Ici le temps peut bien s'arrêter... jusqu'à demain.
Si la fin du monde est prévue pour 2012, le dernier bastion de l'humanité devrait venir se réfugier ici. A l'ombre d'un soleil de plomb, la maison de Bill Bokey est un oasis de poussière dérivant au milieu des vignes. Une poignée d'hommes et de femmes y luttent contre les éléments depuis bientôt trois jours pour une seule raison : vivre trois jours d'électricité sans limiteur de son.
Seul journaliste à bord, le terrain de jeux qui s'étend devant mes yeux a des airs de jardin pour enfants freaks: un hameau complet, découpé en trois bâtiments d'une pierre grise et d'un ciment fossile dont les murs résistent difficilement à l'assaut d'une végétation sauvage et vigoureuse. Organisé autour de deux bassecours et d'un potager, la scène centrale du Willstock festival partage son toit avec un entresol de bois et de pierre d'où votre rédacteur observe les opérations en cours : construction des stands, création d'une cabane de massage, disposition d'étoffes rouges reflétant des ombres ambrées sur les bâtiments. Planqué dans la pénombre et l'humidité des pierres, le journaliste veille sur l'horizon qui n'offre à voir qu'un tapis de vigne et une dizaine de maisons. La lumière pâle nuance chaque couleur, créant des reflets luisants sur la petite dizaine d'hommes et de femmes qui s'agitent pour finir tous les préparatifs du festival.
Le Willstock a été crée il y a trois ans par Bill ; guitariste héro des Ravenhill. Un souhait exprimé comme une simple nécessité : faire de la musique avec générosité et humanité. Sautant tantôt dans son studio pour offrir une guitare à quelques musiciens, partageant sa table, sa générosité va jusqu'à offrir une scène et trois jours de fête à toutes les personnes assez courageuses pour venir se perdre dans le village le plus paumé du monde : Salles-Arbuissonnas en Beaujolais. Une aubaine pour tous les journalistes payés au signe. Les journées s'étirent à l'infini dans ce village, mastiqué comme une chique par un soleil sans fin. Impossible de ne pas remarquer la patience et l'investissement des femmes participant activement à l'entreprise folle de leurs hommes aveuglés par une passion prenante : la musique. Oui, une histoire aussi bien observable dans la campagne du beaujolais qu'en haut des immeubles haussmanniens : les compagnes de passionnés (geek ?) ont continuellement cette expression et ce sourire d'amusement face aux obsessions de leurs conjoints.J'admire personnellement l'attention que peuvent porter les femmes envers des considérations souvent proches de la folie furieuse du type " quel tirant de corde utiliser sur ma Telecaster 73 ?"
Premier « participants extérieurs» arrivés sur place, nous avons été talonnés de très près par Graham Neill. Vieil anglais fait tout de barbe grise et de cheveux hirsutes, son jean laisse entrevoir une taille de cricket et ses rides un amour sans faille pour le scotch. Mince considération sur la personne quand résonne son jeu de slide guitare à vous en faire fissurer les os. Même si le slide est un verre de Whisky plein dont il n'hésite pas à verser une goute dans son gosier entre deux attaques. Il nous raconte des anecdotes à la pelle avec cette voix pleine d'ironie et un humour irrésistible dont seuls les anglais sont capables. Sa femme nous conte la grande tristesse qu'il a ressenti lorsque sa première Gibson 335 (prononcé Three - Three - Five) eut la tête cassée durant un voyage en soute. Malédiction qui s'était en fait répétée au moment même où nous parlions. Quand le mal appelle le mal. Anecdote de musicien qu'il appuie en nous parlant du village où il vit : une petite ville côtière du sud de l'Angleterre uniquement habitée par des retraités. Une population qui l'a tout de suite catégorisé de « musicien ».Le Willstock commence donc calmement. Un calme qui sautera en seulement quelques heures après l'amorce d'une tempête arrachant les barnums à leurs sols de poussière. La gronde est alimentée par le flux continu des nouveaux arrivants : les Ravenhill aux complet, Graham et les Electric Circus, A Song... La pyramide des âges écroulés, les esprits s'aiguisent et le cirque peut enfin commencer. Le blues tout d'abord que Mark et Graham jouent. Plus tight, plus vicieux que la veille, il ne s'agit plus d'un divertissement mais d'une préparation de la scène. On admire, tout autour de nous, une faune de passionnés De cette espèce qui laboure les notes de leurs guitares, ceux qui amènent un Fender Rhodes Mark 1 et un orgue Hammond sans vraiment savoir qui va les utiliser... Ils sont là, toujours à s'émerveiller du jeu d'autres musiciens. Meilleurs qu'eux à ce qu'ils disent. Alors qu'ils sont déjà un miracle.
Il est 2H05. Je viens de me taper le plus long temps de constipation de toutes mes vies. Cortez the Killer résonne dehors dans une jam nerveuse, souvent détournée par Sly (chanteur des Ravenhill) et quelques chansons blagues. La nuit s'enfonce comme mon cul dans un canapé. J'essaye de parler à Graham de sa première partie des Stones en 1969. Il est de mauvais poil, caustique à souhait. Il répond à ma question par une autre « Do you have weed, marijuana, hashich... ». L'inquiétude le gagne quant à sa guitare qu'il va utiliser le lendemain.
Six heures du matin et mon sommeil fiévreux est ponctué d'un couple de guitares roulantes comme deux serpents dans les herbes hautes. Entremêlé, sifflant, mon esprit comprend qu'il ne s'agit pas d'une hallucination : deux tarés sont en train de balancer les amplis à fond pour faire fuir les fantômes du coteau. Une prière préliminaire pour mettre toute les chances de leur coté dès le lendemain.
A suivre donc...
http://www.myspace.com/willstockjam
Graham Neil & Mark Keen, live from Willstock: