Artistes : Ami cinéphile, depuis le 26 juin et jusqu'au 6 juillet se tient à La Rochelle le festival cinéphilique par excellence : rétrospectives, intégrales et avant-première à gogo. Cette année, outre un focus sur les oeuvres du trop rare Jacques Doillon et du cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan, le festival propose une rétrospective consacrée à Joseph Losey.
Joseph Losey (1909-1984) fait partie de ces cinéastes américains que tu crois connaître sur le bout des doigts. Mais qui n’est pas si connu que ça. Souvent considéré comme sujet de Sa Majesté la reine d’Angleterre, il est en fait né dans le Wisconsin dans une famille de puritains protestants – un terreau qui le marquera à jamais. Fuyant les Etats-Unis au moment du maccarthysme, il s’exile en Europe pour y tourner à peu près partout. Enfin, cinéaste doté d’un grand sens visuel et formel, aidé en cela par le chef opérateur Gerry Fisher et le designer Richard McDonald, Losey a en fait commencé par le théâtre.
Personnalité complexe et malléable, aussi à l’aise dans le polar que dans la fresque, dans le drame psychologique que dans l’opéra, "Jo" est à l’image d’un de ses derniers films : tel une truite dans le bain du cinéma, un éternel exilé sur la planète cinéma.
La preuve en 10 films :
Le Garçon aux cheveux verts (1948) : parabole sur le droit à la différence, qui évite tous les éceuils du genre.
Eva (1962) : peinture baroque des déchirements d’un couple – d’une grande modernité, qui place Losey au niveau de Bergman ou d’Antonioni
The Servant (1963) : son film le plus célèbre. Pour les adeptes de la lutte des classes, de la dialectique du maître et de l’esclave, des rapports sado-masochistes – au choix…
Modesty Blaise (1966) : parodie de James Bond au féminin, avec un trio d’acteurs pop : Monica Vitti, Terence Stamp et Dirk Bogarde.
Boom (1968) : le couple Burton-Taylor, d’après Tennessee Williams. Combat de titans, arbitré par Michael Dunn, le docteur Loveless des Mystères de l’Ouest
Accident (1967) : description clinique de la circulation du désir entre gens bien fortunés. Le sommet de sa collaboration avec le dramaturge britannique Harold Pinter.
Le Messager (1970) : chef d’oeuvre absolu, irrigué par son projet inabouti d’adaptation d'A la Recherche du temps i. Résultat : un des plus beaux films sur l’enfance, la découverte du monde des adultes, le temps qui passe, la mémoire. Julie Christie, Alan Bates, Michael Redgrave, musique de Michel Legrand, scénario de Pinter, lumière de Gerry Fisher, Palme d’Or à Cannes.
Monsieur Klein (1976) : le film définitif sur l’Occupation, aux allures de conte kafkaïen, avec Delon impérial.
Don Giovanni (1979) : la seule adaptation cinématographique qui vaille d’un opéra.
Steaming (1985) : son dernier film, élégiaque et serein, portrait de groupe de femmes dans un bain turc londonien. Rarement diffusé, magnifique.
Et surtout, reste les nombreux projets qui n’ont pu aboutir : outre l’adaptation de Proust, on peut citer Au-dessous du volcan – finalement adapté par John Huston – et Nostromo, œuvre gargantuesque de Joseph Conrad.
Et si tu ne peux te rendre à La Rochelle, reste une solution : la lecture des entretiens passionnants (Kazan-Losey, éditions Stock) qu’a eus le réalisateur avec Michel Ciment dans les années 70, rassemblés et présentés en miroir avec ceux d’un autre grand exilé du cinéma, à la trajectoire inverse de Losey, Elia Kazan. Entretiens passionnants sur deux cinéastes qui ont mis leur vie au service de leur art, durant l’époque troublée de l’après-guerre.
Travis Bickle