Saisie le 18 février 2009 par le Secrétaire d’Etat à l’Outre-mer sur la situation de la concurrence dans les départements d’outre-mer, l’Autorité a rendu le 24 juin dernier un avis concernant le secteur des carburants.
Dans les DOM, l’approvisionnement en carburants se fait au travers de mécanismes de monopole : monopole de l’achat, du fret, du raffinage et du stockage aux Antilles et en Guyane, ou seulement du fret et du stockage à La Réunion. C’est pourquoi ces prix sont réglementés. Mais les pouvoirs publics fixent également des plafonds pour les prix de détail des carburants afin d’éviter que l’insuffisance de concurrence sur l’approvisionnement ne conduise à une dérive des prix à la pompe.
Or, l’Autorité a constaté que la réglementation des prix des carburants s’était éloignée de ces objectifs initiaux. La régulation des prix des monopoles d’approvisionnement est insuffisante : elle ne garantit plus l’absence de rente et le dispositif d’encadrement des marges de distribution et des prix de détail a été transformé en un système de prix unique aisément manipulable.
La régulation actuelle du secteur des carburants, qui repose sur la régulation des prix de détail, a échoué sur un double plan
Des prix maximum devenus des prix minimum
Les prix plafond ont en fait fonctionné comme des prix imposés supprimant toute incitation aux détaillants pour pratiquer un prix inférieur. L’impossibilité pour chaque détaillant d’adapter ses prix de détail à ses contraintes économiques propres a conduit à demander périodiquement des revalorisations générales qui ont profité à tous.
Ce système a ainsi créé des rentes au profit des points de vente les mieux placés et les plus rémunérateurs, une partie de ces profits étant reversée aux pétroliers propriétaires des fonds de commerce mis en gérance.
La distinction entre marge de gros et marge de détail sur laquelle se fonde la réglementation est d’ailleurs artificielle puisque des systèmes de redevances, jouant dans les deux sens, permettent des transferts entre détaillants et grossistes, vidant de son intérêt la fixation administrative des deux marges.
Effets pervers en matière de fiscalité
L’Autorité relève aussi que la relative parité des prix de détail entre les DOM et la métropole sur le long terme (sauf en Guyane) malgré la dérive des prix hors taxes n’est obtenue qu’au prix d’une modération fiscale de la part des collectivités publiques. Or, les recettes manquantes sont compensées par la taxation d’autres produits, notamment des produits de consommation courante frappés par l’octroi de mer.
Les propositions de l’Autorité de la concurrence :
L’Autorité propose de renforcer la régulation amont, dans le but de mieux encadrer les monopoles et de garantir in fine des approvisionnements au meilleur prix
Pour l’achat des carburants, elle propose de réguler le prix d’approvisionnement en produits raffinés ou en produits bruts en prenant pour référence des prix de marché, indépendants des importateurs, et d’ouvrir l’importation des carburants aux opérateurs qui ne sont pas des compagnies pétrolières intégrées.
Pour le fret, elle propose de maintenir le système actuel de mutualisation du fret qui apparaît le meilleur en termes de coût, de sécurité et de régularité des approvisionnements. S’agissant d’une activité en monopole essentielle aux activités des distributeurs, les prix du fret doivent être impérativement orientés vers les coûts.
La conséquence de ces deux premières mesures serait la fixation par les pouvoirs publics du prix plafond des importations égal à la somme des deux prix régulés : produits raffinés + fret. Ce prix devrait être le seul prix de gros périodiquement réajusté par les préfets en fonction des cours mondiaux. Il devrait être rendu public afin de permettre aux usagers, aux associations de consommateurs et à toutes les parties prenantes d’être informés des fluctuations du prix des produits avant imputation des marges de distribution.
Pour le stockage, l’Autorité recommande plusieurs mesures structurelles :
- elle demande d’interdire à un gestionnaire de facilité essentielle d’exercer une activité de distributeur aval au sein de la même structure commerciale, ce qui devrait conduire à filialiser les activités de stockage ou à leur imposer une séparation fonctionnelle et comptable très stricte ; elle souhaite aussi que tous les opérateurs, y compris ceux qui ne sont pas actionnaires de la SARA, puissent aux Antilles accéder aux installations de stockage à un prix non discriminatoire ;
- par ailleurs, compte-tenu des liens entre Shell et Total au sein de la Société Réunionnaise des produits pétroliers, elle demande la filialisation complète des activités de stockage à la Réunion ;
- enfin, elle recommande de dénouer les liens structurels entre les réseaux de détaillants de Total et Shell qui devraient se retrouver en concurrence frontale sur le marché de la distribution.
L’Autorité propose de revoir le plafonnement des prix de détail en laissant au préfet la possibilité de les contrôler en cas de fonctionnement anormal du marché
Pour éviter la dérive des marges de détail, elle recommande la suspension de la publication des prix plafond. Cette suspension permettra aux plus petites stations de moduler leur prix sans entraîner une hausse générale des marges. Le préfet conservera la possibilité de publier par arrêté un prix maximum en cas de fonctionnement anormal du marché.
Pour assurer la fluidité du marché de détail, elle recommande de limiter à 5 ans les contrats de fourniture exclusive passés avec les détaillants indépendants (stations services dont le fonds de commerce n’est pas la propriété de l’importateur-grossiste), d’inscrire dans les contrats la possibilité de racheter les installations fixes sans pénalité en cas de changement d’enseigne et de supprimer dans les contrats actuels les clauses de préférence de revente de l’activité au profit de l’enseigne sortante.
Enfin, l’Autorité estime que l’envergure de la réforme nécessite de prévoir une période d’expérimentation de trois ans afin d’observer les évolutions réelles du marché et procéder aux ajustements nécessaires.