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Les chorégraphes Meg Stuart et Philippe Gehmacher élaborent un pas de deux nostalgique sur les planches de la Volksbühne (Meg Stuart est artiste associée du théâtre de Castorf). Quand deux êtres se cherchent et ne se trouvent plus, il reste les ébauches. « Maybe forever » trace les contours d'un poème intime, et désillusionné sur des airs de guitare éthérés.
Patience, attente, suspension. La danse du duo Meg Stuart/ Phillipp Gehmacher demande une attention toute particulière. Artifice zéro, esbrouffe nulle sur la scène de la Volksbühne habitée à plus d’effervescence. Pour leur première chorégraphie en commun, la chorégraphe américaine et le jeune artiste autrichien construisent une rencontre au-delà de toute agitation dans une communication maladroite, douloureuse et tendue, à l'image de cette première scène obscure. Est-ce l'aube ou la tombée de la nuit? Pénombre enveloppante où se distinguent à peine les êtres. Les corps, presque à l'état larvaire, insectes lentement déployés, semblent opérer une mue. Un couple se re-connait, se réveille d’une histoire commune. Une bande son terrienne et minérale accompagne leurs étreintes rampantes. Après de longues minutes la lumière apparaît enfin, la guitare électrique résonne, en live. L'éclairage se fait crû sur le couple désormais debout et sur son histoire.
Est-ce le constat d'une impossible communication amoureuse, du gouffre qui règne entre ces êtres fourmillant et s'agitant à la lumière du jour pour mieux s'ignorer ? La déstructuration règne sur une scène dépouillée où les micros et d'épais rideaux noirs délimitent l’arène sociale. L'émotion, fugace, se loge dans un mouvement cassé, une étreinte ratée, une mélodie de guitare atmosphérique. Explosive, Meg Ryan laisse ses membres lui échapper, roule vers lui, y croit encore. Mais non, il est trop tard. "I take it back" scande t-elle au micro dans un long poème amer qui regrette tous ces moments amoureux où l'on laisse des bouts de soi et des ses sentiments pour rien, pour des rencontres ratées, avortées.
Elle souffre, s'interroge dans des mouvements saccadés, énergiques, inutiles. Lui tente de communiquer, échoue dans une gestuelle minimale et déséquilibrée. Quand il marche il tangue un peu, jamais vraiment assuré. Parfois les corps s'atteignent dans une étreinte déjà terminée, trop furtive. Comme cette photo géante de pissenlits éphémères qui passe du noir et blanc à la couleur éclatante, pour se faner à nouveau, leur histoire n'en finit pas de se finir dans des soubresauts d’espoir. Ils y croient encore le temps d'une chanson, et des accords de guitare délicats du songwriter belge Niko Hafkenscheid qui égrène nonchalamment ses chansons folk. La musique accompagne les danseurs, les habille, les rend moins solitaires.
Même teintée de tristesse et de regret, la rencontre a lieu. Avec le public aussi. Dans la fragilité des mouvements, les deux chorégraphes disent douloureusement la difficulté de se re-trouver. La romance n'est plus. Sauf dans les refrains un peu menteurs des guitares.
« Maybe forever » de Meg Stuart et Philipp Gemacher. Ce soir et dimanche, 19h30, Volksbühne.
Photo © Chris Van der Burgth.