Le meilleur du cinéma turc à Berlin

Publié le 27 mars 2009 par Steffi
La 7e semaine du cinéma turc s'est ouverte hier à Berlin. Je ne saurais trop conseiller d'aller y découvrir le meilleur du cinéma indépendant turc tant Berlin, malgré ses 200000 turco-berlinois semble indifférente à la production culturelle de ce pays. Mention spéciale pour trois œuvres fortes : Hayat Var, Üç Mayum et Gitmek - My Marlon and Brando, déjà découverts lors de festivals.

Gitmek- My Marlon and Brando

"Tu es mon Diego Rivera... tu mon Marlon et mon Brando... tu es la dernière lettre de Garcia Marquez...
"
Attention vraie histoire d'amour romantique avec lettres, promesses, séparation et tout et tout. La Juliette c'est Ayça Damgaci, jeune actrice stanbouliote rondelette et très fleur bleue. Son Roméo s'appelle Hama Ali Khan, star kurde irakienne vieillissante, mais toujours séducteur. Gitmek raconte leur histoire, ou plutôt leur séparation, en pleine guerre d'Irak. Le film s'appuie sur la véritable histoire de ce couple atypique, où les acteurs jouent leur propre rôle. Ils se sont rencontrés lors d'un tournage de film à Dyarbakir, la capitale kurde de Turquie, ont promis de se retrouver. Seulement la guerre s'en mêle. La frontière irako-turque se referme. Ayça se lance alors dans un drôle de voyage sur les routes turques, et iraniennes à la poursuite de son amour prisonnier dans son pays. Ce road-movie réjouissant repose beaucoup sur la personnalité d'une jeune femme passionnée, romantique, entêtée, presque d'un autre temps. Le film joue les équilibristes entre comédie, road-movie et tragédie. En général il choisit plutôt d'en rire. Plus la guerre se rapproche, plus le ton des lettres-vidéos envoyées par Hama recourent au burlesque (mémorable séquence où Hama devient superman). Comme autant d'antidotes à la laideur ambiante. Hüseyin Karabey, le réalisateur, a le chic pour explorer habilement les chemins du choc culturel.
Hayat Var de
Reha Erdem Le réalisateur turc nous dévoile la beauté d'Istanbul depuis une barque, tache minuscule se glissant le long des carcasses géantes des cargos. Au fil du Bosphore, de la Corne d'Or, sous les ponts ou dans des ports minuscules, se révèle un paysage bucolique, hors du temps, que rattrape une réalité sociale dure, très dure. Hayat, quatorze ans, vit seule au milieu des hommes, dans une cabane de bois branlante, collée à l'eau. Sa mère a préféré tourner le dos à la misère et refaire sa vie avec un flic. Papa, officiellement pêcheur, ramène du poisson à frire tous les soirs. Il trafiquote surtout, de l'alcool, des femmes, livrées sur les cargos et tankers. "Ton père est stanbouliote, je suis stanbouliote, mon père était stanbouliote" scande le papi entre deux respirations rauques. Fierté suprême d'être d'ici, de connaître les recoins de la ville, ses côtés sombres, ses habitudes et sa misère. Gloire de savoir y survivre. Avec le Bosphore pour décor, "Hayat Var" s'accroche aux longs cheveux d'une fillette qui devient femme. L'eau l'accompagne partout, se reflète dans les cheveux, se faufile dans les pièces minuscules, s'accroche aux vêtements. Hayat est une figure solitaire, solaire, sauvage, hors du temps. De toutes ses forces elle tente de rappeler le temps de l'enfance, des pouces dans la bouche, des dindons qu'on course dans les herbes hautes, des bonbons qu'on cache sous le lit. Mais la réalité la rattrape violemment à l'image de cette mère qui tient les ciseaux et coupe de force la belle chevelure rebelle. Il se passe peu et beaucoup à la fois dans ce film faussement immobile. Dans une magnifique scène finale, ce rouge à lèvre barbouillé sur la figure d'Hayat, c'est son trophée, sa part d'innocence préservée. Cheveux aux vents, elle sourit enfin au Bosphore.
Üç Mayum - Trois Singes de Nuri Bilge Ceylan.
Le réalisateur turc n'est plus à présenter. En quelques films il a imposé son cinéma lent, contemplatif et sa photograpie manipulée. Après Uzak et Climats, voici Üç Mayum - Trois Singes, un film magistral, ténébreux, plombé par des ciels d'orage trop lourds. Avec Istanbul comme décor, et une photographie métallisée, triturée, artificielle Nuri Bilge Ceylan plonge dans les noirceurs de l'âme et construit une tragédie des temps modernes. Deux meurtres, des mensonges, et des infidélités : une famille sauve maladroitement sa peau malgré les silences, les bassesses et les humiliations. Nuri Bilge Ceylan ne s'attache pas aux actes. Le premier meurtre est évacué rapidement, l'infidélité à peine évoquée. Toute l'intensité réside dans "l'après", dans les conséquences des actes. La beauté formelle du film, lumineux et sombre à la fois, agit comme un révélateur des compromissions de l'âme. Les hommes ont renoncé à porter haut leurs valeurs. Seuls, ils se battent contre l'orage, la pluie et les ciels sombres que Ceylan abat sur leurs têtes.