait partie jadis. Plus un film est difficile, plus il faut l'aider. Il s'ensuit que les films qui sortent sont déjà remboursés financièrement. Cela dit, le cinéma français donne souvent des petits films charmants comme les deux 0SS 117 ou certains longs métrages de Francis Veber, comme Le dîner de cons et Le placard. Ce sont des comédies divertissantes et dans lesquelles l'historien trouve plus souvent une juste réalité que dans des longs métrages du type d' Entre les murs de Laurent Cantet.
L'absurdité du Festival de Cannes tient au fait que les films présentés sortent parallèlement dans les salles quelques jours avant l'issue du palmarès. Vous allez voir Vengeance de Johnnie To, avec Johnny Hallyday, dans une salle bourrée de monde. Pour se faire, vous devez porter un smoking et des escarpins qui vous font mal au pied. Vous avez dû monter des marches devant des gardes républicains qui vous présentent, avec un grand sens du ridicule, les armes. Or, vous pouvez voir le même film tranquillement en chaussant des baskets, sans arborer de cravates, dans une salle parfaitement climatisée et vide à Paris. Alors, qu'aller faire à Cannes ? Il est évident que le Festival devrait présenter des films - rappelons qu'ils ont été tournés à un moment précis pour figurer à Cannes - qui ne sont pas visibles en même temps à Paris.
Mais revenons à la compétition. Le palmarès ne consacre jamais le meilleurs film de l'année : il récompense une oeuvre engagée qui reflète des préoccupations historiques et sociales. Sean Penn, président du jury de l'an dernier, l'a confirmé avec ce film de société qu'est "Entre les murs". Mais dans dix ans, personne ne le regardera plus. Ces films datés sont très vite oubliés.
De plus, il y a des conventions grotesques. Par exemple, Le Prophète de Jacques Audiard ne pouvait obtenir la palme d'or cette année, parce qu'un film français, en l'occurrence Entre les murs l'a obtenue l'an dernier. Or, il semble que ce soit le meilleur film en compétition cette année. Mais ne condamnons pas totalement le Festival car il fait parler de cinéma et travailler l'hôtellerie cannoise ".
Le film " Un prophète "
"Si du point de vue des recettes, le cinéma français ne tient pas le coup, en terme de qualité cinématographique, il reflète bien les grandes mutations de la société française et nous réserve de bonnes surprises. Il faut mentionner notamment un film amusant et oublié comme Notre univers impitoyable ( 2007 ) qui met en scène un mari et sa femme qui entrent en compétition pour occuper un poste important dans une entreprise. Il faut citer également Le couperet de Costa-Gravas ( 2004 ), qui est une comédie sociale corrosive et assez drôle adaptée d'un roman noir américain. Bienvenue chez les Ch'tis dont les acteurs, il faut le souligner, sont très politiquement corrects, a, quant à lui, bénéficié d'une belle opération de lancement, même si, par ailleurs, le film est une bonne comédie assez émouvante. Pour en revenir à la récession, il ne faut pas oublier l'essor du DVD qui joue un rôle considérable dans la chute du cinéma français. Un DVD sort six mois après la distribution du film en salles et vous coûte le même prix".
"Ceci dit, on ne peut pas ne pas avoir une certaine nostalgie d'un cinéma populaire de qualité magnifiée jadis par un Carné ou un Duvivier. Mais ce sont surtout les vieux Fernandel qui me donnent la nostalgie : Ernest le rebelle ( 1938 ) de Christian-Jacque, ou encore Le Schpountz ( 1938 ) de Marcel Pagnol. Ces films n'ont pas tellement vieilli. Ils tiennent encore merveilleusement la route. Je suis en train d'achever mon Dictionnaire amoureux. Je consacre beaucoup de place à de grands acteurs burlesques américains comme Laurel et Hardy, Buster Keaton etc. J'évoque aussi assez longuement la série B.
Aujourd'hui, la tradition se perpétue à travers Jean Dujardin qui est un acteur que j'adore. Danny Boon est un acteur que j'aime bien aussi. D'ailleurs un film comme La maison du bonheur ( 2005 ), réalisé et interprété par ce dernier, est très supérieur à Bienvenue chez les Ch'tis. Quatre étoiles ( 2005 ) de Christian Vincent ou La fille de Monaco ( 2008 ) d'Anne Fontaine, sont également des comédies de qualité".