No Matters what

Publié le 02 juillet 2009 par Bertrand Gillet
Rendez-vous est donc pris. Directement avec lui. Comme ça. Il fonctionne de cette manière, Jonathan Morali, le jeune homme qui se cache derrière le patronyme Syd Matters. Nous avons convenu de nous retrouver à République, devant une célèbre enseigne de décoration suédoise. Mais bien sûr, nous n’évoquerons jamais l’évolution de la scène pop suédoise. Je suis le premier. Le ciel est vaguement menaçant. Pas grave, je ne suis pas là pour bronzer. Il peut me faire les gros yeux, sourciller des nuages, je suis concentré. Quelques minutes plus tard, je vois Jonathan sortir de la bouche de métro comme un refrain taillé, il taille d’ailleurs la foule des travailleurs rentrant chez eux ou allant céder aux assauts du consumérisme béat. Bonnet vissé sur la tête, il me salue et nous nous dirigeons ensemble vers un café. Je suis heureux de le rencontrer enfin. Il faut dire qu’à l’époque de A Whisper & A Sigh, je traversais une bête déprime urbaine, entre bouderie sociale et célibat à durée illimitée. Ses chansons sobres et habitées avaient alors convenu à mes états d’âme brumeux. Mais là, tout est sous contrôle. Je suis bien, sûr de moi et impatient de croiser le fer intellectuel avec le cerveau du projet Syd Matters. Après avoir longuement hésité, testant l’acoustique de chaque troquet, nous nous posons dans un bar tabac des plus classiques mais à la fois chaudement rassurant. L’endroit est passablement vide, mais il ne tient qu’à nous de le remplir de nos considérations de geeks de la pop, de nerds de l’indie rock. L’homme est devant moi. Nous commandons, qui un café, qui un demi citron, et pendant ce laps de temps, je me remémore quelques impressions de mélomane. 3 albums, et à chaque fois l’attente qui précède chaque nouvelle sortie, attente qui vous faire dire à quel point le bonhomme à tout de l’artisan honnête, du musicien scrupuleux. Quelques concerts bien placés entre chaque production, et vous avez un rock critic chauffé à blanc qui se permet de supputer sur les futures orientations de l’un des groupes les plus authentiquement intéressants du paysage musical français, échappant à tout effet de mode que l’on qualifiera alors de superflu. 3 disques contrastés, multipliant les vraies fausses pistes mais qui restent fidèles à une conception simple de la musique : une chanson construite dans les règles de l’art, avec ce goût pour la mélodie rampante, et qui part ensuite dans tous les sens comme si chaque titre était une sorte de double blanc des Beatles. L’imprévisibilité. Cela me plaît. Belle idée, puissante réflexion. S’il est de bon ton pour un type de ma profession d’essayer de prophétiser une carrière, d’échafauder des théories fumeuses, de causer références, je crois qu’à un moment il faut savoir s’arrêter et écouter, simplement. Et si nous écoutions Jonathan Morali de Syd Matters ? Allez, quelques minutes (qui ont duré 1 heure et plus), je vous promets. Jonathan, c’est à toi… Euh, moi d’abord… Enfin, c’est à nous…
Shebam : Ghost Days est sorti depuis maintenant 1 an et malgré une presse plus qu’enthousiaste, des fans nombreux, tu sembles être un personnage à l’écart, discret, rangé… Fantôme ?
Syd Matters : Ah bon ? Je ne sais pas. Je pense que c’est facile de se mettre à l’écart. Pour moi, ce n’est pas une stratégie. Je m‘aperçois qu’être présent, c’est avoir plus souvent de visibilité. Au musicien de faire donc la démarche. Moi, j’ai fait la promo qu’il fallait. Après mon boulot, c’est de faire des concerts quoi. J’ai l’impression que si on ne dit pas que l’on est disponible ou si on ne se manifeste pas, rien n’arrive automatiquement. Ce n’est pas pour me déplaire.
Shebam : Qui est réellement Syd Matters ? D’où vient ce nom ?
Syd Matters : Le nom à la base était Syd Project. Et lorsque j’ai signé pour la première fois dans un petit label, Third Side Records, ils ont trouvé ça nul. Le côté « Project » sonnait un peu electro et il y avait déjà plusieurs noms comme ça. Je leur ai donc fait une liste de 10 noms en leur disant « choisissez ». Ils ont retenu Syd Matters.
Shebam : Tu nous révèlerais le deuxième nom sur ta short list ?
Syd Matters : Il y avait toujours Syd dedans car je voulais faire référence à Syd Barrett. C’était atroce, je crois qu’il y avait Mister Syd (rires) et d’autres dans ce goût-là. Syd Matters s’est donc imposé. C’était le seul nom à peu près potable.
Shebam : Tu as commencé, je crois, à écrire et enregistrer tes morceaux chez toi, tout seul. Maintenant derrière Syd Matters, il y a un vrai groupe. Cela a-t-il changé ta façon de travailler ? Es-tu le seul compositeur ?
Syd Matters : Il n’y a pas de règle ! Pour l’instant j’ai toujours tout composé mais pour le dernier disque par exemple on a beaucoup arrangé ensemble. Ce que je faisais avant tout seul et soumettais après à mes musiciens, j’ai souhaité le faire partager plus vite. Je composais les morceaux, j’avais quelques idées d’arrangements, mais ils avaient suffisamment de liberté pour apporter leur touche. Pour moi, la composition et l’arrangement sont deux choses mêlées. Ils y ont donc participé d’une certaine manière parce qu’ils sont arrivés assez tôt dans le processus d’écriture.  Enfin, plus tôt qu’avant. Là, je suis en train d’écrire pour le prochain disque et bizarrement, j’ai besoin de faire beaucoup plus de choses tout seul. C’est pour cela qu’il n’y a pas de règle. Ça dépend des chansons.
Shebam : Chacun a un souvenir précis du jour où il a découvert Rock Bottom de Wyatt. Moi, c’était en février 96, je faisais mon service militaire et dans le camion qui nous emmenait en manœuvre, alors qu’il faisait un froid bleu, je me repassais sans cesse l’album dans ma tête. Quel est le tien ?
Syd Matters : C’était il n’y a pas très très longtemps. Quand j’ai enregistré mon tout premier disque, je ne connaissais pas du tout Robert Wyatt. Et Chab, celui qui m’enregistrait chez Third Side, m’a dit « tiens tu prends ça et tu vas voir, forcément tu vas aimer ». J’ai pris ce disque et je crois que je l’ai aimé tout de suite, c’était une évidence, comme si je le connaissais déjà. C’était en 2003. Je me souviens précisément parce que je devais le lui rendre une ou deux semaines après et que je ne lui ai jamais rendu. Je crois qu’il a compris d’ailleurs, il m’a dit « Bon, celui-là, tu le gardes mais l’autre que je t’avais prêté, tu me le rends ». A partir du moment où je l’avais écouté, je savais que c’était un disque pour moi.
Shebam : Dès qu’un musicien sort sa guitare acoustique et chante des compos introspectives, on le compare à Nick Drake… Tout le monde est tombé naturellement sous le choc de ses 3 albums, presse, fans, musiciens… Mais n’es-tu pas lassé de cette vision catégorielle de la musique ? Genre, Syd Matters le nouveau « Nick Drake »…
Syd Matters : Je trouve que la comparaison n’a pas lieu d’être déjà. Je suis un fan de Nick Drake depuis longtemps mais cela est dû à la façon de présenter la musique : quand tu fais tes bios pour la presse, les 3 références que tu vas mettre dedans pour aiguiller un peu, ce sont elles qui vont ensuite ressortir dans les chroniques. Sur le premier disque, on a du se dire Nick Drake, Robert Wyatt et Radiohead parce que ce sont des gens qui m’ont beaucoup influencé et cela tourne toujours autour de ça maintenant. En même temps, je suis très mal placé pour savoir si ce que je fais est très influencé par Nick Drake ou pas, j’en sais rien, j’ai l’impression que c’est donner beaucoup d’importance à mon travail. Après, est-ce que ce sont des influences qui s’entendent énormément ? Ce n’est pas à moi de le dire. En tout cas, ce n’est pas une volonté de ma part de faire ce que Nick Drake aurait pu faire, nan pas du tout.
Shebam : Euh, rassure-moi, Big Moon est bien un hommage à Pink Moon ?...
Syd Matters : En fait, non ! Je n’y ai pas du tout pensé. Après, je me suis dit ok il y a en effet un arpège de guitare un peu bizarre et puis le titre Big Moon. Je me suis aperçu malgré moi qu’il existait des influences que je ne voulais pas mettre dedans. Big Moon pour moi, c’était plutôt une inspiration liée à la scène indé américaine, comme Bonny Prince Billy. C’était un peu ma façon de voir s’il pouvait se passer un truc avec juste une guitare, une prise en live. Tant mieux pour le lien avec Nick Drake (il sourit).
Shebam : Quel est l’artiste ou le groupe qui ne t’a jamais influencé ?
Syd Matters : L’artiste qui ne m’a jamais influencé, euh c’est malin comme question… (Il réfléchit consciencieusement)… Euh, je vais trouver hein… (Long silence, on entend dans le dictaphone l’agitation du bar)… Je ne sais pas, est-ce que je peux répondre à cette question plus tard ? Que je réfléchisse un peu.
Shebam : Pas de problème ! Si on te dit que ta musique s’apparente au rock progressif, tu le prends comment ? Jolie insulte ou vil compliment ?
Syd Matters : Je dis pourquoi pas, parce que c’est un peu de mauvais goût. Aujourd’hui, il y a un côté très péjoratif lié au rock prog. Et je me dis, ne serait-ce pas chouette d’être un peu de mauvais goût ? Donc pourquoi pas. Ça ne me dérange pas.
Shebam : Parce que c’est à contre-courant ?
Syd Matters : A contre-courant ouais…
Shebam : Quand on dit « Syd Matters = Nick Drake », on pourrait dire « Nan, Syd Matters = constructions musicales plus proches du prog » ?
Syd Matters : Moi, je ne sais pas vraiment ce que c’est que le rock progressif. Si Pink Floyd c’est du rock prog, là je peux juste dire qu’il m’ont énormément influencé. C’est la musique que j’écoutais quand je suis devenu musicien, entre 15 ans et 20 ans, et cela a eu un impact sur l’écriture. Si c’est du rock progressif, ouais, je suis à fond rock prog, quoi. Je trouve qu’il y a un écueil qui me met de plus en plus mal à l’aise : il y a une sorte de scène française à laquelle je suis souvent associée, et de bon goût. Une scène où les influences sont les bonnes, pas too much ni trop radicales. On peut l’aimer facilement parce qu’on y trouve des gens assez corrects, assez raisonnables. C’est quelque chose contre laquelle je me bats dans ma façon d’écrire. Et finalement, tendre vers des styles musicaux plus radicaux et un peu moins défendables, je me demande si ce n’est pas là une forme de courage. C’est facile de rester au milieu de la route, d’avoir écouté les bons disques, d’utiliser les bons sons, de ne pas faire trop de bruit mais en même temps de rester classe, ça m’insupporte un peu. Donc, soyons progressif mais à mort ! Avec des morceaux de 14 minutes plein de solos de flûte à bec et de chœurs péruviens !
Shebam : Je me suis toujours posé la question : utilises-tu du mellotron dans tes morceaux ???
Syd Matters : Il y a beaucoup de sonorités de mellotron ouais, après, y a-t-il de vrais mellotrons ? Non, parce que cela coûte trop cher. Par contre, c’est un son du que je trouve magique. D’ailleurs, je pense que je pourrais faire 5 albums uniquement avec du mellotron, donc, il faudrait que je me calme un peu. Je l’ai beaucoup utilisé et j’essaye de trouver d’autres sons maintenant. Mais, j’adore !
Shebam : Hendrix ne quittait jamais sa Fender, dans Full Metal Jacket le personnage de Matthew Modine dort toujours avec son M16, et toi dors-tu comme tout folk-singer qui se respecte avec ta guitare ?
Syd Matters : Pas du tout (rires). Je ne suis pas du tout fétichiste des instruments, je m’en fiche complètement. Il y a une ou deux guitares que j’aime bien parce que j’ai l’habitude de jouer dessus. Sinon, je suis plus partisan du « il y a ça et ça dans le studio, on va faire un truc avec » et pas du tout du côté « collectionneur d’objets ». D’instruments en particulier.
Shebam : Plutôt CD ou vinyle ?
Syd Matters : Je suis plutôt CD. C’est vraiment le support que j’ai eu quand j’étais jeune. Il y a de plus une façon d’écouter qui est propre à chaque support, celle qui m’est la plus familière, c’est le CD. La façon de changer les plages. J’ai aussi un baladeur : j’écoute donc des mp3. Bizarrement, j’écoute un CD et je me dis « ouah le son est super ». C’est ce que l’on se disait quand il y avait les vinyles et les CD. On a l’impression que ce qui existait avant prend un critère de qualité chez l’auditeur. 
Shebam : Quel regard portes-tu sur tes disques non pas au moment où tu les enregistres, mais quelques mois, voire un an après ?
Syd Matters : Je trouve ça nul donc j’écoute pas du tout. Je suis obligé évidemment au moment de l’enregistrement et ensuite au moment du tracklisting. Après, ça m’est impossible d’écouter. Je trouve ça nul, honnêtement. Disons, que cela me pousse à continuer à faire de la musique. Ce que j’aime, c’est le moment où je la fais. L’écoute en elle-même n’a aucun intérêt pour moi.
Shebam : Un bouquin sort sur L’underground musical français mais on sent que la France reste attachée à la traditionnelle chanson française ? Et puis il y a les quotas à la radio ? Que penses-tu de tout cela ?
Syd Matters : Les quotas, j’ai l’impression que depuis 2 ou 3 ans ça prend moins d’importance. Quand on a commencé le premier disque, c’était systématique : on nous reprochait de chanter en anglais. Passer à la radio était quasiment impossible. Et j’ai l’impression que depuis, ça s’est vachement détendu. Il y a des artistes qui chantent en anglais et qui ont eu plus qu’un succès d’estime. On aime ou pas ce qu’ils ont fait mais en tout cas, il y a quelque chose qui s’est décomplexé par rapport à ça. Il y a même presque un phénomène de mode. Les radios aiment bien avoir leurs 3 ou 4 artistes français chantant en anglais, ça fait bien (rires). Moi, j’ai commencé à faire de la musique dans un contexte où l’on n’arrêtait pas de me dire que le disque ça ne vendait plus, qu’on ne pouvait pas chanter en anglais quand on était français, qu’en gros, il y avait peu d’espoir de faire de la musique en France et d’en vivre. A partir de ce moment, quand tu commences à faire de la musique dans cet état d’esprit général là, c’est pour d’autres raisons. Cela ne change rien à ma façon de faire de la musique et pourquoi j’en fais.
Shebam : Et la scène internationale ? Tentes-tu une percée au Royaume-Uni, aux USA ?
Syd Matters : On a essayé. On a joué plusieurs fois aux Etats-Unis et en Angleterre et à chaque fois, ça s’est bien passé. Après, le problème est que tu te rappelles que tu es français. Non pas dans la musique que tu fais mais parce que tu habites en France. Pouvoir percer ou se faire connaître un minimum dans un pays, c’est y rester un peu. Or, ça coûte très très cher. Donc aller en Angleterre ou aux Etats-Unis pour une semaine à l’arrache et faire tous les concerts possibles, c’est bien. Après, s’y installer, on n’a pas les moyens. A l’international, il n’y a plus du tout le problème de « pourquoi t’es français, pourquoi tu chantes en anglais », c’est la question d’avoir les capacités de t’installer. Malgré tout, il y a des opportunités. Et puis pour concrétiser, je crois que tu as besoin d’un coup de chance : une première partie, un truc de plus gros.
Shebam : D’ailleurs, plutôt ta mère ou Tamise ?
Syd Matters : Plutôt, ma mère.
Shebam : C’était la meilleure réponse que tu pouvais donner !!! Tu as écrit une musique de film, pourrais-tu un jour écrire un album entièrement instrumental ou resteras-tu fidèle à la sainte trinité couplet-refrain-couplet(-pont) ?
Syd Matters : Très régulièrement, je suis tenté par le fait d’essayer de m’imposer un format de chanson avec les règles de la pop, genre une intro, un couplet, un refrain, un couplet un pont, avec des règles de formatage. J’ai beaucoup de mal à faire ça en fait. J’aimerais bien le faire car je trouve que c’est une discipline, un art qui est très intéressant. Pouvoir rentrer ses idées et une atmosphère dans un format un peu rigide, c’est quelque chose que je n’ai jamais réussi à faire. Du coup j’aimerais bien y arriver. Je m’aperçois que je suis toujours à mi-chemin. Pour trouver l’équilibre qui me va à peu près, mes chansons commencent normalement, puis il va falloir qu’il y ait une rupture à un moment donné, que cela parte ailleurs. M’améliorer pour moi, ça serait essayer de rentrer beaucoup plus dans cette case-là.
Shebam : Quelqu’un a dit : « L’important n’est pas de révolutionner le rock mais d’écrire de bonnes chansons ». Qu’en penses-tu ?
Syd Matters : C’est déjà pas mal, ouais (il sourit). Pour moi, l’important ce n’est même pas d’écrire de bonnes chansons mais de trouver une source d’épanouissement dans la musique. Les bonnes chansons, on ne sait pas vraiment ce que c’est. C’est quoi ? Une chanson qui est considérée comme bonne par les gens qu’on estime être des juges de qualité ? C’est compliqué. C’est tellement compliqué que moi je préfère me dire « est-ce que j’arrive à mettre une part de moi dans cette chanson, y a-t-il quelque chose de juste dedans ? ». Si oui, ben ok, c’est validé. Elle a une raison d’être. Après, cela révolutionne t-il quoique ce soit, est-ce une bonne chanson ? Je pense que ce sont des questions qu’il ne faut jamais se poser. Sinon, tu passes vraiment à côté.
Shebam : c’est marrant dans ta réponse, j’ai l’impression que tu te définis comme un artisan…
Syd Matters : Ouais, il y a vachement de ça…
Shebam : La noblesse du travail au moment où on le produit, sans en espérer plus…
Syd Matters : J’ai eu d’ailleurs une grande discussion avec un journaliste à qui je disais que pour moi l’important dans la musique était d’être sincère. Peu importe ce que tu fais, peu importe si c’est un album de r’n’b produit avec les pieds mais si tu es hyper sincère dans ce que tu fais, il n’y a aucune légitimité à chercher. Et lui me disait « Mais moi je m’en fous que les gens soient sincères, moi j’ai besoin de sentir que la personne s’est surpassée, qu’elle est allée un peu plus loin par rapport à ce qu’elle était ». Je pense que les deux démarches se valent : l’une n’empêche pas l’autre. La sincérité vient du côté artistique, c’est à dire l’expression profonde de ce que tu es : essayer de mettre une part de toi dans ce que tu fais, dieu sait que c’est difficile. Une fois que tu as fait cela, il y a toute la part de travail et d’artisanat. Avoir 4 bonnes idées c’est super mais ça fait pas une chanson. Il y a une mise en forme, un travail, quelque chose qui relève de la discipline. Tout cela n’est pas lié au talent, à l’inspiration, c’est juste du travail. Et en cela, on peut se surpasser. L’un ne marche pas sans l’autre. Il y a beaucoup d’artistes que j’aime beaucoup qui ont fait un premier disque frais, pas du tout contrôlé, que je trouve assez magique et pur. Puis ensuite, ils déçoivent et pourquoi ils déçoivent ? Parce que je crois qu’ils ont beaucoup de talent, une sorte de facilité, du génie même. Mais la part de travail qui va avec n’est souvent pas faite. J’ai plein d’artistes en tête mais je ne sais pas si je vais donner des noms. Je pense que tout le monde est doué dans quelque chose, tout le monde a des facilités. Quand t’aimes un truc tu peux devenir bon mais la part de travail, ça, il n’y a pas de secret quoi : être besogneux. Certes, c’est fastidieux, cela demande beaucoup de temps et ce n’est pas très marrant. Mais il faut le faire et moi j’apprécie les gens qui arrivent à transformer une facilité en quelque chose de beaucoup plus taillé.
Shebam : C’est un peu pourquoi tu prends autant de temps pour produire un nouvel album…
Syd Matters : Ouais, encore une fois, quand je te dis ça, je m’interroge en même temps. C’est à dire que, sans aucune fausse modestie, je trouve que la plupart du temps je suis beaucoup trop feignant. T’as une bonne idée, t’as une deuxième bonne idée, puis il y a un truc qui se fait puis il se passe quelque chose. Mais l’aboutissement, achever un travail, c’est quelque chose que j’aimerais faire et que je n’arrive pas à réaliser. Moi j’ai plutôt tendance à croire que je bâcle un peu les choses. Là par exemple, je travaille sur un nouveau disque et pour la première fois j’essaye de ne pas aller trop vite, d’attendre que les idées mûrissent, qu’elles soient un petit peu plus approfondies même si j’ai très envie de sortir un disque, même si j’ai besoin de travailler, même si j’ai l’impression que je stagne. Ce n’est pas grave, le principal est d’avancer dans ce que tu fais. Voilà tout ce beau discours que je t’ai tenu sur le travail me parle beaucoup.
Shebam : En ce moment, la moustache semble supplanter la barbe en matière de tendance masculine ? As-tu un rasoir ? Es-tu prêt à suivre la tendance ?
Syd Matters : Non ! Je porte la barbe à cause de mes grosses joues. Ce n’est pas du tout esthétique, c’est juste histoire de supporter un peu mieux ma gueule. Nan, je vais pas me faire de moustache, j’aurais vraiment l’air trop con.
Shebam : J’ai rencontré Carly Blackman qui m’a parlé de toi en de très bons termes, je cite « Syd Matters est l’un de mes groupes préférés parce que c’est le seul qui peut chanter en anglais et c’est juste beau ». Tu travailles avec elle sur ses nouvelles maquettes. Peux-tu nous en dire plus sur cette collaboration ?
Syd Matters : Je ne travaille pas avec elle, elle bosse avec Rémi mon guitariste. Je l’ai rencontrée, j’ai écouté les démos mais ça ne s’est pas fait : nous n’avons pas réussi à nous croiser au bon moment. Avec Rémi, ils font ensemble un vrai travail de fond. Mais hélas, je ne peux pas t’en dire plus.
Shebam : Carly ne tarit pas d’éloges sur ton accent anglais. Peux-tu nous révéler le secret de ta méthode ?
Syd Matters : J’étais assidu en cours d’anglais, c’est d’ailleurs ce qui m’a permis d’avoir mon bac : pour rattraper mon niveau en maths (rires) !!! Après, je n’essaye pas du tout d’avoir un accent parfait. Je pense que ce qui est cool aussi c’est d’essayer de faire avec ton accent quoi, c’est de ne pas chercher à singer les américains ou les anglais. Parce que là je trouve que c’est rédhibitoire. Je fais plein de fautes d’anglais, j’ai plein de prononciations un peu bizarres parce que je suis pétri de culture anglaise, de cette façon très anglaise d’apprendre la langue en France, sans parler du vocabulaire américain. Donc, ça doit faire un mélange un peu étrange pour les anglo-saxons. Mais je n’essaye pas de cacher l’accent. Encore une fois, c’est tellement délicat de chanter dans une langue qui n’est pas la tienne parce que tu peux très vite faire une copie de ce que tu aimes. Je ne peux pas avoir un accent texan ou cockney parce que je suis ni américain ni anglais, je suis français. Je ferais plutôt attention à ne pas me forcer. Mon ami H-Burns que j’admire au plus haut point, lui fait quelque chose qui est très compliqué, mais il en a les moyens. Il cultive un accent très américain mais il a la plume et la culture qui vont avec : il sonne très americana. C’est le genre de truc qui pourrait m’énerver chez certains artistes français, sauf que lui, pour très bien connaître sa musique et pour avoir déjà travaillé avec lui, possède une vraie authenticité. Ce sont des centaines et des centaines d’heures de lecture, de pratique. Il a trouvé une culture qui lui permet de s’exprimer. Mais lui ne singe pas l’américain.
Shebam : A ce propos, quand j’organise une surprise pour ma femme, celle-ci me demande toujours un indice. Peux-tu m’en donner un concernant ton prochain projet d’album ?
Syd Matters : Un indice ? Soul.
Shebam : Voilà un indice qui en appelle presque un deuxième.
Syd Matters : Tu m’as dit « un » ?!!!
Shebam : Ok, ok, j’en reste là (rires) ! Ton dernier disque acheté ou téléchargé…
Syd Matters : Dark Was The Night, une compile des frères Dessner qui sont les guitaristes du groupe The National : ils ont réuni Sufjan Stevens, Grizzly Bear, Feist, Dirty Projectors, un groupe new-yorkais qui défonce, Iron & Wine… Et donc il ont fait cette compilation de 31 titres et bizarrement 25 d’entre eux sont assez magiques.
Shebam : Pour Grizzly Bear, est-ce un titre de leur génial deuxième album ?
Syd Matters : Il me semble que c’est un titre qu’ils ont produit spécialement pour ce projet. Le morceau s’appelle Deep Blue Sea et c’est assez magnifique.
Shebam : Que penses-tu du buzz en général, ce que l’on appelle dans le milieu journalistique la hype ? En ce moment, tout le monde dit « Brooklyn, c’est une super scène »…
Syd Matters : La hype ?!... Ben par exemple un groupe qui était très hype, maintenant ça c’est un peu calmé, c’est MGMT. Franchement, il y avait tout pour que je n’aime pas. Ça m’énerve, parce que je trouve le disque hyper bon. Donc là, je me suis fait avoir. J’ai l’impression que dans le sillage, il y a plein de groupes qui se rassemblent un peu et qui font une espèce de truc avec des sons 80s mais un peu déglingués… Comme Midnight Juggernauts : j’ai trouvé ça atroce. La hype, c’est pas mal pour avoir son moment de gloire. Tu dois te sentir comme le mec le plus populaire de son lycée pendant 3 à 12 mois. Parce qu’un mec qui n’a jamais été dans la hype…
Shebam : Il a moins à prouver…
Syd matters : Il a moins à prouver et puis être surtout hype et ne plus l’être après, c’est compliqué à gérer. C’est un cliché ce que je vais dire mais la hype c’est bien si ça débouche sur une carrière. En l’occurrence,  MGMT, oui ils sont hyper hype, oui ils ont des gueules un peu énervantes, oui ils sont à fond dans la branchitude, mais en même temps leur disque est plutôt très bien écrit.
Shebam : C’est assez malin.
Syd Matters : C’est assez malin ouais.
Shebam : Je crois que je le détestais cordialement au début puis j’ai l’ai bien écouté et je suis dis « putain il est pal mal ce disque ».
Syd Matters : Ben ouais il est pas mal et donc je leur souhaite de continuer à faire de la bonne musique.
Shebam : Quelle île déserte emporterais-tu sur un disque ?
Syd Matters : (rires). Je ne connais pas beaucoup d’îles désertes. Moi j’aime bien l’île de Batz, au large de la Bretagne, et qui est presque déserte. Franchement, il y a peu d’habitants. Pour peu que tu viennes un jour de pluie, il n’y a vraiment personne ! Je l’emporterais bien sur un disque. Je crois que Rodolphe Burger a fait un album sur cette île, donc elle doit être dans son disque. Donc j’emporterais cette île-disque…
 
Shebam : On inverse les rôles : pose-moi une question.
Syd Matters : Humm, une question… Pourquoi ce besoin d’écrire sur la musique ?
Shebam : C’est marrant parce que tu es le premier à ne pas me poser une question du genre « Quelle chanson as-tu préféré dans mon album »… Nan, là je balance ! C’est peut-être parce que je ne sais pas jouer de la musique, alors je me suis dis « tiens, si j’essayais d’écrire la musique », au sens d’écrire sur la musique. En tout cas, la musique a été mon premier vrai sujet sérieux pour essayer de me façonner un style littéraire. Je suis un peu comme tous les rédacteurs, je me suis dit un jour « Tiens je vais écrire un roman ». J’ai commencé, c’était extrêmement mauvais, je me suis dit « Bon, je vais peut-être en écrire un deuxième » et puis je ne l’ai pas écrit ! J’ai attendu des années et des années avant d’essayer de faire quelque chose. Puis un jour, je me suis dit « c’est con, j’adore la musique, ça fait 15 ans que j’écoute des milliards de trucs qui me passionnent. Est-ce que mon sujet, je ne l’ai pas ? ». Après le choix du blog a été certainement l’option la plus concrète, la plus rigoureuse, parce que tu es obligé de publier régulièrement pour ne pas lasser ton lectorat ou pour ne pas qu’il t’oublie. C’était le média le plus facile à gérer et qui me forçait à travailler. Parce que moi aussi je suis un peu feignant. Quand j’écris, je peux écrire des heures, bon c’est un peu un énorme cliché, mais c’est vrai. Mais le blog m’a astreint à une discipline, à suivre l’actualité musicale ou pas. D’ailleurs, il y a des moments où je m’affranchis totalement des nouvelles sorties pour parler d’un groupe qui a produit un album il y a 25 ans et que tout le monde a oublié ou que personne n’aime, sauf moi. Je me dis, c’est l’occasion. C’est un petit peu la conjonction de mes passions musicale et littéraire. Il y a peut-être aussi un désir de reconnaissance. Je pense que tu ne fais jamais quelque chose d’artistique si tu as envie, non pas de délivrer un message, mais de livrer une part de toi-même, pour que l’on se dise « Ah oui tiens, il était comme ça ».
Syd Matters : Tu t’exprimes en parlant de musique, c’est à dire que la musique suscite en toi des émotions et que tu ne vois pas ça comme quelque chose d’informatif, de journalistique…  
Shebam : Ouais, ouais. C’est marrant, ça ne m’est pas arrivé des milliards de fois,  mais il y a des disques que j'écoute ou des films que je vais voir, et quand je sors je me dis « Il faut que j’écrive un truc ». Que cela ait un rapport ou pas, peut importe. Par exemple, je suis allé voir il y a quelques années Donnie Darko et en sortant de la salle je me suis dis « Faut vraiment faire quelque chose ».
Syd Matters : On va s’entendre là ! C’est un de mes films préférés. La BO est…
Shebam : Incroyable…
Syd Matters : Elle m’a marquée profondément. C’est marrant quand je lis un livre, parce que moi ça passe par la littérature, ok il va falloir que je fasse de la musique dessus. Et toi tu dis ok il va falloir que j’écrive quelque chose dessus. Finalement la démarche est la même. Ça crée une envie. Je ne suis pas sûr que la plupart des chroniqueurs de musique aient cette démarche là. Et surtout j’ai l’impression qu’il y a un cliché qui dit que les mecs qui écrivent le font parce qu’ils ne font pas de musique et toi tu dis l’inverse. C’est ta façon de t’exprimer : tu crées un art qui se nourrit de la musique. Je trouve ça pas mal.
Shebam : C’est quelque chose que j’ai fait il n’y a pas très longtemps. Sur Myspace, on m’a fait découvrir un groupe américain, Xu Xu Fang, un combo psyché complètement barré. J’ai reçu un single en format 33 tours par le biais d’un ami. Puis j’ai échangé avec le leader une courte correspondance. Et du coup, il m’a ajouté à la mailing list de ses concerts. Et un jour, il m’a invité à un concert au Viper Room, à Los Angeles. Je voulais y aller, mais j’étais fauché comme les blés. J’ai alors écrit une chronique du concert en une dizaine de chapitres, un article totalement imaginaire qui a donné lieu à une courte nouvelle. Le concert était le point de départ du récit et après il se passait plein de trucs un peu dingues. Ça a été le moyen de concrétiser tout ça. Parce que je me dis que demain la prochaine étape sera peut-être de ne plus parler de musique. Dans un futur proche, il n’y aura plus de blog, plus de musique mais de la musique conçue autrement qu’à travers une chronique, une interview. La musique des mots.
Syd Matters : Est-ce que tu as lu un bouquin qui s’appelle « Sur le rock » de François Gorin ?
Shebam : Nan.
Syd Matters : Je pense qu’il faut que tu le lises.
Shebam : De toute façon, je suis dans une période où je ne lis que des bouquins sur le rock. 
Syd Matters : C’est un mec qui a écrit pour Rock&folk. Pour moi, c’est le bouquin définitif sur l’écriture et la pop. Parce qu’il explique qu’écrire sur la musique c’est en fait parler des sentiments, c’est tout. On peut  ne pas parler d’un disque en disant qu’il y a tel ou tel instrument, ça ne veut rien dire. On évoque un disque en disant « j’ai ressenti ça ». Et en fait, il parle de lui à travers la musique. C’est pour ça que ce que tu disais est intéressant. C’est une espèce de moteur, de support, pour pouvoir s’exprimer.
Shebam : Une fois, je regardais une vieille vidéo sur l’enregistrement de Tomorrow Never Knows et Lennon disait à l’ingénieur du son de l’époque : « Je voudrais que ma voix sonne comme le Dalaï Lama pleurant sur la cime d’une montagne enneigée » et sans le savoir il était en train de faire de la littérature. Dans la façon de retranscrire l’impression d’un morceau, d’une mélodie, d’un couplet à travers des mots qui peuvent paraître totalement déconnectés ou même absurdes mais qui ont une résonance différente. 
Syd Matters : Je pense que l’important c’est l’expression, peu importe que ce soit à travers la littérature, un 100 mètres, tant que tu arrives à trouver le moyen de t’exprimer. Je suis en train de réfléchir en même temps à ta question…
Shebam : Oui c’est vrai !
Syd Matters : Le groupe qui ne m’a jamais influencé ?!!
Shebam : Oui le groupe qui ne t’a jamais influencé.
Syd Matters : Je pense que c’est Robert Wyatt en fait. Nan mais c’est vrai, c’est à dire que je l’ai découvert il y a 3 ans, j’étais déjà pétri d’influences. Je pense qu’à un moment donné, ça rentre plus de la même façon. On peut admirer un artiste et essayer de faire pareil. Mais les vraies influences, les influences un peu inconscientes, les trucs qui ressortent justement sans que tu le veuilles vraiment, ça vient vraiment de loin. Donc, Robert Wyatt ne m’a jamais influencé. J’admire ce mec, je suis fan. Si jamais je voulais faire de la musique inspirée de Robert Wyatt, ce ne serait pas une influence mais du plagiat. Je dirais Robert Wyatt.
Shebam : C’est une réponse très courageuse, je trouve.
Syd Matters : C’est vrai et ça m’a surtout fait marré au moment du premier disque. Il était en train d’être mixé quand on m’a filé Rock Bottom. Donc, ça n’a eu aucune incidence sur mon travail.
Shebam : Tu ne pouvais pas dire « Ça fait 10 ans que je l’écoute »…
Syd Matters : Et donc du coup Robert Wyatt est arrivé dans ma bio parce que le mec qui l’a faite a trouvé que cela ressemblait un peu. 
Shebam : Un moment, n’est-ce pas l’utilisation d’instruments électroniques qui a fait que les gens ont pensé « ça sonne Robert Wyatt » ? Le fait d’avoir plein de petites machines, de bidouiller des sons. Mais n’est-ce pas Robert Wyatt qui, en avance sur temps, a préfiguré une forme nouvelle de création ?
Syd Matters : Je pense que Robert Wyatt a ce truc qui en a fait un ovni lorsque c’est sorti. Il y a un aspect presque home studio dans Rock Bottom qui a été enregistré dans un studio mobile dans son jardin parce qu’il ne pouvait pas se déplacer. Et du coup, il y a une forme de débrouille, de bricole alors qu’en 74, ce n’était pas vraiment du bricolage. On allait dans un studio, il y avait des musiciens de session, il y avait une culture de la musique. Surtout chez lui, il venait d’une scène qui était très technique, très théorique à la base, des gens qui étaient pétris de jazz, de musique instrumentale. Et en l’écoutant, tu as l’impression qu’il a 4 jouets, qu’il va appuyer sur rec, qu’il sait quand ça commence mais pas quand ça va finir. Tu as l’impression que les instruments jouent tout seul. Moi je me fais souvent cette réflexion quand j’écoute Rock Bottom : j’ai l’impression que ce sont des animaux qui chantent quoi, tu as vraiment des petits sons partout, des trucs, des lignes et tu te dis « il n’y a personne qui joue ensemble, mais c’est très harmonieux ». Comme s’il y avait des petites taupes qui chantaient et je trouve ça dingue. Et ça c’est un côté très home studio qui aujourd’hui me parle beaucoup. J’en sais rien, si ça se trouve je me plante complètement. C’est une façon de faire de la musique qui n’existait pas avant. Il y a aussi le premier album de McCartney qui est un peu comme ça. Je ne sais pas si tu le connais ?
Shebam : Oui… Il fait « super bricolé ».
Syd Matters : Tu as l’impression qu’il a mangé son gigot, qu’il est allé dans sa cave faire de la musique, qu’il enregistre une moitié de partie de batterie, ensuite il va chanter à moitié la ligne de guitare, et puis il va jouer, je trouve ça génial. C’est pour ça que c’est des albums super, parce qu’il y a un côté bricolé. Sauf que voilà, derrière t’as une espèce de génie absolu qui bricole : c’est un luxe que peu d’artistes peuvent se payer.
Shebam : C’est tout ce que tu disais tout à l’heure sur cet aspect artistique, d’avoir une approche quasi naturaliste…
Syd Matters : Ouais il y a de cela. Mais quand on songe à McCartney qui est en train de réaliser son premier disque, il y a cette idée d’un mec qui a fait les chansons les plus abouties de la pop. Donc on ne peut pas le taxer de fainéantise. Il ne s’est pas laissé aller à un talent, il a cherché. Et du coup quand il fait ce disque, tu as l’impression qu’il est enregistré entre deux ballades avec ses enfants, qu’il y a un truc presque un peu vicieux quoi. Et c’est pareil pour Robert Wyatt : ce contraste entre la technique dans la façon de faire et de concevoir de la musique et puis tout d’un coup cet esprit « je vais vous montrer ce que je fais quand je suis chez moi, il est encore un peu trop tôt pour aller cueillir des champignons, je vais plutôt écrire une chanson. » Encore une fois, il faut un talent énorme pour oser ça. Mais peut-être que je vais trop loin là mais quand on vient du home studio, parce que moi je viens de là, quand on fait de la musique dans sa chambre, on part vraiment de choses pas abouties qui peuvent avoir du charme parce qu’on s’amuse. Et puis l’idéal serait d’aller vers quelque chose de plus travaillé, de ne pas essayer de recréer cette espèce de naïveté que tu n’arrives plus jamais à retrouver. Et ça c’est quelque chose que peu de gens arrivent à faire. Alors Robert Wyatt avec Rock Bottom ou McCartney avec son premier album, ce sont des gens qui essayent de lâcher du leste, qui essayent d’arrêter de tout contrôler, de tout peaufiner.
Shebam : C’est fou pour son premier album, parce qu’à l’époque il était tellement attendu. La séparation des Beatles avait été vécue comme un cataclysme.
Syd Matters : J’imagine !!!
Shebam : Tout le monde attendait la suite d’Abbey Road…
Syd Matters : Tout le monde attendait LE prochain album des Beatles quoi et le mec sort un truc pareil et je trouve ça incroyable. Sortir des chansons où il s’arrête au milieu, où il chante n’importe quoi, où il fait à moitié du yaourt, où sa femme fait des chœurs faux !! Il fait simple, il est là où là où on ne l’attend pas du tout. Après, ça ne l’a pas empêché de faire plein de disques assez pourris.
Shebam : Moi je trouve que l’album d’après…
Syd Matters : Ram, Ram !!!!
Shebam : Je l’ai découvert il n’y a pas si longtemps et j’étais sur le cul, pour moi c’était la suite d’Abbey Road, c’était génial…
Syd Matters : Je pense que c’est le dernier album des Beatles, vraiment…
Shebam : Puis après, il a sorti plein de choses inégales. Dans l’album suivant qui est d’ailleurs le premier album des Wings …
Syd Matters : C’est pas Wild Life ?
Shebam : Ouais c’est ça…
Syd Matters : Il y a 3 ou 4 chansons…
Shebam : Il y en a une qu’il adresse à Lennon et que je trouve juste crépusculaire, Dear Friend…
Syd Matters : Encore que sur ce disque-là, je trouve qu’il y a encore 3 ou 4 morceaux hyper bons.
Shebam : Ouais, ouais, ouais, après c’est sympa mais ça commence à être un peu limite. 
Syd Matters : Ouais, il y a un truc qui me plait moins. Après il a fait McCartney II, je ne me suis jamais penché vraiment dessus. C’est son disque electro qu’il a fait fin des années 70. Je crois qu’il y a en fait des trucs super dessus. Et récemment, il sort ce disque atroce, Chaos & Creation in the Backyard, un truc qu’il a réalisé avec Nigel Godrich : il est atroce ce disque ! Il a été de plus encensé et je trouvais que ça faisait « merci d’avoir fait quelque chose de pas trop pourri ». Moi je n’attends pas qu’il fasse un truc potable. C’est McCartney, j’attends qu’il me bouleverse quoi. Et je trouve qu’il y a eu une indulgence parce que papy McCartney sortait un nouveau disque pas trop atroce. On n’attend pas ça de la musique. Je ne sais pas ce que tu penses du disque ?
Shebam : Oui, oui, oui…
Syd Matters : Ça n’a rien avoir avec ce qu’il a fait…
Shebam : Et puis il y a un moment où tu ne peux pas durer. Tu ne peux pas faire une carrière musicale sur vingt ans, je ne sais pas, je dis ça, c’est peut-être dur à entendre…
Syd Matters : T’as surement raison. Wyatt a fait des disques qui étaient…
Shebam : Ouais mais il en a fait moins !
Syd Matters : Il en a fait moins c’est vrai.
Shebam : Il s’est laissé le temps, il a fait les choses en prenant son temps et du coup ses disques sont toujours très actuels. Tous ses disques sont justes, même Old Rottenhat : quand je l’ai acheté je l’ai trouvé très 80s puis je l’ai réécouté et je me suis dit « c’est génial, y a de super chansons ».
Syd Matters : C’est vrai que c’est une exception.
Shebam : Il est resté un peu à part dans sa démarche…
Syd Matters : Ah ouais, mais tu te rends compte, parce que cela veut dire que c’est aussi un « boulot », sauf que c’est un boulot qui est très très court. Justement un mec comme McCartney a fait l’essentiel de sa légende entre 20 et 30 ans. Que fais-tu que quand tu as 33 ans, 34 ans lorsque tu as l’impression que ta carrière est derrière toi ??? Alors que dans la plupart des métiers, ça ne se passe pas comme ça : tu as le sentiment de t’épanouir sur plusieurs années. C’est dur ça, moi je n‘ai pas envie de me dire dans 30 ans « ok c’est fini, qu’est-ce que je vais faire maintenant, ma créativité est partie » : c’est un peu dur quand même ! J’espère qu’il y a des exceptions.
Shebam : Je pense qu’il y en a toujours.
Syd Matters : Forcément, il y en a toujours.
Shebam : Parce que là on parle de musiciens qui ont été à une époque encensés, dont on a dit qu’ils étaient des demi-dieux, des génies…
Syd Matters : Ouais bien sûr…
Shebam : Il faut aussi survivre à cela.
Syd Matters : Ouais c’est vrai, il faut survivre à cela. Bon évidemment, on parle de dieux vivants…
Shebam : Oui mais en même temps…
Syd Matters : Ça en dit long sur la créativité dans la pop, tu vois. Est-ce qu’il n’y a pas un truc qui est lié à la jeunesse, à l’inconscience de ce que tu fais et qui, à un moment donné, est très difficile à retrouver. Bob Dylan, il a fait des centaines de disques, je ne sais pas combien. C’est atroce, moi j’aime les deux premiers. Les Stones n’en parlons pas. En fait c’est peut-être ce que l’on va penser : l’ultime limite, ce sera 40 ans. Je pense que le prochain Radiohead sera l’album de trop.
Shebam : Qu’as tu pensé du dernier ?
Syd Matters : Je ne l’aime pas trop. Moi, je suis hyper fan de Radiohead, évidemment je l’ai écouté et réécouté parce que c’est Radiohead et qu’il fallait que je connaisse les morceaux par cœur. Moi je trouve que c’est leur premier album amoureux : il y a le thème de la crise de la quarantaine, ça parle beaucoup d’adultère, de quitter sa vie, de s’échapper. Il y a des textes beaucoup plus « premier degré », des choses barrées. Je trouve ça touchant parce qu’ils ne l’ont jamais fait. Musicalement c’est bof. Ces mecs-là on fait Kid A qui a changé ma vie, c’est un album qui m’a complètement bouleversé. J’espère qu’ils pourront encore sortir des merveilles. Du coup c’est le symbole même de ceux qui se surpassent. Ah ouais je chante comme ça, il y a du lyrisme dans OK Computer, il y a un côté « j’ai lancé une nouvelle façon de faire du rock », cette espèce de psychédélisme avec ces lignes de chant, ok, on va faire Kid A, je vais chanter grave, je vais trafiquer ma voix et l’émotion elle va devoir passer quand même. Y a plus de réverb, y a plus de psychédélisme. C’est un mec qui a complètement cassé le moule qui a fait son succès. Dans les disques qui sont sortis après, pour moi il y a encore 4 ou 5 morceaux vraiment excellents. In Rainbows et encore… Je ne sais pas si tu les as vu sur scène pour ce disque-là ?
Shebam : Si, si… je les ai vus au Palais Omnisport de Bercy… Moi déjà, je ne suis pas très fan de Radiohead. Quand OK Computer est sorti, je n’écoutais que les 60s, j’étais enfermé dans un placard à écouter des trucs old school. Et après j’ai découvert Radiohead, parce que j’avais plein de potes autour de moi, des musiciens qui adoraient. Ce n’est pas que je trouve cela pas bien, je trouve cela bien. Mais tout le monde affirme que Radiohead a réinventé le rock, moi non. Je pense qu’ils sont dans une certaine filiation qui est établie et c’est très bien. Quand je vois les Inrocks dire pis que pendre sur le rock prog et affirmer en même temps que Radiohead est le meilleur groupe de tous les temps, je trouve ça bizarre. Un jour, ils ont fait une critique de Forever changes de Love en disant que c’était l’équivalent de Radiohead ! Ils ont réussi à en parler alors que je ne voyais pas trop le rapport. Je suis allé les voir en live et Bercy, c’est juste épouvantable : il fait hyper chaud, t’as l’impression d’être dans l’étoile de la mort, que tout est énorme et que tu vas te faire écraser par 250 000 personnes, que le son est bien et qu’en même temps…
Syd Matters : c’est sûr…
Shebam : Je suis allé voir Jarvis Cocker au Bataclan, un set très simple, très sympa, c’est pas la même chose : c’est une ambiance avec une vraie proximité. Je suis allé une fois à Rock en scène, je me suis tiré une balle…
Syd Matters : Ouais, ouais c’est pas ça.
Shebam : Dans la musique que j’aime, il y a bien sûr cette culture du festival, Woodstock, Monterey, l’île de Wight, tous les festivals progressifs européens.  L’esprit est vachement bien mais aujourd’hui… Alors c’est peut-être parce que je n’ai jamais vécu cela avant. Si j’avais été à Woodstock, je me serais peut-être dit « c’est dégueulasse, on dort mal, il pleut tout le temps, y a des gens qui braillent ». Quand je vais à un concert, j’ai envie de sentir l’ambiance. Je n’ai pas envie de regarder la scène avec des jumelles ou sur un grand écran et Bercy c’est un peu ça. Le son n’est pas bon, l’acoustique est affreuse.
Syd Matters : Ouais c’est vrai. C’est toujours moins impressionnant pour la musique que pour cette idée de rassemblement.  Moi, j’ai un souvenir ! Je les ai vu une fois à Bercy et il y a un truc qui m’a scotché : pendant tout le concert je me suis dit « C’est trop énorme, j’ai pas l’impression d’être avec eux dans la même salle, y a une barrière ». Et puis, il y a eu deux ou trois morceaux où Thom Yorke était tout seul à la guitare devant 17000 personnes : il n’y en a pas un qui disait quoique ce soit. On entendait les gens dire juste « chut » et j’ai trouvé ça incroyable.
Shebam : Ouais c’est bien.
Syd Matters : Et c’est un instant où tu sens que le mec force pas sur sa voix, où il chante exactement de la même façon que s’il était avec nous, là, sauf qu’il y a 17000 personnes en train de l’écouter. Et le type qui sortait un truc comme « Oh c’est bien » (Jonathan force son accent pour imiter le beauf qui commente la scène) ou je ne sais pas quoi, il se faisait incendier. Et j’ai trouvé ça fort quand même parce que là ils arrivaient à créer une intimité improbable. Après, que l’on aime ou pas Radiohead, le rêve serait de voir des groupes de cette envergure et de cette popularité là ne serait-ce qu’à l’Olympia.
Shebam : C’est une très belle salle…
Syd Matters : C’est en effet une très belle salle, le son est cool. J’attends le moment où McCartney va faire ses derniers concerts, dans pas très longtemps, et je crois qu’il va passer par l’Olympia : j’aurais bouclé la boucle lorsque je l’aurai vu sur scène.
Shebam : C’est quand même la classe ! Il est déjà passé à l’Olympia, on voyait les fans à la télé qui dormaient sur place…
Syd Matters : Quand il commence à jouer Hey Jude à un moment donné, tu dois être complètement bouleversé d’avoir le mec qui l’a écrit devant toi…
Shebam : Un truc massif !!! Moi, j’ai juste un énorme problème : j’ai offert à des amis des places pour aller voir Lou Reed à Pleyel jouer Berlin. Et ma nana m’a dit « prends-toi une place ». J’ai trop attendu et lorsque j’ai vu que c’était complet, j’étais vert. En plus, il y avait le producteur de l’album, Bob Ezrin, un truc de dingue. J’étais déjà allé à Pleyel pour voir un opéra joué, pas interprété. C’était avant les travaux et c’était déjà magique.
Syd Matters : C’est une salle qui s’ouvre vachement à autre chose que du classique.
Shebam : A l’époque où Lou Reed passait, je regardais. Effectivement, il y a une programmation plus rock, mais cela reste encore rare.
Syd Matters : Moi je pense…
CLAC… Caroline, mon dictaphone, vient de s’arrêter de défiler tout net. Comme ça. Sentiment quasi frustrant au vu de ce que nous avons échangé ensuite, de discussions en commentaires acérés sur la vie musicale. Mais vous n’en saurez rien. Car au bout d’une heure et quinze minutes, l’interview ne faisait réellement que commencer.

http://www.myspace.com/sydmatters