Thomas Ostermeier a fait d'Henrik Ibsen son auteur phare. Dans un portrait récent de Brigitte Salino pour le Monde il déclairait "Que nous reste-t-il ? Le refuge de la famille et de la carrière, qui sont les valeurs bourgeoises du XIXe siècle. On revient au temps d'Ibsen, qui convient mieux à notre génération que Tchekhov. Il n'est pas sentimental. Il montre des gens pris dans le carcan de la société, qui livrent un combat personnel, pour trouver une issue." Pendant que son "John Gabriel Bookman" tourne en France, la Schaubühne reprend son Hedda Gabler ce soir à Berlin. La maison bourgeoise imaginée par Ibsen en 1891 à Munich a laissé place chez Ostermeier à un loft sèchement contemporain. Dans ce décor froid et superbe, où l'eau ruisselle sur une paroi-écran, Hedda Gabler s'ennuie. En tenue d'intérieur la jeune femme fait la moue, indifférente aux fleurs fraiches, au canapé neuf, à la terrasse avec vue. A peine revenue de son voyage de noces, elle contemple avec dédain ce que sera désormais sa vie. Comme dans Nora, Henrik Ibsen dresse le portrait d'une jeune femme prise au piège de ses désirs de réussite sociale dans un milieu bourgeois étouffant. Même trio mari-femme-ami du mari (ici il est avocat, et non plus médecin). Même prison dorée aux murs de laquelle les jeunes femmes se heurtent jusqu'à l'irréparable. Avec un supplément de machiavélisme et de cynisme pour Hedda Gabler.
Elle pourrait être Emma Bovary cette jeune femme qui rêvait de luxe, d'argent, de passion. Au final Hedda n'a pour compagnon qu'un universitaire terne et sans charisme, endetté pour tenter de répondre aux rêves de sa jeune femme capricieuse. Réapparait alors le premier amour de la jeune femme, un intellectuel fantasque, fêtard, peu fiable, en passe de briser la carrière universitaire de son mari. Prise au piège de ses contradictions et de sa condition, Hedda complique les situations, joue des êtres et des sentiments, y compris les siens, comme pour mettre du piment dans sa vie.
Thomas Ostermeier a construit un huis clos où les êtres s'agitent peu. Cette paroi transparente est-elle le mur de faux semblant des discussions de salon. Est-elle cet ennui qui suinte par tous les pores de la peau des personnages? Pas de tumulte ici. Le ton est aseptisé, la musique douce, les teintes verdâtres, froides. A peine les acteurs profitent-ils de l'espace du plateau tournant. Autour du canapé se jouent froidement les dernières heures d'Hedda Gabbler. Une pièce au goût métallique.
"Hedda Gabler" avec Annedore Bauer, Lars Eidinger, Jörg Harmann, Katharina Schutller.CE soir, 18h, Schaubühne, 8-38 euros.