Ce fut sur le thème du sourire, proposé dès l'ouverture des festivités par Monsieur William Carter, professeur à l'Université de Georgie et à l'Université de l'Indiana, qui ouvrait par sa conférence " Le sourire de Proust", ce 3 ème Colloque consacré à l'écrivain par les municipalités de Trouville et de Cabourg, ainsi que par le Cercle Littéraire Proustien de Cabourg-Balbec, que débuta le programme de ce week-end, dont le samedi évoquait la présence du romancier à Trouville-sur-Mer et, le dimanche, ses vacances si studieuses chaque été de 1907 à 1914 au Grand-Hôtel de Cabourg. Et le sourire fut d'abord celui du temps radieux dont a bénéficié durant ces deux jours la Côte Fleurie, la rendant lumineuse et gaie sous un ciel à peine voilé de quelques nuages, si pareille à celle décrite par l'auteur de la Recherche, lorsqu'il guettait, depuis la fenêtre de sa chambre, les silhouettes des jeunes filles en fleurs qui déambulaient sur la digue. L'autre sourire fut celui d'une assistance nombreuse, joyeuse, passionnée, attentive, qui a suivi chaque manifestation sans se départir un seul instant de son enthousiasme et de sa curiosité. Car tout avait été remarquablement organisé, afin qu'il n'y ait pas de temps mort, pour que règne autour de ces évocations la présence invisible, mais si prégnante de l'écrivain, que par le palais ( les délicieux mets servis aux dîners), l'oreille ( les concerts et les conférences ), le regard ( les lieux visités et le décor du Grand-Hôtel de Cabourg rénové ), nous le sentions proche . Et il le fut avec un sourire indicible, manifestant, à travers les lectures proposées, l'intérêt qu'il sut toujours porter aux êtres et aux choses, et le pouvoir d'enchanteur dont il détenait la secrète magie.
Lors de sa conférence, dans le salon des Gouverneurs du Casino de Trouville, le professeur William Carter a mis l'accent sur la verve ravissante du génie proustien, ce sourire qui rend l'oeuvre universelle et l'anime en permanence d'une joie vibrante, tant il est vrai que les mots de Proust n'ont pas seulement le mérite de peindre mais de chanter. La Recherche est remarquable de vitalité - a -t-il précisé, elle déborde d'une énergie extraordinaire. Le lire est une façon de plonger dans une fontaine de jouvence, de fixer dans son esprit le spectacle des vérités humaines qui ont été saisies sur le vif par un observateur doué d'une mémoire et d'un brio exceptionnels. Contrairement à certains esprits chagrins qui considèrent l'oeuvre comme la peinture d'un monde décadent et voué à disparaître, La Recherche est sans nul doute le texte les plus dynamique jamais écrit. Car cette société décrite par l'écrivain est encore la nôtre ; si les protagonistes ont changé de casquette, les personnages sont toujours là, au milieu de nous ; l'homme est toujours l'homme avec ses qualités et ses faiblesses, ses snobismes, ses engouements, ses peurs, ses lâchetés ; les riches sont toujours riches, les pauvres toujours pauvres, les hypocrites toujours hypocrites... tout est semblable sous le soleil ou sous les nuages, et la comédie humaine contemporaine n'a rien à envier à celle des années 1900 ; elle se joue en permanence sur la vaste scène de notre planète avec une égale vigueur . C'est la raison pour laquelle Proust a de nombreux lecteurs dans le monde entier et celle qui fait que des Japonais, des Anglais, des Américains, des Australiens se retrouvent dans ses descriptions et ses dialogues, devenant par la même occasion l'ami de l'écrivain, au point que se crée entre eux et lui une authentique intimité.
Cette passionnante conférence fut suivie, en début d'après-midi, par la visite, à Trouville, des lieux où séjourna l'auteur et où j'ai le grand honneur de demeurer. Cette avenue Marcel Proust compte quelques-uns des manoirs où il se plaisait à se rendre chez Madame Straus et chez les Finaly. Monsieur Le Bas, descendant de la famille Finaly par les femmes, eut l'extrême obligeance d'ouvrir les portes du parc de sa propriété, peinte par Proust comme celle de la Raspelière, et qui bénéficie des trois vues admirables sur la campagne et la mer :
" Il y avait à chacun de ces points de vue un banc ; on venait s'asseoir tour à tour sur celui d'où on découvrait Balbec, ou Parville, ou Douville. (...) De ces derniers, on avait un premier plan de verdure et un horizon qui semblait déjà le plus vaste possible, mais qui s'agrandissait infiniment si, continuant par un petit sentier, on allait jusqu'à un banc suivant d'où l'on embrassait tout le cirque de la mer ".
Le manoir des Frémonts à Trouville
Après la visite des lieux, rendez-vous était pris au cinéma de Trouville pour visionner le film que Monsieur Le Bas a consacré à sa famille ; ce, à partir des documents et nombreuses photos qu'il possède et qui constituent un merveilleux document sur la Belle Epoque, ressuscitant quelques-unes des figures des personnages que l'on retrouve dans La Recherche, comme la délicieuse Mary Finaly ou Horace Finaly, sous une forme déguisée. Cette première journée trouvillaise s'achevait pas un dîner-spectacle dans le salon des Gouverneurs.
Le lendemain, Cabourg était devenu, le temps d'une journée, le Balbec retrouvé de La Recherche. La journée débutait par la visite guidée par des passionnés et passionnants conférenciers, le philosophe Michel Blain et le maire de Cabourg, le docteur Jean-Paul Henriet, du Grand-Hôtel, dont la salle à manger vient d'être rénovée à l'identique, comme Proust l'a connue et fréquentée pour des dîners tardifs, où il mangeait, sur le pouce, plus volontiers une sole et une pâtisserie, toujours accompagnées de plusieurs cafés. Venait peu après la conférence du Professeur Jean-Yves Tadié connu de tous les proustiens pour avoir écrit une vie de Proust qui constitue le socle indéfectible sur lequel chacun peut travailler à son aise, sans risquer de se prendre les pieds dans l'épais tapis des dates, faits, rencontres, et qui est lue et appréciée du monde entier, conférence qui avait pour sujet " Proust et ses amis du Grand-Hôtel". Thème qui passait en revue les rencontres de Cabourg/Balbec et les mondanités auxquelles l'écrivain se prêtait lorsqu'il n'était pas trop fatigué, cela avec d'autant plus de bonne grâce que celles-ci lui permettaient d'observer tout à loisir une société dont il s'était fait le peintre avisé et souvent moqueur, mais toujours juste et précis. On sait qu'auncun détail de la vie sociale n'a échappé à son oeil de lynx qui voyait tout, entendait tout, et se souvenait de tout, sans avoir nul besoin de prendre des notes. C'était une caisse enregistreuse de premier ordre. Un brunch suivait cette conférence au Grand-Hôtel, où l'on croisait, au hasard des tables, les maires de Cabourg, Trouville et Illiers, des écrivains comme Madame Bloch-Dano, Madame Dezon-Jones, l'inspecteur d'Académie Monsieur Vicé, la rectrice d'Académie Madame Hotyat et bien d'autres personnalités dans une ambiance conviviale. L'après-midi fut consacrée à une causerie avec Monsieur Stéphane Heuet, auteur de la célèbre bande dessinée de "A la recherche du temps perdu ", qui a eu le mérite d'attirer beaucoup de jeunes lecteurs qui, sans elle, ne se seraient peut-être pas aventurés dans l'oeuvre proustienne et qui ont pris goût à sa lecture par l'image évocatrice et le texte fidèle, puis s'acheva par un spectacle théâtral " Une soirée chez Madame Verdurin" de Bertrand Pouradier-Duteil ou textes et musiques se relayaient de façon harmonieuse, recréant merveilleusement ce temps perdu et miraculeusement restitué par la voix humaine et musicale. Enfin un dîner de gala clôturait un week-end de grande qualité que Proust eut sans doute aimé, tant il réunissait des gens attentifs à l'âme des êtres et des choses.