Autant vous le dire tout de suite, lors de l'exposition "Picasso et les Maîtres" au Grand Palais, je n'ai pas été voir le pendant qui était organisé au Musée d'Orsay autour du déjeuner sur l'herbe, finalement peu sensible aux multiples digressions qu'a pu en faire Picasso alors qu'avec cette toile peinte en 1903, "La Famille Soler", visible au Grand Palais (d'habitude au Musée d'art moderne de Liège), il avait déjà retenu ce thème en le traitant d'une manière tout à fait singulière.
Toile peinte pendant sa période bleue, de dimension plus modeste (150 x 200 cm) que le déjeuner sur l'herbe de Manet (voir la note précédente), elle en reprend la composition avec la nappe blanche au premier plan et les personnages se détachant d'un fond neutre, plutôt à dominance de bleu vert. Il est à préciser que celle-ci est la partie centrale d'un triptyque, puisqu'elle se trouve flanquée "des portraits symétriques des deux époux Soler (ici et là) pour composer le retable de quelque autel domestique" (1).
Ici, ce qui frappe c'est la profonde tristesse et l'ennui mortel qui semble toucher l'ensemble des personnages avec au centre du tableau, non plus une femme prenant son bain dans les sous-bois comme chez Manet, mais une petite fille campée sur ses jambes, toute de noire vêtue, et vous fixant avec insistance, droit dans les yeux, alors que tous les autres personnages regardent ailleurs.
Ce pique-nique improvisé (?) de retour de chasse avec la gibecière, le fusil et le lièvre mort au tout premier plan prend l'allure d'une étrange réunion de famille où chaque personnage semble étranger à la scène comme marqué, lui aussi, par le sceau de la vanité ...
(1) Extrait du catalogue de l'exposition "Picasso et les Maîtres", Editions de la Réunion des musées nationaux, p. 155