Comment j'ai "tué" Vapeur sans me faire attrapper! Rencontre avec le réalisateur belge Yvan Hanchar.
« Sans Rancune ! » est certes une fiction, mais entretient un fort lien avec mon adolescence, dont j’ai déformé, en quelque sorte, un fantasme et peut-être aussi celui de mon père...Mon grand-père disparu à la guerre, le sentiment urgent qu’il me fallait à tout prix sortir de l’adolescence et faire quelque chose de ma vie, ma difculté, comme chacun, à savoir quoi et comment, un prof de français génial, la recherche d’un modèle, sont les éléments qui m’ont aidé à construire l’intrigue du flm. Un jeune étudiant croit voir sous les traits de son professeur de français, surnommé « Vapeur », son père disparu à la guerre… ».Ainsi, Laurent Matagne est un peu de mon père, un peu de moi, un peu de vous : il accélère sa course vers la fn de l’âge ingrat, avec tous les sourires mais aussi toutes les émotions que cette période tragi-comique peut nous arracher. Pressé d’en fnir avec les incertitudes et les non-dits, il se cherche tout à la fois un père, une identité, une place dans la littérature… Cela aurait pu être le cinéma, la musique ou la gastronomie, seulement voilà, c’est Vapeur que la vie a mis sur son chemin. Vapeur est le surnom d’un professeur de français qui inspire autant de craintes que de fous rires, un homme qui manie avec humour le savoir et avec intransigeance la bêtise, un écrivain raté qui est devenu peu à peu comédien, pour le plus grand plaisir de ses classes, un personnage déroutant qui s’avance masqué.
Le jeune homme se lance donc à la poursuite hypothétique d’un père
et d’une vocation : deux (en)quêtes qui se croisent, s’infuencent,
et dont les solutions ne cessent de lui échapper.
Outre le choix complexe des deux acteurs principaux amenés
tant à se combattre qu’à s’admirer ; j’ai voulu mettre dans ce flm
beaucoup de légèreté et de drôlerie, même pour les personnages
secondaires, témoins amusés du chassé-croisé entre le maître
et l’élève. Dès l’écriture du scénario, certaines séquences de classe étaient comme des morceaux de bravoure pour le comédien censé interpréter Vapeur, à tel point que je me suis alors demandé :
« Mais comment va-t-il faire ? ». Tierry Lhermitte y est arrivé
au-delà de mes espérances, je ne sais toujours pas comment.
En tout cas, merci. À travers cette comédie, j’ai cherché à rendre la complexité des départs dans l’existence : nous balançons toute notre vie entre de bonnes et mauvaises intuitions, de bonnes ou mauvaises aspirations, entre le rire et les larmes… nous vivons. (YVES HANCHAR)
Et moi j'ajouterai que Sans Rancune apporte ce petit brin de fraîcheur qui manque tellement dans les grosses productions, ce petit côté naturel qui sied à ce genre de comédie que l'on pourrait presque qualifier de comédie familiale. Sans Rancune, qui narre la quète de ses racines, pourrait s'appliquer à de nombreuses personnes, pour lesquelles, connaître son passé, d'où elles viennent et pourquoi la situation est telle qu'elle est, est si importante. La recherche de ses proches "disparus", la recherche de ses racines, le déni de "deuil" et les désillusions suivies de grandes joies. J''ajouterai encore que les jeunes acteurs sont excellents, avec une mention particulière à Milan Mauger, jeune premier qui me fait penser à Uliel par son physique. Quant à Thierry Lhermitte, dans un rôle excessivement difficile, en regard des dialogues ciblés grammaire française, il est impressionnant de justesse. Dans la peau du prof, il s’amuse avec ses élèves tout en étant autoritaire. Il a su éviter le piège d'être une caricature du personnage haut en couleurs, qui se laisse embarquer par un manque de vérité. Un grand comédien que ses précédentes apparitions dans la série des Bronzés ne permettaient pas de perçevoir. Une agréable surprise en tout cas. Tourné en grande partie dan s un magnifique domaine de Grez-d'oiseau, le film repose entièrement sur des dialogues décapants, de très bonnes leçons de francais. Même si chez certains, le film pourrait ne pas laisser un souvenir impérissable, ils auront au moins appris quelques chose. Zeugma par exemple. Savez-vous ce que c'est? Et bien, moi non! Jusqu'à ce jour. Les latinistes eux le savent, mais sont-ils si nombreux? Projeté dimanche dernier, dans le cadre du festival du film de Flagey, en présence de l'équipe, certaines scènes ont été tournée au "paquebot" Flagey dans l'ancienne Maison de la Radio, et sur la place Sainte-Croix. Juste retour au sources pour tous.
Entretien avec Thierry Lhermitte.
Vous êtes un des rares comédiens à travailler sans agent, vous gérez seul votre carrière, comment choisissez-vous vos flms ? Au plaisir que je prends à la lecture d’un scénario, à mon intérêt pour l’histoire et surtout à la façon dont elle est racontée, est-ce que j’ai envie de tourner les pages et de connaître la suite ? Mon attention se porte ensuite sur mon personnage, est-ce que je vais pouvoir le jouer ?
Et il y avait tout cela dans « Sans Rancune ! » ? Absolument, cette histoire était extrêmement bien écrite, originale, intrigante. J’ai lu le scénario avec un intérêt soutenu jusqu’à la dernière page. La complexité de mon personnage, ce prof de français surnommé « Vapeur », les questions que l’on se pose sur sa véritable identité renforcent l’intrigue. Là, je peux vous dire que j’avais un vrai plaisir à tourner les pages du scénario, ce qui n’est pas toujours le cas ! Il y a dans « Sans Rancune ! » des parfums de flms qui m’ont bien plu, Le Cercle des poètes disparus », « Les Choristes », « Entre les Murs »… (et Die Welle- La vague pour les scènes du début n.d.l.r.)
« Sans Rancune ! » aborde diférents thèmes à travers un récit d’apprentissage, la quête d’un père par un adolescent, l’émergence d’une vocation, la transmission d’une passion entre un homme et un jeune homme
En quoi ces thèmes vous ont-ils touché ?
Tout simplement parce que ce sont des thèmes qui touchent tout le monde. Il y a aussi cette réfexion entre la vie réelle et la vie inventée, entre la réalité et l’écriture. Est-ce que l’imagination, la création vaut plus que la vie ? Le point important dans ce flm, qui ajoute à la crédibilité du sujet et à l’émotion du spectateur, c’est que le réalisateur a vécu une situation quasiment identique à celle de mon personnage. Et le plus étonnant, c’est qu’il a appris cela après avoir écrit le scénario !
Vapeur, votre personnage, est un curieux professeur de français aux méthodes peu orthodoxes ! Un personnage pittoresque en effet. Un professeur comme on en rêve éventuellement. Qui peut déstabiliser et être irritant parfois.
Je le pensais aussi, mais en fait, tous ses élèves l’adorent,
même Boulette. On le voit dans la scène où Boulette dit à son ami
Laurent, « Tu sais, Vapeur avait fait pareil avec moi l’année dernière,
il m’avait envoyé aux vaches moi aussi… » En fait les élèves apprécient ses méthodes surprenantes. Pour assister à ses cours, les élèves doivent laisser leurs cartables, leurs livres et leurs cahiers à la porte de la classe. Pendant les cours, ils n’écrivent pas, ils écoutent. Vapeur leur prie de jeter certains mots par la fenêtre, comme « limite » ou « piège », des mots qui entravent la liberté de penser ! Vapeur fait davantage appel à leur intelligence qu’à leur mémoire. Il s’adresse à l’individu. Il met en garde ses élèves contre un esprit moutonnier qui conduit les hommes à servir de chair à canon, des propos plutôt surprenants de la part d’un héros de la guerre !
Sa méthode s’apparente à ce que l’on appelait « faire ses humanités », une formation pour permettre à l’élève de devenir soi-même et à l’armer pour la vie.
Oui, c’est de l’éducation plus que de l’enseignement. Ce devait être formidablement plaisant pour un élève de se former dans ce genre
d’école où fnalement la liberté est le principal enseignement.
Comment souhaitiez-vous aborder ce rôle ?
Le personnage était tellement bien écrit que je n’ai pas cherché à apporter des effets extérieurs. J’essaie de me pénétrer du personnage en lisant et relisant inlassablement les dialogues, jusqu’à ce qu’il y ait quelque chose qui se dégage et me guide. Je dis le texte en entier une fois par jour pendant un mois et demi, à haute voix, grammaticalement, sujet-verbe-complément. Au bout d’un moment, quand vous l’avez dit 300 fois, le texte devient vos mots, vous n’y pensez plus. Vapeur est un genre de type qui fait son cinéma tout le temps, il joue, il ment… Donc il faut faire attention, le spectateur ne doit pas uniquement entendre sa musique. C’est la vérité du personnage qu’il vient chercher… même s’il remue beaucoup d’air.
Il y a tout de même un défi pour un comédien à jouer sincèrement un personnage qui ment.
Tout à fait, c’est toujours le problème. Dans la vie, j’arrive à croire un menteur précisément parce qu’il ment admirablement, sinon, le doute s’installe très vite et je me dis « Mais qu’est-ce qu’il me raconte là ? »
Ce qui m’intéresse dans le métier d’acteur, c’est de créer chaque fois un monde auquel je crois. On ne doit rien laisser paraître quand on joue un personnage qui a un secret.
C’est ce que fait votre personnage, il vivait dans l’illusion,
dans une image idéalisée de lui-même, celle d’être un grand écrivain,
et fnalement, lorsqu’il a compris qu’il n’en avait pas le talent, il est
devenu prof.
C’est ce que lui dit cyniquement un de ses collègues en citant Bernard Shaw, « Celui qui peut, agit ; celui qui ne peut pas, enseigne ».
Quand il a réalisé son échec, cet homme a tiré un trait sur ses ambitions littéraires, il a abandonné sa famille, il s’est tiré et il est reparti de zéro.
Cela arrive à quantité de gens de se dire, « J’en ai marre de ma vie,
et si je me barrais pour faire autre chose dans un pays où personne ne me connaît ? ».
Ne pouvant pas être un écrivain à la hauteur de son ambition, cet homme change de nom, d’identité. C’est presque un meurtre symbolique de lui-même.
Oui bien sûr, et il l’exprime. La scène où la mère de Laurent vient chercher son fls au collège est bouleversante. Marianne Basler est remarquable dans cette séquence où elle saisit la façon dont cet homme est capable de mentir. J’ai connu des gens qui ont vécu des histoires de ce genre. Un copain m’a raconté que son père s’était tiré quand il avait six ans. Pendant de longues années, cet ami a tout fait pour retrouver son père dans l’idée de lui faire payer cet abandon, même de lui casser la gueule. Il a fni par le rencontrer, son père tenait un bistrot. Mon ami m’a dit, « En me voyant, mon père est parti dans l’arrière-salle, quand il est revenu, je crois qu’il avait pleuré… Alors je me suis tiré sans dire un mot, et je ne suis plus jamais revenu. »
Quelles sont les qualités d’Yves Hanchar ?
Il vous emmène dans le monde un peu particulier de son imagination.
Les thèmes de chacun de ses flms sont très originaux. Il y a dans le
flm cette citation de Radiguet, qui fnalement pourrait très bien le
défnir, « L’original est celui qui essaie de faire comme tout le monde
et qui n’y arrive pas ».