Abel, oui sur le principe, vous avez raison, j’ai frappé à toutes les portes, partout. Y compris au commissariat, notamment un matin à 6h pour faire procéder à un flagrant délit (jour de la bagarre entre les prostituées et un client) mais je vous avoue, malgré ma nervosité, pas pressé de venir, le panier à salade…
J’ai été reçue avec beaucoup de courtoisie par le Procureur Général qui a audience ouverte 2 fois par semaine. Essayez en France de vous faire recevoir par un Procureur…
Mon dossier est peut être au fond d’une pile, mais il existe, et le point noir est signalé. Une autre fois, plainte au commissariat toujours contre l’organisation de la prostitution dans l’immeuble, j’avais le numéro du commissaire pour faire procéder à un flagrant délit, après qu’il m’ait lui aussi, longuement reçue, mais là non plus, cela n’a pas marché, jamais disponible pour envoyer quelqu’un.
Les problèmes ont de toutes façons cessés avec la Société de surveillance.
En fait, l’engouement pour Marrakech a créé des problèmes de sécurité énormes à résoudre rapidement et…je suis une goutte d’eau dans ce qu’ils ont à gérer… Bref il me semblait important d’être reçue autrement que dans un commissariat afin d’exposer à une autorité comme le Caïd, un dysfonctionnement grave dans un quartier qu’il administre. A son actif, j’ai été reçue avec courtoisie et patience. Et le téléphone Arabe aidant, la rue a commencé à se tenir à carreau.
Un jour, la gérante du Bar à prostituées est convoquée chez le Caïd en même temps que moi…
Drôle de moment ! Le Caïd a du rire sous cape. Qu’ai-je en commun avec ce personnage cynique de gérante qui fait son fric avec sa sono à fond, des pauvres gars alcoolisés qui foutent leur vie en l’air, et les prostituées ? Je lui dis que son établissement dérange tout le voisinage, elle m’objecte avec cynisme qu’elle fait travailler du monde… Je lui rétorque que ce n’est pas un argument, que je peux recruter 4000 prostituées, les faire travailler et me prévaloir d’avoir donné du travail à 4000 personnes…
Le Caïd est soufflé que j’entre directement dans le vif sans la courtoisie orientale et bienséante qui veut que l’on ne nomme pas quelque chose qui fâche.
Je lui dis qu’elle vend de l’alcool à des gens déjà saouls. Elle objecte avec aplomb qu’elle n’est pas médecin pour juger si les gens sont saouls ou pas… Je demande immédiatement à Monsieur le Caïd de bien vouloir noter que cette femme n’est pas en mesure d’exploiter la licence d’alcool qui lui a été délivrée si elle n’est pas capable de faire la différence entre quelqu’un qui est saoul ou ne l’est pas. J’imagine Marrakech avec une « Commerçante » de cet acabit à chaque coin de rue… Sodome et Gomorrhe garanti !
Le Caïd gêné finira par la faire sortir…
Renseignements pris, la famille bénéficie de quelques appuis en dehors de Marrakech, la tante a une villa à Targa spécialisée dans l’accueil de soirées particulières…Le mari a fait de la tôle…le père était un alcoolique notoire. Il y a quelques temps son bar s’alimentait directement sur l’électricité de la ville faute d’avoir payé sa facture… Pas jolie jolie la gérante ! J’aurai plus de chances à essayer de greffer de la morale Kantienne sur le cerveau d’un batracien…
Patience Ito, patience… il n’y a pas un cas où la vertu n’ait fini par triompher… et de toute façon, les méchants ne sont pas amis, ils sont complices…
Tôt ou tard ce genre d’alliances occultes bâties sur le vice, finit par exploser. Le bar et sa gérante sont dans mon collimateur. Personne ne peut impunément abimer autant l’écosystème social d’une rue, sans qu’à un moment ou à un autre, les autorités se réveillant, et constatant les dégâts, sifflent brutalement la fin de la récréation. J’ai déja, aprés le coup de jarnac de la Société de sécurité, un plan en préparation dont je vous dévoilerai les secrets lorsqu’il sera sur les rails.
Pour l’heure, je vis et respire dans un immeuble propre et bien fréquenté. Le petit peuple avec son grand bon sens applaudit à chaque victoire et le marchand de boulfefs, l’épicier et le gardien de voiture, se prévalent tous de me connaître. Quant aux voisins, ils viennent me trouver pour réfléchir aux problèmes de la rue…
On avance Ito, on avance.
Comme partout il faut montrer patte blanche mais sans arrogance et avec fermeté. Je suis devenue pour eux « Bent Ness », qu’on peut traduire par Fille de Gens Bien, de Gens qui ont de la branche (… sourire triste… et encore ils n’ont pas connu papa…) Ils parlent de mon action avec cette formule splendide: « Allah Amerra Dara » , que l’on peut traduire par : « Que Dieu lui remplisse la maison » , ce qui est la marque ici, d’une profonde estime.
Je crois qu’il y a une chose que les Marocains dans leur grande majorité apprécient au plus haut point, c’est la bienveillance, la droiture et les bonnes intentions. Ils respectent profondément ceux qui font du Bien. Dieu n’est jamais loin, et Dieu, comme on le sait, facilite la démarche vers le Bien. D’ailleurs la devise du Pays est: « Dieu, la Patrie, le Roi » et il n’y a pas de doute que les Marocains sont profondément croyants, profondément patriotes et profondément attachés à leur Roi. L’obligation de la prière cinq fois par jour à un moment ou un autre de leur vie, les enracine dans la spiritualité. En tant que patriotes, ils souffrent comme d’un soufflet sur le visage des critiques qu’ils peuvent lire ici ou là sans modération, et lorsqu’ils critiquent eux même, c’est parce qu’ils voudraient que leur pays aille encore mieux plus vite, ce qui est impossible…
L’homme est ce qu’il est. Pour s’en convaincre, il n’y a que de contempler le scandale particulièrement minable des frais de fonctions des parlementaires Anglais, l’une des démocraties les plus avancées du monde, parlementaires qui faisaient payer par le contribuable, leur jardinier ou la location de films pornos … Il n’y a pas de plus profond mépris vis à vis de gens que l’on est censés représenter.
Quant à la Famille Royale, il faut dire que si elle a tant d’allure, c’est parce que c’est l’une des plus vielles royautés du monde. Un système à forte valeur ajoutée. Je rappelle quand même que le Sultan Moulay Ismaël, fondateur de Meknès, échangeait en permanence des Ambassadeurs de haut rang avec son ami, Louis XIV. Il lui envoyait des Lions, des Tigres et des Autruches et pour lui être agréable et sceller leur amitié, il avait demandé la main d’une de ses filles, Mademoiselle de Blois. L’alliance ne s’était pas faîte pour ne pas déplaire au Pape, à cause des problèmes de pratique de religion, mais Louis le Magnifique avait offert à Moulay Ismaël le Bâtisseur, deux Horloges Franc-Comtoises, véritable joyaux de l’époque. A défaut d’avoir une Noble plus ou moins gracieuse dans son lit et lui faire la Cour par obligation, alors qu’on lui amenait les plus belles femmes du bout de la planète, les somptueuses Circassiennes, le Sultan avait l’heure juste …
Oui, il y a ici des problèmes qui viennent principalement d’un développement trop rapide dû à l’engouement des occidentaux qui fuient comme des canards sans tête, une civilisation matérialiste qui les rend malades. Ce développement forcément mal maîtrisé, irrite ceux qui débarquent avec leurs normes bien carrées sans se rendre compte que le prix de cet ordre est que nous avons évacué l’humain.
Je ne pense pas qu’il faille venir dans ce pays avec les mains vides et le cœur sec.
Ici comme ailleurs, mais plus qu’ailleurs, il faut s’armer d’humanité et savoir voir et apprécier tous les bonheurs. Je ne dis pas que cela empêche d’avoir des déconvenues, parfois même graves. Je ne dis pas qu’il faut faire confiance à tout va… Je dis juste qu’il faut savoir regarder l’autre, le deviner, essayer de le comprendre, de faire l’effort de décoder le visible et les trésors de l’invisible. Ne pas venir pour vouloir faire des affaires à tout prix et être plus malins que les autres.
Malins, les Marocains ne nous ont pas attendus pour l’être… De plus, il y a la misère, je l’ai dit grâce à nos bons soins, suivant la loi de l’offre et la demande, tout a augmenté ici… sauf les petits salaires… Cherchez l’erreur ! Et l’étalage de la prospérité n’est pas recommandé si dans le même temps on n’est pas un peu plus large pour faire du bien. Je suis tellement déçue par mes compatriotes qui arrivent ici en pays conquis et voudraient reproduire à l’identique leur mode de vie égoïste et individualiste….Tout est traité sur un mode commercial. Il faut en avoir pour son argent…
Résidants dans un pays étranger, lorsque nous revendiquons le droit et la protection des autorités, ce qui est parfaitement légitime, nous avons en retour des obligations de respect et courtoisie. Je sais que bon nombre d’entre vous pensent que des étrangers en France ne se conduisent pas toujours comme il serait souhaitable. Raison de plus pour ne se laisser dicter sa conduite par aucun contre exemple.
On est trés loin de mon Immeuble … Je vous promets d’y revenir, si vous m’accompagnez… dans un prochain billet.