Expatriation: Comprendre pour Aimer ! (Ep. 9)

Publié le 04 juillet 2009 par Caryl

Et les mois passent, mon corps s’habitue doucement au climat de Marrakech. J’ai toujours une laine à portée de la main. Les nuits sont très froides en hivers. L’électricité y est très chère. Je fais des économies de chauffage.

Le Capricorne que je suis a besoin de voir matérialiser immédiatement ses dépenses. Et dépenser 400 euros par mois d’électricité n’est ni écologique ni raisonnable.

Ma maison est comme celle des trois petits cochons, avec ses fenêtres mal jointées, je me couche parfois dans une chambre à 13 degrés…cela me change de la tiédeur doudouille de Cannes…

J’ai beau m’emmitoufler, je souffre du froid. Je me réfugie la nuit au fond de couettes voluptueuses mais ma tête est glacée et je pense aussitôt à ma branche paysanne du Lot qui dormait au début du siècle dernier avec des bonnets de nuit …
Mon orgueilleux 5ème étage exposé aux vents d’hivers, essaie bravement de tenir tête aux neiges immaculées de l’Atlas…

Les épais rideaux doublés de toile plastifiée me sont d’un grand secours. Je me calfeutre. Mon psychisme change doucement. Il se dégage lentement de cette molle tiédeur fadasse où plus rien de fort et de vivant ne vous arrive. Les levers de soleil qui éclairent les cimes de l’Atlas et en définissent avec une précision divine les moindres contours, sont la récompense des nuits rudes.

Des nuits de montagnard en plein Guéliz…
Le café brulant servi par une petite domestique adorable et attentionnée, est une autre récompense. J’aime sentir sa présence silencieuse dans la maison. Elle me protège sans le savoir contre une maladie de l’âme bien plus redoutable que la grippe du cochon, du canard ou même du rat, l’égocentrisme. Un truc imparable qui vous transforme insidieusement le meilleur des humains en semelle racornie et moi je veux rester vivante, alerte et tendre aux mouvements de l’âme.


Nous les humains avons besoin de nous assouplir le cuir en permanence en nous préoccupant de l’Autre, des autres… ce qui en France, arrive bien peu, sauf aux grands moments de sensibleries télévisuelles comme le Sidaction où l’on vous fait pleurer chacun chez soi, face au morceau de Bakélite qu’est la télé en vous faisant croire que vous êtes un type merveilleux.


L’altruisme est nécessaire à l’homme encore plus que le pain. Ils l’ont compris. Ils nous construisent une société inhumaine où l’on nous fait pleurer à heures régulières dans le calendrier annuel, sur les malheurs de l’espèce humaine entre 2 spots publicitaires…
Au lieu de nous enseigner trés jeunes que nos actes sont sacrés et qu’échanger nos souffles et nos fluides engage le continent intèrieur. Ils préfèrent vanter le caoutchouc, encore un isolant… qui évite surtout de trop s’engager dans la réflexion donc la responsabilité.
Mais ils ne nous veulent pas responsables… « dormez bonnes gens, les enchanteurs Merlin sont aux manettes. Votre avenir est assuré…. »

Personne donc, ne travaille chez moi sans que j’ai envie de savoir qui il est, d’où il vient, où il vit ? Quelle est sa problématique de vie ? Je n’emploie jamais des mains à mon service, j’emploie des cœurs, des cerveaux, des rêves, des douleurs.
 L’Autre ne peut être ce continent hermétique qui viendrait à heure régulière faire des incursions dans ma tour d’ivoire pour me rendre la vie plus jolie. J’ai besoin de le Comprendre. Or pour le comprendre il me faut le connaître.
 Si vous ne connaissez d’une personne que ses mains de robots, elle ne s’intéressera qu’au porte monnaie qui rétribue les mains… ce qui est parfaitement logique.


C’est joli ce mot connaître, étymologiquement : Co avec et nascio, naître…naître avec…
En fait, connaître, c’est comprendre et comprendre c’est commencer à aimer.


Autrefois dans les familles, la gouvernante qui vieillissait avec la famille devenait le psychothérapeute du clan, elle en connaissait touts les arcanes, les coins et les recoins secrets comme un vieux gardien de château avec son gros trousseau sésame sur des espaces mystérieux. 
Elle savait qui était qui et qui avait fait quoi, comptable des bonnes comme des mauvaises actions… On pouvait la prendre à témoin. Elle était l’arbitre secret et le juge de paix discret des différents familiaux.

Aujourd’hui faute de ce récipient sacré qui conservait la mémoire de l’invisible…aujourd’hui Alzheimer est la réponse que le cerveau a du trouver: un gros bug face à la solitude et au non dit. 
Alzheimer ce trou noir de la mémoire, s’étend comme une épidémie en Occident et est dans un grand nombre de cas, un ensemble de traumatismes psychiques accumulés et potentialisant entre eux. Exactement comme on laisserait un tas d’immondices s’entasser dans une pièce non aérée et qui produiraient des vapeurs toxiques. Ces vapeurs n’ont pas été évacuées par le dire, la parole bienfaisante, l’oxygénation de l’échange, la verbalisation dans la confiance…

On est loin de mon immeuble n’est ce pas ?
 Pas si loin car mon immeuble n’a pas une nounou mais maintenant 2 anges gardiens, un de jour et un de nuit. Deux veilleurs qui se relaient au chevet de grand corps malade pour la modeste somme de 1600 Dhs chacun. Veilleur, un autre joli mot. Deux chomeurs, un jeune polio un peu handicapé physique bombardé protecteur en chef de la veuve et de l’orhelin comme tout bon flic qui se respecte et un vieux garçon pratiquant qui sera le garant des bonnes moeurs.


J’ai remplacé la société de surveillance par 2 employés qui vont s’attacher à protéger l’immeuble et m’aider à en connaître les secrets. Le matin, j’ai droit à ma dose de racontars : Tberguig, ils appellent ça ici…Le Tberguig, c’est du journalisme, mais sans l’éthique… du journalisme à sensations si l’on veut. Nous sommes dans un petit hameau de vie et recommençons à être des humains les uns pour les autres avec nos grandeurs et nos misères.

Commençant à connaître mes ouailles et donc à les aimer, dans la foulée je décide que le moment est venu de monter un conseil syndical.
 Aidée du règlement de Copropriété et de la loi 18.00 du 7 novembre 2002 (précision pour les puristes) qui régit les copropriétés au Maroc, je convoque les Copropriétaires environ 27, directement à l’immeuble faute d’avoir leur adresse car la plupart ne résident pas ici.
 Un peu déprimant j’avoue, de savoir que mes accusés de réception n’aboutiront à rien. Au moins, aurais-je des preuves légales que le nécessaire a été fait dans les règles.


Je vais au Caïdat légaliser ma demande d’Assemblée Générale. Je découvre non sans irritation le ballet des tampons et des files d’attentes qui s’éternisent si on n’a pas le petit billet miraculeux. Je n’aime pas cette idée qu’il faille payer pour obtenir quelque chose à laquelle on a droit. C’est mon côté Liberté Egalité…pour la Fraternité, je m’excuse, mais on repassera…
Donc j’essaie d’avoir un autre regard.


Je me demande qu’est ce que je préfère… Ces administrations aseptisées ? Où l’on se regarde en chien de faïence sans un regard pour le voisin après avoir pris un ticket d’attente pour éviter toute contestation….et donc la confrontation et la rencontre au moins du regard de l’autre.
 Ces administration nomadslandisées (puisque nous ne sommes plus des hommes mais des formules d’algébre), où l’on s’avance devant une cage vitrée à l’intérieur de laquelle une souris de laboratoire armée de son code, ses chiffres, ses numéros et ses règlements, vérifie que vous rentrez dans les cases ?… Puis, vous force à exposer votre problème à voix haute devant de parfaits étrangers qui n’en ont rien à foutre de votre changement d’adresse ou de la perte de votre livret de famille ?…


Je crois à tout prendre que je préfère la pagaille de ce bureau où un ballet mystérieux se règle au millimètre autours des précieux tampons et des mouvements de poignets, où le planton qui me reconnaît, va solliciter ma prodigalité pour alimenter son thé et son sucre du matin, où, bout à bout, ces billets de 20 Dirhams (1euro 80) vont alimenter une cagnotte qui partira pour couvrir des dépenses de base…
Oui, à tout prendre, qu’est ce que je préfère ?…

Le Maroc est le pays des échanges. Un pays qui n’a pas encore oublié que nous sommes des Etres respirants et donc dans l’échange.
 Et ces échanges ont une valeur sociologique essentielle, ils permettent à la Société de s’oxygéner. Donc, logiquement, ils ne peuvent être bâclés, sous peine de ne jamais être intégré.
Les échanges humains sont précieux. Ils prennent du temps, ils ont leur rythme.

Respectez le rythme.
 Si vous n’avez pas le temps, ne venez pas au Maroc…

…c’est aussi simple que cela.
 Sinon, crises de nerfs assurées. C’est à nous de nous adapter jusqu’à ce que les Marocains changent pour opter notre modèle bienfaisant, bien dominant et supérieur…jusqu’à ce qu’à leur tour…peut être…hélas…ils se robotisent…

Demain pour Grand Corps malade…enfin, un Conseil Syndical digne de ce nom, bien carré et bien légal.


Donc bonne journée et, sous votre lecture attentionnée et bienveillante…
A demain…selon la formule, qui n’est pas un vain mot, Si Dieu veut….

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